Quelle place pour les gouvernements dans l’aménagement des forêts publiques? (compte-rendu d’un débat sur le FSC)
Le hasard m’amène à écrire ma dernière chronique de l’année sur le même sujet que je l’avais commencée, soit la certification FSC (Forest Stewardship Council). Le contexte est toutefois très différent. Au début de l’année, c’était un dossier que j’avais développé. Aujourd’hui il s’agit du compte-rendu d’un débat qui a eu lieu le 19 novembre dernier à la Faculté de Foresterie, Géographie et Géomatique de l’Université Laval. Un débat organisé à l’initiative des finissants en foresterie sur le thème Certification forestière: sommes-nous toujours maîtres de nos forêts? Question provocante s’il en est une dans le monde forestier d’aujourd’hui et avec un panel à la mesure des enjeux impliqués, soit (dans l’ordre de la photo ci-haut):
— Monsieur Luc Bouthillier (professeur, Université Laval)
— Madame Sophie Gallais (Nature Québec)
— Monsieur André Tremblay (PDG, Conseil de l’Industrie Forestière du Québec)
— Monsieur François Dufresne (président, FSC Canada)
— Monsieur Christian Awashish (Chef atikamekw, communauté Opitchiwan)
— Monsieur Ronald Brizard (sous-ministre associé aux Forêts, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec — MFFP)
La « formule » compte-rendu implique pour moi de retransmettre l’information le plus factuellement possible de sorte que quelqu’un qui n’était pas au débat puisse avoir l’impression qu’il y était. Malgré de louables efforts en ce sens, force est d’admettre que je n’ai pas pu, cette fois-ci, m’en tenir à cette stricte « formule ». La cause en étant que j’ai non seulement déjà bien écrit sur le sujet, mais aussi que ce débat a agi sur moi comme un nouveau stimulus pour approfondir ma réflexion. Donc, pour aujourd’hui, je vous invite à un compte-rendu-réflexion sur l’enjeu de la certification FSC.
Le Québec forestier, ce gamin
Entamons ce compte-rendu par la réponse donnée par les panélistes à la « provocante » question… ou plutôt la non-réponse, car elle fut habilement contournée!
Bien sûr, dans le cas d’un chef autochtone comme M. Awashish, la notion d’être « maître de ses forêts » prend une signification bien différente que celle exprimée dans l’invitation au débat! Il fut de fait presque gêné d’avoir à y faire référence pour rapidement bifurquer vers les revendications territoriales de sa communauté.
La réponse de M. Dufresne fut de mon point de vue la plus éclairante (note: la qualité sonore de la salle n’était pas optimale pour un enregistrement; ce n’est donc pas un parfait verbatim, mais le sens est là): « Oui, le Québec est maître de ses forêts et il va le rester pour toujours… toutefois, se dépêcha-t-il d’ajouter, il a des responsabilités internationales face au patrimoine forestier qu’il aménage ». L’implication est claire: le Québec peut s’amuser comme il veut avec ses forêts, mais à l’échelle internationale il n’a pas assez de crédibilité comme bon aménagiste. Corollaire: il lui faut donc un « passeport » sous la forme (naturellement) de la certification FSC. Et c’est la réalité du Québec forestier d’aujourd’hui.
Produits Forestiers Résolu a perdu des clients parce que certains de ses certificats FSC avaient été suspendus, pas parce que la compagnie ne respectait pas les règles gouvernementales (de fait, l’aménagiste est le gouvernement). Dans la réalité du Québec forestier d’aujourd’hui, le point de vue de trois auditeurs FSC concernant l’aménagement d’une forêt au Québec a plus de crédibilité que le MFFP avec ses près de 2000 fonctionnaires dédiés au secteur « Forêts ». On est donc peut-être « maîtres » dans notre « cour », mais si l’on veut passer dans la cour des « grands », il nous faut l’autorisation d’une autorité supérieure: le FSC.
La certification FSC, optionnelle?
« La certification FSC est un processus volontaire ». Cela a été rappelé à quelques reprises lors du débat. Conséquence logique: l’idée que cette certification puisse devenir « maître » des forêts du Québec devient alors automatiquement caduque. Toutefois, si le volontariat associé au FSC a certainement déjà été vrai, il faut presque être de mauvaise foi pour prétendre que c’est toujours le cas aujourd’hui.
