Visite forestière au pays de Jacques Brel
C’est un de mes plaisirs dans la production de ce blogue : « voyager » à peu de frais! Pour aujourd’hui, je vous amène en Wallonie (Belgique) avec pour guide M. Didier Marchal, ingénieur agronome, qui donnait cette semaine une conférence au Service canadien des forêts à Québec. Si cette dernière s’intitulait « Gestion forestière en Wallonie (Belgique) et valorisation énergétique de la biomasse », considérant la vocation de ce blogue, je vais essentiellement m’attarder aux aspects de « gestion forestière ». Et comme vous allez pouvoir le constater, la Wallonie forestière, ce n’est pas la même échelle de perception que le Québec forestier. Toutefois, lorsque l’on s’attarde aux enjeux, on s’aperçoit qu’à plusieurs égards, ce n’est pas un monde si différent. Donc, embarquons pour ce « Plat pays » (Jacques Brel) afin de découvrir cette autre réalité!
Une placette/50 hectares. C’est l’intensité d’inventaire pour couvrir tout le territoire forestier de la Wallonie. Le cycle d’inventaire se réalise en 10 ans sur la base de 1000 placettes/an. Lorsque je faisais référence au fait que la Wallonie forestière, ce n’est pas le Québec forestier, ces seules statistiques permettent déjà de mesurer pleinement la différence. En chiffres absolus, la Wallonie a 554 000 hectares de forêt, dont 479 500 hectares classés comme productifs. En guise de référence avec le Québec, l’Unité d’Aménagement Forestier (UAF) 43-52 dans laquelle s’est réalisée mon doctorat en Mauricie a 540 000 hectares de superficie productive et il y a 73 autres UAFs…
Aussi, ce qui frappe, c’est que malgré une superficie forestière relativement restreinte, la forêt wallonne est très fragmentée. La tenure forestière est légèrement dominée par la forêt privée avec 52 % de la superficie. Mais cette tenure est le fruit d’environ 100 000 propriétaires dont 90 000 possédent 5 hectares ou moins. La forêt publique apparaît moins fragmentée dans la mesure où près de 75 % appartient aux communes et presque tout le reste (forêts domaniales) à la région wallonne. Toutefois, comme M. Marchal nous l’a montré dans un exemple, sur le terrain cette forêt publique peut aussi être très fragmentée. Cela n’a rien des grands massifs forestiers québécois.
Si on s’attarde un instant aux statistiques forestières, la superficie des forêts feuillues est légèrement supérieure (54 % de la superficie productive) aux forêts résineuses. Ce sont toutefois de ces dernières, composées aux trois quarts de peuplements d’épinette de Norvège (Picea abies), qu’est tiré le plus de volume (69 % de la récolte). Du côté des feuillus, ce sont les chênaies (32 %) et les hêtraies (23 %) qui sont les principaux peuplements forestiers.
La politique forestière de la Wallonie est exprimée par un Code forestier adopté en 2008. Il a remplacé le Code qui datait de 1854. Si ce dernier n’était naturellement plus adapté à la réalité contemporaine, il faut aussi souligner qu’il avait rempli son principal objectif qui était d’augmenter les superficies boisées en Belgique (de 315 000 hectares à 554 000 aujourd’hui, soit +76 %).
Malgré sa longueur, j’ai choisi de vous présenter au long l’article premier du nouveau Code forestier, car comme vous pourrez le constater, pour l’essentiel il aurait très bien figuré dans notre future politique forestière (en vigueur le 1er avril 2013) :
Les bois et forêts représentent un patrimoine naturel, économique, social, culturel et paysager. Il convient de garantir leur développement durable en assurant la coexistence harmonieuse de leurs fonctions économiques, écologiques et sociales.
Le développement durable des bois et forêts implique la nécessité d’appliquer de manière équilibrée et appropriée les principes suivants :
1° le maintien et l’amélioration des ressources forestières et leur contribution au cycle du carbone;
2° le maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers;
3° le maintien et l’encouragement des fonctions de production des bois et forêts;
4° le maintien, la conservation et l’amélioration de la diversité biologique dans les écosystèmes forestiers;
5° le maintien et l’amélioration des fonctions de protection dans la gestion des bois et forêts, notamment le sol et l’eau;
6° le maintien et l’amélioration d’autres bénéfices et conditions socio-économiques.
