Du colloque conjoint OIFQ – IFC
Mon grand défi lorsque je produis des comptes-rendus est d’être fidèle au message principal qui se dégage de la présentation ou du colloque auquel j’ai assisté. Lorsqu’il s’agit d’une seule présentation, c’est relativement facile. Lorsqu’il s’agit d’un colloque sur un thème donné, le défi est un peu plus élevé, mais le thème même du colloque offre une trame centrale à laquelle s’accrocher (ex. : le Plan Nord). Lorsqu’il s’agit d’un congrès sur plus d’une journée avec des sessions concurrentes, il devient toutefois impossible de faire un compte-rendu qui reflète fidèlement ce que tout le monde a pu voir et entendre. Ce que l’on va retenir de ces congrès devient nécessairement plus personnel du fait que le choix des conférences et ce que l’on va en retenir est basé sur nos sensibilités et notre expérience. C’est donc un compte-rendu centré sur une vision bien personnelle du congrès conjoint de l’Ordre des Ingénieurs Forestiers du Québec (OIFQ) et de l’Institut Forestier du Canada (IFC) qui s’est tenu la semaine dernière à Québec que je vais vous présenter aujourd’hui.
La première présentation qui a fait résonner mes sensibilités fut celle de M. Ronald S. Trosper, actuellement professeur en études amérindiennes à l’Université d’Arizona, mais qui jusqu’en juin 2011 était professeur à l’Université de Colombie-Britannique. C’est sur la base de cette dernière expérience qu’il nous a parlé du modèle d’aménagement du territoire des traplines (territoires de trappe) familiaux chez les autochtones. Un modèle que l’on retrouve chez plusieurs communautés autochtones au Canada. Le mot-clé que j’ai retenu de ce modèle : imputabilité. Chaque trapline a un chef qui est responsable du bon aménagement de son trapline et qui doit rendre compte non seulement auprès des membres de sa famille, mais aussi auprès de l’ensemble de sa communauté et, parfois, auprès d’intervenants (stakeholders) internationaux. Cette imputabilité a de nombreux avantages, dont l’obligation d’avoir une vision à long terme. Et selon M. Trosper, c’est là le principal défaut de l’aménagement des forêts publiques au Canada : le manque d’imputabilité ne favorise pas la vision à long terme.
J’ai aussi retenu deux autres mots-clés: expérimentation et monitoring. Les deux ont été émis par M. Ian Thompson, chercheur au Service Canadien des Forêts, dans le cadre d’une présentation sur la difficulté de concilier aménagement forestier et habitat du caribou forestier. Face à la complexité des enjeux, M. Thompson a fait valoir qu’il était illusoire de s’imaginer avoir a priori des solutions parfaites et qu’il faut considérer nos stratégies d’aménagement comme des expérimentations. Et pour mener à bien nos expérimentations, le monitoring est essentiel. La logique d’ensemble derrière cette vision étant de mettre en place un aménagement adaptatif, soit un aménagement qui est en constante évolution en fonction des résultats de nos actions en rapport à nos objectifs. Petit rappel, c’est cette direction qu’a choisie le USDA Forest Service dans ses plus récentes Planning rules. À préciser qu’en réponse à une question, M. Thompson considère l’aménagement écosystémique comme une expérimentation.
En parallèle à ces trois mots-clés, une expression que j’ai retenue: « One size does not fit all ». Elle fut prononcée par M. Marty Luckert, le conférencier que j’attendais le plus, car un de ses textes a été à la base d’une de mes chroniques. La présentation s’intitulait « En quête d’un régime de tenure pour l’aménagement durable des forêts ». Le « One size does not fit all » était lié directement à son titre alors que d’entrée de jeu il nous a avertis qu’il ne nous donnerait pas une recette miracle, car les solutions à cet enjeu de la tenure sont trop locales. Il nous a aussi rappelé que pour faire de l’aménagement forestier durable, cela impliquait d’avoir un mode de tenure où les droits ne sont pas alloués sur une seule ressource (ex.: le bois).
Les organisateurs avaient placé M. Richard Savard, sous-ministre associé aux forêts venu présenter la future politique forestière québécoise, tout juste après M. Luckert. Et plus la présentation de M. Luckert avançait, et plus je me demandais dans quelle mesure M. Savard prenait des notes. Et surtout, en mettant en parallèle cette présentation avec les mots-clés que j’avais retenus des présentations précédentes, je ne pouvais m’empêcher de noter que notre future politique forestière risquait d’avoir de sérieux problèmes. Le simple « One size does not fit all » aurait dû à lui seul être une leçon à tirer de la toujours en vigueur Loi sur les Forêts qui proposait un « One size fits all ». Si avec la future politique on met ce système entier à la poubelle pour le remplacer par un nouveau, on le fait cependant sous le même principe du « One size fits all ». Espère-t-on des résultats différents? Chose certaine, on verra à partir du 1er avril 2013 où nous mènera cette expérience!
Si ces derniers points ont certainement représenté le coeur de ma réflexion dans ce congrès, un autre aspect a aussi attisé mes sensibilités : la complexité des enjeux d’aménagement forestier en lien avec la faune. Cela est allé de M. Norman K. Johnson (Oregon State University) qui nous a présenté les différents enjeux liés à la chouette tachetée, à M. Ian Thompson pour le caribou forestier, M. Rick Bonar (Alberta) sur la gestion des carnivores (loups, grizzly), M. Jean-Pierre Tremblay (Université Laval) sur les enjeux écologiques du (sur-)broutage des cerfs de Virginie à, finalement, M. Pierre Drapeau (UQAM) sur la nécessaire préservation de la biodiversité associée aux forêts anciennes et exprimée par les communautés d’oiseaux.
Il n’y aura pas de solution simple pour résoudre ces derniers enjeux et, comme le disait si bien M. Thompson, on est dans le monde de l’expérimentation! Mais fait à noter, au Québec les responsables de la faune viennent de passer du Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (dorénavant MRN plutôt que MRNF) au Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Une décision un peu surprenante considérant justement la complexité des enjeux fauniques. L’OIFQ a d’ailleurs publié un communiqué pour exprimer ses « réserves » sur cette décision. Toutefois, ne connaissant pas le fond de l’histoire (qui la connaît??), je me garderai bien de faire plus de commentaires sur le sujet!
En conclusion… il y aurait encore bien à dire considérant les autres conférences auxquelles j’ai assisté et les sorties que j’ai faites en marge du congrès. C’est au fond bon signe tant pour moi que les organisateurs du congrès qui ont su intelligemment fusionner les évènements de deux organisations pour n’en faire qu’un seul. Et si je peux rajouter une touche personnelle à ce compte-rendu, j’encourage tous les participants à des congrès à écrire une chronique sur le sujet. Trop souvent, pour en avoir fait l’expérience, on oublie ce qui s’est dit dans les jours suivants les congrès alors que l’on se reconnecte sur notre réalité quotidienne. « S’astreindre » à un compte-rendu oblige à la base à prendre de bonnes notes et ensuite faire un retour sur le passé de telle façon que l’expérience reste gravée. Je suis conscient que cela pourrait donner des idées à des directeurs de thèse qui me feront détester par bien des étudiants, mais je vous l’assure : c’est pour votre bien!