Lorsque M. Tremblay déclara que dans le contexte actuel « qu’il valait peut-être mieux ne pas être certifié que de perdre sa certification », M. Dufresne répondit rapidement que cette déclaration le faisait « sursauter ». Clairement, il fut piqué « au vif » par cette idée que l’industrie forestière québécoise puisse considérer, volontairement, ne plus être certifiée FSC.
Par « contexte », M. Tremblay référait au fait que la certification FSC est relativement peu présente en Colombie-Britannique (2 millions d’hectares contre 24,5 millions au Québec) sans que ça ne l’empêche de vendre ses produits forestiers. Aussi, il a rappelé que le FSC a récemment adopté une résolution sur les grands massifs de forêts intactes qui pourrait avoir un impact négatif sur l’industrie forestière québécoise (M. Dufresne a minimisé ces risques).
Produits Forestiers Résolu a, quant à elle, fait très récemment sursauter le président international du FSC. Cela pourrait d’ailleurs lui valoir d’être expulsée comme membre de cet organisme de certification (cela ne l’empêcherait pas d’être certifiée, mais de participer aux débats pour faire valoir ses points de vue concernant l’évolution de la norme). La cause? Suite à la réémission d’un de ses certificats FSC en Ontario, la compagnie a publié un communiqué pour annoncer qu’elle ne chercherait pas à obtenir de nouvelles certifications FSC. Le président de FSC international y vit là un geste inapproprié de la part d’un membre du FSC, ces derniers étant tenus de « promouvoir la crédibilité du FSC ainsi que ses actions, sa réputation et sa raison d’être » (traduction personnelle).
En résumé, le « volontariat » associé au FSC est aujourd’hui de moins en moins vrai, voire chose révolue. Et de façon pragmatique, c’est une chose facile à comprendre. Le FSC est en guerre contre d’autres programmes de certification pour s’imposer comme LA référence planétaire. Or, la mesure de la crédibilité d’une certification forestière tient à une seule variable: le nombre de « millions d’hectares certifiés ». Face à la compétition, le FSC ne peut donc trop compter sur le seul « volontariat » pour s’imposer. D’où le rôle « utile » de Greenpeace.
Du droit divin d’inquisiteur de nos forêts de Greenpeace
Greenpeace n’avait pas de représentant officiel au débat, mais fut malgré tout très présente, sa bataille avec Produits Forestiers Résolu n’étant jamais très loin dans les commentaires. C’est d’ailleurs Greenpeace qui fut à l’origine des seules réelles flammèches de ce débat généralement très posé. L’initiateur en fut M. Bouthillier qui en réponse à une question du public quant à savoir si Greenpeace instrumentalisait le FSC, a répondu avec une analogie.
Remontant à la création des premières Forêts nationales et Parcs américains il y a un siècle, M. Bouthillier mit en relation le travail du président américain de l’époque, M. Theodore Roosevelt, avec Greenpeace aujourd’hui. Il faut savoir que les États-Unis ont pendant très longtemps eu comme politique de privatiser leurs terres et forêts; appliquer une logique inverse demanda donc un sérieux « effort » politique. Pour expliquer le succès de sa stratégie de négociation, M. Roosevelt aurait répondu à peu près en ces mots: « Lorsque je réalise que je parle avec quelqu’un de mauvaise foi, je parle avec beaucoup de gentillesse, je parle avec un ton très doux… et je manipule un gros bâton ».
Selon M. Bouthillier, Greenpeace fait exactement la même chose. Produits Forestiers Résolu ayant fait preuve (selon lui) de mauvaise foi environnementale, il était donc normal que le « gros bâton » de Greenpeace frappe (et fasse mal). C’est là que le ton a monté alors que M. Tremblay a rapidement et vertement répliqué que les propos de M. Bouthillier sur la « mauvaise foi » de la compagnie étaient inacceptables.
Aussi amusante soit-elle, il faut ici souligner l’évidente faille de cette analogie: le président Roosevelt était un élu imputable vis-à-vis de ses concitoyens alors que Greenpeace n’est imputable que devant ses contributeurs.
Il est à noter que les actions « brutales » de ce membre du FSC qu’est Greenpeace ne semblent pas entrer en conflit avec le fait de « promouvoir la crédibilité du FSC ainsi que ses actions, sa réputation et sa raison d’être ». Jamais je n’ai entendu un représentant du FSC sermonner Greenpeace pour ses actions visant à faire perdre, en son nom, des clients à des entreprises. M. Dufresne en aurait eu l’occasion, mais il s’en est bien gardé.
