« Pourquoi la nature vierge n’existe pas »
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Deuxième texte de ma formule « expresso ». Pour en saisir la logique et la genèse, c’est ici.
Le titre de ma chronique est une traduction de « Why there’s no such thing as pristine nature », l’article de vulgarisation que je vous présente aujourd’hui (autrice : Julia Rosen, journaliste scientifique).
Cet article de 2021 est un survol de l’évolution de nos connaissances concernant la relation millénaire entre les humains et la Nature. Il s’appuie sur de très nombreuses références scientifiques couvrant différentes parties du globe, si ce n’est la planète dans son ensemble.
Cet article documente aussi très bien pourquoi des stratégies d’aménagement forestier et de protection de la biodiversité axées sur un retour aux conditions préindustrielles, comme au Québec, ne sont pas seulement vouées à disparaître, mais le doivent.
Sous le titre de l’article, on retrouve un synopsis qui donne le ton :
Un nombre croissant de recherches démontrent que les humains façonnent la planète depuis des millénaires — brouillant l’idée même de régions sauvages (wilderness) et incitant à une révolution dans le monde de l’écologie et de la conservation. [traduction]
— Rosen 2021
Le premier exemple donné concerne le noyer du Brésil (Bertholletia excelsa). Un arbre qui peut atteindre une cinquantaine de mètres de hauteur et vivre un millier d’années. Sa reproduction n’apparaît pas aisée. Pour autant, c’est une des espèces d’arbres les plus communes en Amazonie.
Le « comment » se comprend en lisant le titre d’une étude publiée en 2021 et présentée par Mme Rosen : « Quatre-vingt-quatre pour cent de tous les individus végétaux arboricoles amazoniens sont utiles à l’homme » [traduction]. C’est dire que la présence de cette espèce d’arbre en Amazonie n’est pas le fruit du hasard, mais d’une sélection par les humains (note : il donne la noix du Brésil).
En entrevue, une co-autrice de cet article scientifique précise qu’il est « impossible » de séparer les composantes humaines et forestières lorsque l’on veut comprendre l’écosystème amazonien. Cette réalité scientifique est somme toute très récente alors que pendant très longtemps l’Amazonie fut synonyme de territoire vierge. Le problème plus large ici s’exprimant ainsi :
Si vous demandez à Erle Ellis ce que les gens ont tendance à avoir faux à propos de la relation de l’humanité avec la Nature, il répond que cela commence par le mythe selon lequel « il peut y avoir des humains qui ne façonnent pas la Nature ». [traduction]
— Rosen 2021
M. Ellis est un professeur de l’Université du Maryland, spécialiste des écosystèmes aménagés par les humains. En 2021, il a été le premier auteur d’une étude scientifique regroupant dix-huit collaborateurs internationaux et publiée sous le titre : «L’humain a façonné la majeure partie des éléments de la nature terrestre depuis au moins 12 000 ans » [traduction].
À cet égard, l’humain a façonné la planète sous des angles tant positifs que négatifs.
À l’exemple du noyer du Brésil, l’humain a favorisé certaines espèces. Mais il a aussi nui à d’autres. Sciemment même. Et avec une cascade d’effets écologiques.
Le sujet semble destiné à rester une controverse scientifique, mais il apparaît de plus en plus évident que les humains ont au moins eu une contribution dans la disparition de gros herbivores et carnivores (mégafaune) il y a quelques milliers d’années. Des espèces qui jouaient un grand rôle dans leurs écosystèmes respectifs.
Par exemple, plusieurs espèces d’éléphants se sont éteintes alors qu’Homo sapiens se dispersait sur la planète. Or, les éléphants contribuent à la création de milieux ouverts et à la réduction des risques d’incendie par leur broutage (moins de combustible). Éliminer des pans entiers de leurs représentants a nécessairement influencé l’évolution des écosystèmes dans lesquels on les retrouvait. C’est un exemple. L’autrice en donne d’autres.
Sous l’angle positif, Julia Rosen fait ressortir des études montrant que l’humain peut être un grand vecteur de promotion de la biodiversité. Des territoires aménagés depuis très longtemps par des sociétés indigènes peuvent avoir autant, sinon plus de biodiversité que les « wilderness » (aires où on laisse aller la Nature). En fait, si l’on « extrait » les humains pour favoriser la seule Nature, les écosystèmes peuvent se dégrader.
À cet effet, Mme Rosen conclut son article sur une note très optimiste quant au rôle positif que les humains peuvent jouer pour transformer et, surtout, prendre soin de notre planète. Pourvu que l’on renverse la tendance à vouloir séparer l’humain de la Nature…
À ce sujet, il est bon de rappeler qu’au Québec notre politique forestière est basée sur l’aménagement écosystémique qui a pour objectif de diminuer les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle (préindustrielle). Aussi, on retrouve dans les réflexions ministérielles le concept de « naturalité ». C’est là un outil pour classifier les milieux forestiers selon un degré d’altération par les humains…
Je ne peux ici conclure qu’en recommandant chaudement la lecture de « Why there’s no such thing as pristine nature ».