Le développement durable des bois et forêts implique plus particulièrement le maintien d’un équilibre entre les peuplements résineux et les peuplements feuillus, et la promotion d’une forêt mélangée et d’âges multiples, adaptée aux changements climatiques et capable d’en atténuer certains effets.
L’article 57 du code forestier est celui qui détaille les éléments que doit comprendre la production d’un plan d’aménagement qui sont obligatoires pour toute superficie forestière publique de plus de 20 hectares d’un seul tenant. La liste des éléments à prendre en considération est assez impressionnante et, tout comme pour l’article 1er, l’article 57 pourrait très bien s’intégrer à nos plans d’aménagement forestier au Québec. S’il était trop long de tout citer (je vous invite à y jeter un coup d’oeil), il faut savoir que la faune, la biodiversité, les paysages sont pleinement intégrés à la démarche. Aussi, depuis le Code forestier de 2008 tous les plans d’aménagement sont soumis à une évaluation « d’incidence environnementale » afin de s’assurer que l’aménagement forestier n’aura aucun impact négatif sur ledit environnement. Finalement, parmi les points à noter, la vente des bois se fait sur pied et par enchères.
Un aspect qui m’a particulièrement frappé est lié à l’enjeu de l’aménagement faunique, car on peut faire des liens directs avec l’île d’Anticosti. Du fait qu’il n’y a plus de prédateurs naturels, le gibier (sanglier, chevreuils…) cause beaucoup de dommages aux forêts par le broutage. Les aménagistes forestiers doivent donc compter sur les chasseurs pour limiter leur population. Or, soucieux de préserver du gibier pour les années futures, les chasseurs ont tendance à ne pas récolter tout ce qu’on leur demande. Les aménagistes en sont donc à devoir trouver des stratégies, voire des règlements contraignants, pour forcer les chasseurs à abattre plus de bêtes!
Le Code forestier est appliqué par le Département de la Nature et des Forêts (DNF) sur l’ensemble de la Wallonie. La structure est très hiérarchisée. Si le DNF représente l’autorité centrale, il a sous sa supervision huit directions forestières qui elles-mêmes supervisent un total de 33 cantonnements. Chaque cantonnement est dirigé par un ingénieur eaux et forêts. Par curiosité, j’ai estimé la « densité » des ingénieurs forestiers à l’échelle des cantonnements en divisant par 33 la superficie forestière productive (479 500 ha). Résultat: la Wallonie compterait un ingénieur forestier pour 145 km2, et ce sans considérer ceux qui se retrouvent à des échelons supérieurs. Pour le Québec, en considérant les ingénieurs forestiers à l’emploi de l’industrie, de la fonction publique et des coopératives (= 940 – Rapport annuel de l’OIFQ 2012) et la superficie destinée à la production forestière (261 538 km2 – Bureau du Forestier en Chef), on obtient un ingénieur forestier pour 278 km2. Si cette évaluation est dans le domaine de la grosse approximation, je suis convaincu que le Ministère des Ressources naturelles du Québec serait heureux de compter sur le double d’ingénieurs forestiers pour mener à bien la réforme en cours.
Malgré sa relative petite superficie forestière, force est de noter que la Wallonie ne ménage pas ses efforts pour être un joueur de premier plan dans le monde forestier. En fait, avec l’intensité de leur effort d’aménagement, je me suis mis à rêver pendant la présentation à la création de plusieurs « Wallonies forestières » à l’échelle du Québec. La base d’un bon aménagement, c’est de connaître sa forêt. Avec l’effort qui est mis en Wallonie, j’ai peu de doutes que cette base ne soit pas acquise!
Autres références:
Pour ré-écouter la présentation de M. Marchal
Dépliant explicatif du Code forestier de 2008