En réponse à une question du public quant à savoir dans quelle mesure le FSC était volontaire alors que l’organisme faisait des pressions contre les entreprises qui n’y adhéraient pas à 100%, M. Dufresne a répondu que « Le FSC ne faisait aucune pression ». Cela est techniquement tout à fait exact. Mais si je peux me permettre, c’est là une réponse d’une terrible mauvaise foi. M. Dufresne ne pouvait ne pas être conscient que la question avait été mal formulée et faisait plutôt référence à Greenpeace qui agit au nom du FSC, ce dernier bénéficiant largement des actions de ce groupe environnemental.
Le FSC, ce jouet autochtone
Un qui fut d’une extrême honnêteté fut M. Christian Awashish. Il l’a clairement annoncé: l’an prochain tous les détenteurs de certificats FSC de la Mauricie verront leur certificat suspendu, et seront donc sous la menace du « gros bâton » de Greenpeace, si sa communauté n’en vient pas à une entente avec le gouvernement du Québec concernant leurs droits territoriaux; des droits en négociation depuis 35 ans. Comment? Tout simplement parce que c’est un des grands principes internationaux du FSC que les nations autochtones doivent donner un consentement « éclairé et de leur plein gré » pour l’aménagement forestier sur leurs territoires. Or, M. Awashish a déclaré que ce ne sera pas le cas, quelle que soit la quantité de courbettes que pourrait lui faire l’industrie forestière d’ici là.
Il n’est donc aucunement question de « mauvaise foi » industrielle ici. Ce qui est en jeu, ce sont des droits territoriaux, des « certitudes » dans les mots de M. Awashish. Or, l’industrie ne peut donner de « certitudes » territoriales aux nations autochtones. Seul le gouvernement peut le faire. Candidement exposée, la « stratégie FSC » de M. Awashish peut être ainsi interprétée: on dit « non » -> les certificats FSC sont suspendus -> le « gros bâton » Greenpeace entre en jeu -> le gouvernement plie pour éviter les pertes d’emplois.
Faisons ici un lien avec les droits acquis par la nation Tsilhqot’in l’an dernier en Colombie-Britannique. Après une longue lutte de 12 ans devant les tribunaux, cette nation a obtenu des droits territoriaux qui sont très proches d’un droit de propriété. Toutes les superficies réclamées au départ ne furent pas accordées par le juge, mais sur les territoires où leurs droits ancestraux furent reconnus, le gouvernement de la Colombie-Britannique ne peut plus accorder de droits de coupe (entre autres). Tout cela fut rendu possible par la Constitution canadienne.
M. Awashish a fait référence à cette cause et à tous les efforts que cela aurait pu demander pour suivre la même démarche. En offrant de facto aux nations autochtones un droit de veto sur l’aménagement des territoires qu’ils revendiquent, le FSC offre donc potentiellement un chemin plus direct que la Constitution canadienne vers des droits territoriaux.
À mentionner: c’est là un clou de plus dans le cercueil du supposé « volontariat » lié à cette certification.
Conclusion
Il est difficile de conclure cette chronique sans faire un lien avec la précédente sur le thème de la « dépossession », tellement le FSC a retiré des mains du gouvernement québécois le « sceau » de légitimité pour déclarer qu’une forêt est aménagée de façon durable, et ce pas seulement à l’échelle internationale. Vous vous souvenez de la mini crise médiatique plus tôt cette année concernant les critiques du maire de Saguenay envers Greenpeace, critiques sur le fait que cet organisme menaçait des emplois dans sa région? Le verdict populaire en résumé: victoire pour Greenpeace et adoubement du FSC.
Peut-on donc vraiment parler de dépossession quand la population est à l’évidence heureuse de céder un droit de regard sur l’aménagement de ses forêts à un organisme dont le siège social est à Bonn (Allemagne)? Cela se rapproche plus d’un don que d’une dépossession! Cela ramène aussi le débat à une question fondamentale: quel rôle les gouvernements ont-ils aujourd’hui à jouer dans l’aménagement des forêts publiques?
