Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs : le Roi est nu
Le 1er avril 2013, le gouvernement du Québec réalisait un rêve vieux d’une cinquantaine d’années en devenant, par le biais du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), le seul aménagiste des forêts publiques québécoises.
Les premières intentions avaient en effet été exprimées en 1965 par le ministère des Terres et Forêts (MTF) par le biais d’un Livre vert sur l’administration des forêts publiques. Il fallut cependant attendre 1974 pour que ces premières intentions se traduisent en politique alors que le gouvernement adoptait une Loi pour mettre fin aux concessions forestières et les remplacer progressivement par des forêts domaniales aménagées directement par le MTF. Une expérience qui ne dura qu’une dizaine d’années et que j’ai détaillée dans une précédente chronique.
Au tournant des années 1980, crise économique aidant, le gouvernement dut changer son fusil d’épaule et décida que l’aménagement des forêts publiques québécoises continuerait d’être une responsabilité de l’industrie forestière, mais sous une formule différente des concessions, soit des Contrats d’Approvisionnement et d’Aménagement Forestier (CAAF). La Loi sur les Forêts, qui sanctionnait le tout, entra en vigueur le 1er avril 1987. Une vingtaine d’années plus tard, la crise de confiance occasionnée par L’Erreur boréale et, d’une certaine façon, « officialisée » par la Commission Coulombe, donna au gouvernement l’occasion de reprendre où il avait laissé au début des années 1980 et d’aller au bout de son idée initiale.
L’actualité des derniers mois laisse cependant à penser que la durée de ce rêve d’aménagiste des forêts publiques québécoises par le MFFP pourrait ressembler à celle de l’expérience des forêts domaniales. Non seulement les aptitudes d’aménagiste du MFFP sont déjà explicitement remises en cause, mais aussi sa capacité à régler des enjeux d’acceptabilité sociale. De plus, le FSC (Forest Stewardship Council) est sur un mode « ambitieux » avec sa nouvelle norme canadienne et pourrait bien finir par marginaliser le rôle du MFFP. À tout cela s’ajoute ce qui est probablement le problème de base de ce ministère, soit son manque de culture d’aménagiste aux plus hauts sommets de sa hiérarchie.
Le MFFP : un bon aménagiste ?
Ce printemps, le Vérificateur général du Québec publiait un audit de performance sur les travaux sylvicoles dont la responsabilité incombe au MFFP. Le bilan ne fut pas flatteur et, fait rare pour un document aussi aride touchant la foresterie, il fut repris par un éditorialiste du journal Le Soleil sous le titre non moins flatteur de : « Aménager la forêt les yeux fermés ». Le point central de l’audit se résume à un extrait retenu par l’éditorialiste :
Le MFFP ne sait pas si les investissements sylvicoles des dernières décennies ont donné les résultats escomptés.
Mettant en parallèle le fait que le Vérificateur général du Québec faisait le même constat en 2002 et considérant que les investissements sylvicoles ont depuis varié entre 200 et 300 millions $ annuellement, l’éditorialiste calcula que ce sont près de 3 milliards $ que le gouvernement avait investis dans nos forêts dans les 15 dernières années sans trop savoir ce que cela avait donné. Ce dernier ne devait pas être le seul à souligner cet « embarras ».
Le 13 juillet dernier, l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (OIFQ) réagissait par la voie d’un communiqué très dur à l’égard du MFFP. Le président, M. Laliberté, y mentionnait que le ministère « (…) agit comme un jardinier qui se contenterait de planter des graines et d’entretenir son jardin, sans ne jamais évaluer le résultat de son travail et le fruit de sa récolte. » Comme l’éditorialiste du Soleil, M. Laliberté rappelait que ces constats n’étaient pas nouveaux et avaient d’ailleurs déjà été émis par l’OIFQ.
