Discussion électorale électoraliste
Une autre campagne électorale québécoise est arrivée à son terme au début du mois. J’ai voté, mais je n’ai pas été des plus assidu dans mon suivi des différentes annonces et promesses électorales. Pour autant, vers la fin de cette élection, j’étais un peu surpris de ne pas avoir entendu parler de foresterie durant ce grand rendez-vous démocratique. Après tout, il suffit bien souvent d’un seul reportage, d’une déclaration un peu « litigieuse » du ministre en titre, pour que le Québec « s’enflamme » pour les enjeux forestiers! Et le caribou forestier? Le super enjeu de biodiversité pour lequel un récent rapport aurait pu être le sujet d’un débat électoral. Mais non… Avais-je donc raté quelque chose?
La réponse à mon questionnement est venue par le biais d’un article paru quelques jours avant l’élection et intitulé « Le troisième lien qui cache la forêt ». On y retrouve un résumé des plateformes des cinq principaux partis politiques en lice concernant le milieu forestier. Mais surtout l’information suivante :
[…] l’enjeu des forêts n’a pas monopolisé beaucoup d’attention pendant la campagne électorale. Un débat sur cette question à l’Université Laval a même dû être annulé, faute d’intérêt des candidats, a appris La Presse.
— La Presse, 30 septembre 2022
Pour la mise en contexte, la superficie totale des forêts publiques québécoises sous aménagement est de 42 millions d’hectares. De cette statistique, on peut en déduire que les politiciens n’avaient rien à dire sur l’aménagement d’une superficie équivalente à la taille de la Suède ou de dix fois celle de la Suisse!… Cela laisse songeur!
Pour aujourd’hui donc, une petite réflexion pour (essayer de) comprendre les tenants et aboutissants de cette situation pour le moins étonnante.
Foresterie et élections
Pour débuter cette réflexion, remontons le fil des élections québécoises en lien avec les enjeux forestiers par le biais de mon blogue. De fait, mes écrits sur la foresterie depuis douze ans constituent un bon point de départ!
… Ou non. Lors de la précédente élection, en 2018, il s’avère que je n’ai rien écrit sur le sujet! À l’évidence, les enjeux forestiers électoraux avaient peu été mis en évidence ou m’avaient peu inspiré.
En 2014, sous le titre « Élections — Québec 2014 : un Royaume pour un ministère », j’avais retenu comme principal enjeu électoral forestier la promesse de la création de l’actuel ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Promesse faite par celui qui allait devenir premier ministre, soit M. Philippe Couillard. Il allait aussi devenir député dans la région du Lac St-Jean, d’où la référence au «Royaume» 🙂 Un enjeu notable en foresterie, mais beaucoup moins à l’échelle de la campagne électorale.
En 2012, ma chronique électorale s’intitulait « L’aménagement forestier dans la campagne électorale québécoise : entre indifférence et incohérences ». Cela résume…
Pour essayer de remonter plus loin, de mémoire il me faut retourner aux élections de 2003 pour penser à un enjeu forestier qui s’est démarqué. Il s’agissait alors de la promesse de la création d’une Commission pour répondre aux nombreuses critiques et inquiétudes de la population à la suite de la diffusion de L’Erreur boréale en 1999. Cela allait devenir la Commission Coulombe et déboucher sur l’actuelle politique forestière.
Il y eut aussi des élections en 2007 et 2008, mais je n’ai aucun souvenir d’un enjeu forestier qui se soit faufilé dans les annonces électorales.
Entre, mais pas pendant
On ne peut certes pas parler d’un constat « solide », mais il apparaît une tendance quant au fait que les enjeux forestiers sont peu discutés pendant les élections. Et ce même si, comme dans le cas du processus électoral qui vient tout juste de se compléter, des enjeux forts comme celui du caribou forestier auraient pu, auraient dû être à l’ordre du jour de ce grand rendez-vous démocratique.
Comment expliquer cette dichotomie quant au fait que les enjeux forestiers peuvent embraser le Québec entre les élections, mais être ignorés pendant?
Cela m’apparaît comme une question fondamentale à laquelle répondre, car elle fait écho à la question de base en introduction : comment l’aménagement d’une superficie de territoire public équivalente à la Suède ou à dix fois la Suisse peut-il être régulièrement boudé par les politiciens au cours des élections?
Pour (essayer d’) y répondre, je vais recourir à un exercice inédit dans mon cas, soit mettre en scène un échange fictif entre un journaliste et un politicien quelques jours avant l’élection. Et pour reprendre l’avertissement que l’on peut retrouver associé à des œuvres de fiction « toute ressemblance avec des faits réels ne saurait qu’être le résultat du hasard ».
Discussion électoraliste
— [Journaliste] Qu’est-ce que votre parti politique compte faire, s’il est élu, concernant l’enjeu du caribou forestier? Ça ne semble pas très clair dans votre plateforme électorale. Pourtant, il n’y a pas plus tard qu’un an votre parti semblait fort engagé par cet enjeu.
— [Politicien, surpris] Ah?
— [Journaliste, gêné] Et bien… Vous n’avez pas lu votre programme électoral?
— [Politicien] Des bouts… Mais ce n’est pas moi qui l’ai écrit. Et j’ai pu échapper les sections spécifiques à cet animal.
— [Journaliste] Ce n’est pas juste un simple animal, c’est le caribou forestier! Une espèce en voie de disparition!
— [Politicien] Et?…
— [Journaliste interloqué] C’est très grave! C’est une menace à la survie humaine!
— [Politicien] Ah bon? Et comment ça?
— [Journaliste] Et bien tous les scientifiques le disent : la perte de la biodiversité est une menace à la survie de l’espèce humaine!
