SAF 2013 — Carnet de voyage n°4: État de la foresterie autochtone aux États-Unis

Carte des Réserves autochtones aux États-Unis (Carte produite par le U.S. Census Bureau en 2006 – Domaine Public, Source)
Un des champs d’intérêt que j’ai développé depuis l’ouverture de mon blogue est celui de la foresterie autochtone. J’ai donc saisi la chance que m’offrait le congrès de la Society of American Foresters 2013 d’avoir un Atelier dédié à un bilan de la foresterie autochtone aux États-Unis!
Mais avant de parler « bilan », il convient de mettre en contexte l’aménagement forestier autochtone chez nos voisins du Sud. Leurs forêts couvrent 7,3 millions d’hectares répartis en 305 Réserves dans 24 États et elles représentent le tiers du total de la superficie des Réserves. Ces forêts n’appartiennent pas directement aux Autochtones, c’est l’État américain qui conserve les droits en fiducie et qui exerce ses responsabilités d’aménagiste via le Bureau of Indian Affairs (en collaboration avec les responsables autochtones). En pratique toutefois, les communautés autochtones sont très libres d’aménager leur territoire selon leur vision (chronique précisant l’aspect légal).
« Les Autochtones sont avant tout des aménagistes ». C’est l’essence du message qu’a passé M. Philip Rigdon, Président de l’Intertribal Timber Council. Cet organisme à but non lucratif vise à promouvoir l’aménagement des ressources naturelles chez les communautés autochtones. Et quand M. Rigdon parlait de la culture d’aménagistes chez les Autochtones, il ne faisait pas référence aux dernières décennies, mais à des milliers d’années avant l’arrivée des Européens alors qu’ils utilisaient le feu pour aménager leur territoire (entre autres utilisations). En fait, les Autochtones ont tellement aménagé le territoire avant l’arrivée des Européens que M. Rigdon n’a pu s’empêcher de se moquer gentiment des premiers naturalistes américains qui décrivaient les forêts « vierges » américaines… Il n’y avait pas de forêts vierges! (le livre Forgotten Fires dont j’avais parlé l’an dernier aborde spécifiquement ce sujet)
Un des buts de l’utilisation historique du feu par les Autochtones était de se protéger des incendies de forêt. C’était un enjeu dans le passé… et cela l’est tout autant sinon plus aujourd’hui, la principale cause d’inquiétude étant aujourd’hui les feux qui proviennent des forêts voisines. Et à cet égard les Forêts nationales sont une source d’inquiétude particulière, car à la suite d’un siècle de contrôle des feux combiné à peu d’aménagement dans les vingt dernières années, les incendies de forêt profitent de la grande quantité de matériel inflammable présent pour brûler avec des intensités très élevées, rendant leur contrôle très difficile. Le cas du Wallow fire l’an dernier étant un très bon exemple.
Pour les Autochtones, la solution à ce problème passait par une implication dans l’aménagement des forêts adjacentes aux Réserves afin de réaliser des travaux de réduction du matériel inflammable. En 2004, le Tribal Forest Protective Act a été adopté par le gouvernement américain pour donner les assises légales nécessaires à des ententes entre les communautés autochtones et le USDA Forest Service ou le Bureau of Land Management (note: ce dernier est lié au Département de l’Intérieur alors que le premier est lié au Département de l’Agriculture). De cette législation est né le programme Anchor forests avec trois projets « modèles » dans l’État de Washington (photo ci-dessous). Ces projets d’aménagement collaboratif regroupent des organismes fédéraux, de l’État, du milieu privé, des groupes environnementaux et, naturellement, des Tribus autochtones. Un des projets est d’ailleurs en collaboration avec la Forêt nationale de Colville dont je vous entretenais l’an dernier.

Localisation des projets-modèles dans le programme des « Anchor forests » dans l’État de Washington (Photo: E. Alvarez)
Mais pour faire face à leurs enjeux forestiers, les communautés autochtones doivent cependant composer avec de sérieuses contraintes financières, particulièrement chez leur partenaire gouvernemental (Bureau of Indian Affairs). Cela a été mis en évidence dans le troisième Indian Forest Management Assessment, un rapport décennal qui se veut une étude indépendante des principaux enjeux de la foresterie autochtone aux États-Unis. C’est l’Intertribal Timber Council qui a la responsabilité de produire ce document. Le premier ayant été déposé en 1993, ce troisième rapport offrait donc un recul de 20 ans sur les premiers constats (les différents rapports). Et depuis 20 ans, certaines choses n’ont pas changé, comme le manque de financement. La Figure ci-dessous illustre les enjeux financiers auxquels font face depuis au moins une vingtaine d’années le Bureau of Indian Affairs, et conséquemment les Autochtones. Et si on traduit le manque de financement en personnel, la foresterie autochtone est en déficit d’environ 800 personnes.

Comparatif entre le budget fédéral annuel alloué aux Autochtones pour la foresterie et les travaux de réduction du matériel inflammable avec l’estimé des besoins (Adapté du résumé exécutif de l’IFMAT-III par E. Alvarez)
Le plus grand défi pour l’avenir va cependant être de recruter et garder du personnel. Il y a des statistiques encourageantes quand on considère qu’en 1992, 22% des forestiers à l’emploi du Bureau of Indian Affairs ou des Tribus étaient Autochtones et que cette proportion est montée à 48% en 2012. Toutefois, < 2% des forestiers autochtones ont moins de 30 ans comparativement à 10% pour les forestiers du USDA Forest Service. Comme cela est aussi noté dans l’Indian Forest Management Assessment, les difficultés dans le recrutement et la rétention du personnel, combinées aux contraintes financières, mettent en péril le développement du modèle d’aménagement forestier autochtone. Un modèle basé sur l’équilibre à long terme entre les enjeux économiques, environnementaux et culturels et qui incorpore les connaissances traditionnelles avec la science occidentale. Un modèle qui pourrait être repris dans les forêts fédérales.
Je crains cependant qu’au-delà des cercles impliqués dans la foresterie autochtone, il y ait un manque d’enthousiasme pour cette vision dans le monde forestier aux États-Unis. Peut-être que ça ne veut rien dire, que c’était dû au fait que nous étions samedi matin à 8 h, mais lorsque l’Atelier a commencé, nous étions 6 ou 7 dans la salle, présentateurs et animateur compris, alors que le congrès comptait plus de 1 500 participants… Le nombre de participants a augmenté au fil de la matinée, mais la salle (capacité d’environ 70 personnes) n’a jamais failli être pleine… Mettons cela dans la catégorie des défis! Mais si je me fie à l’exemple de l’an dernier avec le Wallow Fire, c’est par l’exemple que la foresterie autochtone a de bonnes chances de s’implanter et poser sa marque dans l’aménagement des forêts publiques (et peut-être privées) aux États-Unis.