Au-delà des critiques sur le constant manque de suivi des travaux sylvicoles en forêt publique, tant l’éditorialiste que l’OIFQ demandaient des changements profonds à la structure d’aménagement des forêts publiques qui verraient le MFFP perdre ses prérogatives. Le cas de l’OIFQ est particulièrement probant considérant que c’est le seul ordre professionnel lié spécifiquement à l’aménagement des forêts et ses conclusions sont très sévères :
Malheureusement, l’organisation du travail et la lourdeur bureaucratique nuisent à l’exercice plein et entier de leurs [les ingénieurs forestiers] compétences. Le fractionnement des tâches est particulièrement problématique. « L’ingénieur forestier qui planifie les travaux n’est pas celui qui les applique et les supervise en forêt. Au bout du compte, personne n’est véritablement imputable du résultat des travaux.» (M. Laliberté)
Tant l’éditorialiste que l’OIFQ prônent un transfert des responsabilités de l’aménagement forestier du MFFP à des Sociétés d’aménagement qui opèreraient à des échelles locales.
Il y aurait à discuter sur ces propositions, mais le point à retenir ici est que tant pour le seul média qui s’est attardé au dossier que pour l’ordre professionnel chargé d’aménager les forêts, le constat est le même : en tant qu’organisation, le MFFP n’est pas un bon aménagiste forestier et il n’y a aucun espoir qu’il le devienne. De plus, il ne semble pas davantage capable que l’industrie de « vendre » ses coupes.
Acceptabilité sociale : MFFP = industrie ?
Suite à L’Erreur boréale, l’idée que l’industrie forestière reste responsable de l’aménagement des forêts publiques était devenue intenable dans l’opinion publique. En théorie, et bien que le gouvernement était loin d’avoir eu un beau rôle dans ce documentaire, le fait qu’il reprenne en main l’aménagement forestier aurait dû favoriser l’acceptation sociale de cette activité. Après tout, le gouvernement représente l’intérêt commun. Or, ce qui se passe au mont Kaaikop (Sainte-Lucie-des-Laurentides) est probablement un symptôme que sous l’angle de l’acceptabilité sociale, le MFFP ne fait pas mieux que l’industrie forestière.
C’est là un « vieux » dossier que j’avais abordé en 2014. Pour résumer, depuis 2011 le MFFP pilote un projet de coupes dans le secteur du mont Kaaikop. Quoique toutes les consultations furent faites dans les règles, la contestation éclata en 2013 et le projet se retrouva en cour. En 2014, une injonction fut émise contre ce projet de récolte.
Depuis cependant, le MFFP a obtenu l’annulation de l’injonction, une évolution qui m’avait échappé et qui n’est réapparue sur mon écran radar que cet été par le biais d’un article dans le Journal de Montréal intitulé : « Une forêt des Laurentides menacée : Québec donne des droits de coupes forestières dans une municipalité qui dépend du tourisme ». Comme le titre l’exprime, l’article donne l’impression que le gouvernement, loin de remplir son rôle d’arbitre et de gardien du bien commun, serait plutôt au service de l’industrie forestière.
Que le MFFP soit embourbé depuis près de six ans dans ce relativement petit dossier et qu’il va en sortir en perdant plusieurs plumes d’estime sociale n’augure pas très bien pour la suite des choses. S’assurer que les forêts publiques du Québec, qui représentent environ 85 % des forêts sous aménagement, jouent un rôle de premier plan dans la vie économique tout en répondant à un grand nombre d’enjeux environnementaux et sociaux est probablement un trop gros défi pour une seule organisation. De fait, malgré son autre chapeau de législateur, il y a une sérieuse menace que le MFFP perde son « imprimatur » sur les forêts publiques pour cause d’irresponsabilité (dixit le FSC).
Le MFFP, un aménagiste forestier canadien irresponsable
J’ai déjà écrit deux chroniques sur ce que j’estimais être les limites de la certification FSC ainsi que les dangers qu’elle fait courir au MFFP quant à son rôle de répondant ultime vis-à-vis de la population concernant l’aménagement de nos forêts publiques (chronique de 2014 et de 2015). Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur les points alors développés. Je vais plutôt vous présenter deux extraits de la réaction (négative) de FSC Canada concernant le plan fédéral pour le caribou forestier et comment cela devrait inquiéter non seulement le MFFP, mais aussi l’ensemble des autorités publiques canadiennes :
Environ 20 pour cent — 55 millions d’hectares — des forêts aménagées au Canada sont certifiées FSC. Par conséquent, la foresterie irresponsable peut représenter une menace importante [à la biodiversité]. Si l’ensemble des activités forestières devaient se conformer aux normes du FSC, les risques seraient grandement atténués, notamment grâce à la protection des espèces menacées, telles que le caribou forestier, et des droits des peuples autochtones.