— [Politicien levant les épaules] Vous m’en direz tant! L’espèce humaine se porte très bien, merci! Et l’on est à quelques années de retourner sur la Lune et de coloniser Mars… Alors, il y a peu à s’inquiéter pour le devenir de l’espèce… Ce n’est pas comme si vous me disiez qu’un énorme astéroïde aller frapper la Terre dans quelques jours!
— [Journaliste un peu énervé] Mais c’est tout comme!! Vous n’avez pas vu le film « Don’t look up » avec Leonardo DiCaprio?
— [Politicien surpris] Ça ne me dit rien, je dois avouer. Et qu’est-ce qu’un film de fiction vient faire ici??
— [Journaliste essayant de se calmer et revenir à l’essentiel] Mais on ne peut pas laisser le caribou forestier disparaître. C’est une obligation légale de toute façon!
— [Politicien levant les épaules] Bof, vous savez, en politique, ce type d’obligation légale…
— [Journaliste éberlué] Mais il faut que ce soit un enjeu électoral de premier plan, les sondages montrent que les gens se soucient du caribou! Ça a réagi très fortement lors du dernier reportage montrant que le gouvernement ne faisait rien de sérieux pour le protéger et préférait miser sur les emplois forestiers.
— [Politicien avec un petit sourire bienveillant] Ah, je vois… Vous êtes jeune. Vous distinguez encore mal ce qui se passe entre les élections et pendant. Ce n’est pas du tout la même game.
Entre les élections, l’objectif est de rendre mal à l’aise le gouvernement. Tout est bon dans ce cas. Comme votre truc, là… la biodiversité, c’est ça? Bon… Le problème, c’est que ça ne veut rien dire pour personne ça. Ce n’est pas concret. C’est un sujet parfait pour combler l’espace entre deux élections. Et entre les élections, les gens sont bien prêts à appuyer toute bonne cause même si c’est très loin de leurs préoccupations quotidiennes. Mais pendant les élections, il faut parler de choses concrètes, pas de concepts. Il faut parler de choses auxquelles les gens peuvent personnellement se rattacher.
Des chèques. Ça, c’est concret. Des liens autoroutiers pour favoriser les déplacements en auto, ça c’est concret.
Et pour revenir au cas du carcajou…
— [Journaliste très courroucé] CARIBOU! C’est le CA-RI-BOU!
— [Politicien amusé] Oui, bon… Donc, pour le caribou… Pour en revenir à ce que je disais, je ne doute pas que les citoyens s’en soucient… tant que ça n’a aucune conséquence directe sur eux. Imaginez un instant que l’on coupe beaucoup moins de bois pour protéger le caribou. Et imaginez que pendant ce temps le prix du bois explose, faisant sérieusement grimper les coûts de rénovation ou de construction de nouvelles maisons. Même s’il n’y avait pas de liens directs entre les deux, l’idée que «c’est la faute au caribou » pourrait facilement se propager et, dans ce cas, ce serait « Merci, bonsoir !» le caribou. Car le prix des maisons et des rénovations, c’est concret. Beaucoup plus qu’un animal dont la très grande majorité des gens auraient de la difficulté à identifier s’ils en voyaient un en personne…
— [Journaliste « remonté »] Ce n’est pas vrai! Les sondages montrent bien que les citoyens sont prêts à sacrifier des emplois pour protéger le caribou…
— [Politicien levant un index et prenant des airs de professeur] Tuttuut!… Les emplois? Je veux bien. La majorité des gens habitent en ville et ne connaissent personne qui travaille dans une usine de transformation du bois. Alors, qu’est-ce que ça peut leur faire que ces personnes perdent leur emploi pour ce qui apparaît comme une bonne cause? Je parle de concret ici. Et un emploi dans l’industrie forestière, comme la biodiversité, ce n’est pas une idée concrète pour la très grande majorité des électeurs. Ce ne sont donc pas des sujets qui vont faire bouger l’aiguille électorale… [levant les épaules]
[Politicien notant que le journaliste est bouche bée]… Tiens, c’est comme cet autre truc-là… le réchauffement climatique. Ça s’énerve le poil entre les élections, mais qu’est-ce qui arrive pendant les élections? Qu’est-ce qui arrive aux partis politiques qui en font un sujet électoral sérieux?… C’est ça, exactement rien. Zéro impact sur l’électorat, car ce n’est pas concret. Qu’est-ce que ça a changé, à date, sur la vie des gens du Québec au quotidien? Rien, strictement rien. Par contre, parlez-leur d’un virus, et là vous allez certainement avoir leur oreille… Mais dites-leur qu’il risque de faire un peu plus chaud dans le futur, surtout au Québec, et les gens vont bien rigoler que ça puisse être vu comme un problème.
— [Journaliste retrouvant la voix] Mais c’est complètement irresponsable! C’est extrêmement grave si la température moyenne de la Terre, pas du Québec, augmente de quelques degrés. Il y a 20 000 ans, le Québec était recouvert de quelques kilomètres de glace et il a fallu une seule augmentation moyenne de 5 °C de la température planétaire pour en être où nous en sommes aujourd’hui! Imaginez si l’on augmente d’un autre 5 °C, où allons-nous être?
— [Politicien un peu décontenancé]… En Floride? Hé! Ça pourrait être pire!
— [Journaliste découragé] Heu…
— [Politicien souhaitant être ailleurs] Bon, regarde… Le jeune… J’ai une campagne électorale à gagner et je vais la gagner en parlant de choses concrètes. La forêt, la biodiversité, le caribou, tout cela est bien mignon, mais très loin de la vie quotidienne de mes électeurs. Mais il ne reste que quelques jours avant les élections. Après, je te rassure, ce seront des sujets qui pourront être discutés. Sur ce, bonne fin de campagne!