Éloignons-nous un instant de la certification forestière et attardons-nous à L’Entente sur la forêt boréale; une entente entre groupes environnementaux et industriels forestiers conclue en 2010 sur le comment aménager un territoire forestier qui couvre 73 millions d’hectares de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. C’est une entente dans laquelle est partie prenante Produits Forestiers Résolu et qui fut donnée comme exemple de « bonne foi » environnementale de cette compagnie par M. Tremblay à M. Bouthillier (à noter que Greenpeace a déjà fait partie de cette entente, mais s’en est retiré). De fait, L’Entente touche l’enjeu très sensible du caribou forestier. LE point majeur à retenir ici: aucun gouvernement n’est signataire de cette entente qui s’étend sur 73 millions d’hectares… de forêts publiques!
Vous avez peut-être noté que je n’ai pas parlé de la « voix » du gouvernement (M. Brizard) dans ce débat. C’est involontaire. Tout d’abord, ce que j’avais noté en lien avec ses interventions ne cadrait pas avec la direction qu’a prise cette chronique. Mais surtout, cela reflète la dynamique du débat qui en fut une entre le FSC, l’industrie forestière et jusqu’à un certain point Greenpeace représentée indirectement par M. Bouthillier (Mme Gallais a fait de bonnes interventions, mais il est difficile de se démarquer en portant le même chapeau qu’un tribun comme M. Bouthillier). Une dynamique de débat qui reflétait la réalité « terrain » et, à l’image de cette réalité, la voix du gouvernement a eu de la difficulté à prendre sa place. Cela explique peut-être que M. Dufresne se soit senti confortable de déclarer: « Le FSC représente la société ». La réflexion de fond, elle est peut-être là aujourd’hui.
*************************
Comme il est toujours bon d’avoir plusieurs points de vue sur un même évènement, je vous invite à lire le compte-rendu de Mlle Clara Canac-Marquis, une finissante en foresterie impliquée dans l’organisation de ce débat.
Il est temps que les Québécois se rendent compte de ce qu’est rendu la certification forestière maintenant et des problèmes qu’elle engendre maintenant pour les régions forestières du Québec. Quand j’ai commencé ma formation en aménagement forestier à l’Université Laval, j’étais bien en faveur des certifications forestières, mais voyant maintenant les dérives qu’il y a avec FSC, je ne suis plus aussi certain de leur bien-fondé. Au Québec, FSC ne garantit en rien que l’aménagement soit effectué de façon durable, nous avons déjà une loi pour ça. Bien sûr qu’il y a moyen de faire mieux, de faire plus, mais on est loin des problématiques de déforestation et de coupes illégales qu’on retrouve en forêt tropicale là où la certification forestière prend vraiment son sens.
Je lis ce billet la journée où la nation Atikamekw aura mis sa menace à exécution; une plainte a été déposée auprès de l’auditeur FSC en Mauricie sur la notion de «consentement préalable, libre et éclairé». Le gouvernement du Québec a maintenant un très gros problème sur les bras, car ça touche un autre très gros territoire et plusieurs entreprises. Après le Lac-Saint-Jean et la Mauricie, j’imagine que la prochaine région à y passer sera la Jamésie avec le conflit touchant à la vallée de la Broadback… Ça me fait penser aussi que j’ai bien hâte de voir la mouture finale de la résolution 65 sur les paysages forestiers intacts de FSC et de voir les impacts pour la foresterie en forêt boréale au Québec.
Vous terminez ce billet avec la déclaration de M. Dufresne disant que «Le FSC représente la société». Eh bien, il serait plus qu’urgent d’expliquer à cette société quel est cet aménagement durable des forêts qu’on pratique au Québec. Malheureusement, je crains que ce travail d’éducation ne soit pas fait et que FSC ne devienne effectivement maître de nos forêts…
De fait, la situation est plutôt «préoccupante». Toutefois, un peu comme Icare, je perçois que le FSC s’approche peut-être un peu trop du soleil… Son instrumentalisation par les nations autochtones n’est pas une bonne nouvelle pour ce programme de certification. Je comprends les nations autochtones (être à leur place, je ferais probablement la même chose). Mais pour le FSC, ça enlève un élément de sérieux. M. Bouthillier insista beaucoup pendant le débat sur la notion de «bonne foi» pour que la certification fonctionne. Dès l’instant où il est clair que cette notion disparaît pour un des acteurs majeurs (autochtones), c’est le FSC qui est mis en danger. Pas demain, mais peut-être bien après-demain.
Merci pour le commentaire 🙂