Et
« Nous devons veiller à ce que nos forêts soient mieux protégées par des normes qui non seulement protègent la faune, mais qui respectent nos besoins économiques, sociaux et environnementaux, ainsi que ceux des peuples autochtones pour les générations à venir. La nouvelle norme canadienne du FSC a été élaborée expressément pour rencontrer ces objectifs. » (M. Dufresne, président FSC Canada)
Donc, pour FSC Canada, 80 % des forêts canadiennes sous aménagement, très majoritairement publiques, seraient actuellement à risque d’être aménagées de façon irresponsable vis-à-vis de la biodiversité, même si l’aménagiste est un ministère. Aussi, le salut ne pourra venir que par la future norme canadienne du FSC qui devrait entrer en vigueur en 2018.
Cette norme canadienne est en élaboration depuis 2012 et devrait remplacer en 2018 les différentes normes régionales que l’on retrouvait jusqu’à aujourd’hui au Canada, comme la norme boréale au Québec. À cette fin, des indicateurs communs « d’un océan à l’autre » ont dû être développés. (Pour la petite note, j’écrirai probablement un texte sur le sujet lorsque la version définitive sera adoptée, soit normalement vers la fin de l’année. Pour les intéressés-es à en avoir un aperçu, une ébauche de cette norme pour consultation publique est disponible ici).
La réaction de FSC Canada n’est pas surprenante. C’est dans l’ADN de cette organisation de considérer qu’elle seule détient la vérité sur, non seulement comment les forêts devraient être aménagées, mais aussi quelles valeurs devraient prédominer sur les autres (indice : environnementales). Cela même s’il s’agit de forêts publiques et que le FSC est une organisation non gouvernementale (vous ne pouvez pas voter pour un représentant FSC).
Il faut ici prendre conscience que si FSC Canada regarde de haut le gouvernement fédéral sur la question du caribou forestier, quel « poids » aura le MFFP aux yeux de cette organisation lorsque sa norme canadienne sera adoptée? À terme, le FSC vise à être la voix canadienne pour les forêts à l’échelle internationale et des considérations comme le fait que la constitution de la fédération canadienne laisse la responsabilité des forêts aux provinces n’ont rien à voir dans le débat. Et je peine à voir ce que le MFFP, et les autorités publiques du reste du Canada, ont comme initiative pour éviter de devoir un jour se contenter de dire « Oui, M. Dufresne » pour tout ce qui concernera l’aménagement de nos forêts publiques.
Finalement, si j’en reviens spécifiquement au MFFP, j’en suis personnellement venu à la conclusion que le problème philosophique de ce ministère, en tant qu’aménagiste, pouvait se résumer en une photo.
Le MFFP ou la culture d’aménagiste en mode égoportrait (selfie)
I’m just a link in a long chain
Cette petite citation est tirée d’une chronique de 2015 dans laquelle je rapportais le compte-rendu d’un voyage en Allemagne, un pays avec une très longue histoire forestière. L’expression avait été émise par un aménagiste d’une forêt familiale où l’aménagement avait commencé il y a quelques siècles. Pour moi, elle représente ce que devrait être la devise d’un aménagiste, soit d’être très humble et de travailler en ayant à l’esprit pas seulement la future génération, mais les prochaines. Un aménagiste ne donne pas un spectacle.
C’est pourquoi lorsque j’ai vu la photo ci-dessous dans un article du journal Le Quotidien, j’ai à la fois été un peu découragé et en même temps je n’ai pu m’empêcher de me dire : « c’est ça le problème de base ».
L’octroi d’une garantie d’approvisionnement pour redémarrer une usine à Chambord (Lac St-Jean) est certes une bonne nouvelle pour ce village. Mais de voir « l’aréopage » de politiciens, dont le ministre des Forêts, prendre la pose pour cette annonce est très loin de l’esprit « humble » que devrait être celui d’un aménagiste. La forêt devient ici un objet d’avancement d’intérêts politiques. Cela n’est pas nouveau, mais cela n’en est pas moins malsain. Et surtout, lorsque l’on pense aux trois points précédents, on peut difficilement imaginer que le MFFP puisse résoudre ces enjeux lorsqu’au sommet de la hiérarchie la culture est plus aux égoportraits qu’à la vision à long terme.