Le FSC, le « Parrain » de l’aménagement des forêts du Québec?
Au milieu des années 1990, un petit livre intitulé Les vrais maîtres de la forêt québécoise dénonçait la mainmise de l’industrie forestière sur les forêts du Québec (une édition revue et augmentée fut publiée en 2002). La suspension de deux certificats FSC (Forest Stewardship Council) au Québec de Produits Forestiers Résolu en décembre 2013 relègue cependant cet essai dans la catégorie des livres d’histoire. Car à la lecture de différents documents associés à cet évènement, il est clair qu’aujourd’hui le « vrai maître » de la forêt québécoise c’est le FSC et, en corollaire, les groupes environnementaux.
Avant de développer mon point, une petite mise en contexte technique est nécessaire. Si le FSC établit des principes et critères à l’échelle internationale avec des indicateurs adaptés localement, ce n’est pas le FSC qui va vérifier leur respect sur le terrain. Dans le cas du dossier avec Produits Forestiers Résolu, c’est Rainforest Alliance (groupe environnemental) qui a fait l’audit et qui doit assumer la pleine responsabilité de la suspension. Même en cas de contestation, le FSC ne peut unilatéralement décider de revenir sur la décision d’un auditeur. Plus encore dans la « non-responsabilité » du FSC, ce n’est pas lui qui accrédite les auditeurs, mais une organisation tierce.
Je vais débuter en abordant les trois avis de non-conformité majeurs associés au Principe 3 (Droits des peuples autochtones) du FSC qu’a reçu Produits Forestiers Résolu. Si je résume au mieux les indicateurs qui ont fait problème, ils concernent la nécessité que les communautés autochtones donnent clairement leur accord, et ce de façon éclairée (en ayant toutes les données en main) afin de s’assurer que leurs intérêts spécifiques et ressources ne sont pas menacés.
Produits Forestiers Résolu, le responsable de la certification FSC, est loin d’avoir eu une mauvaise note dans ce dossier. Le problème est que le FSC exige des résultats clairs et que la situation, pour plusieurs raisons qui échappent à la compagnie, est en « suspens » (le meilleur terme que j’ai trouvé). Mais cela ne devrait surprendre personne dans le cas de négociations qui se passent en fait entre les nations autochtones et le gouvernement (via le ministère des Ressources naturelles — MRN), le seul acteur apte à dénouer l’impasse même s’il n’est pas responsable de la certification. Quoique les auditeurs étaient pleinement conscients de la situation de non-responsabilité de l’entreprise sur bien des points et que les dossiers avançaient même s’ils n’avaient pas abouti, ils ont appliqué les règles du FSC qui exigent que les avis de non-conformité doivent être réglés dans un temps donné.
Donc, si on résume ces trois avis de non-conformité, une compagnie forestière responsable de la certification a été sanctionnée sur un sujet pour lequel elle n’a pas de pouvoir pour régler le fond de la question, par des auditeurs qui ont appliqué les règles du FSC sans que celui-ci ne soit impliqué dans le processus, et le « responsable » qui pourrait dénouer les enjeux n’est pas responsable de la certification quoiqu’il est responsable de l’aménagement des forêts. Allez vous y retrouver…
L’avis de non-conformité associé à l’indicateur 5.6.2 est lui aussi très intéressant pour réfléchir sur les responsabilités « partagées » des différents groupes impliqués dans l’aménagement des forêts québécoises et le rôle du FSC. Cet indicateur demande à ce qu’il soit prouvé que l’analyse et le calcul des taux de récolte (calcul de la possibilité forestière) reflètent fidèlement les exigences stipulées dans les autres indicateurs de la norme FSC. Or, depuis quelques années, le calcul de la possibilité est la responsabilité du Bureau du Forestier en chef (BFEC) qui est une « branche » du MRN et, répétons-le, qui n’est pas responsable de la certification. Ce Bureau a été mis en place pour assurer l’indépendance du calcul de la possibilité forestière qui était auparavant une responsabilité de l’industrie.
Il y a eu avis de non-conformité, car les auditeurs ont noté que le BFEC n’avait pas inclus dans le calcul de la possibilité forestière certains éléments comme les aires protégées candidates. En fait, le BFEC a tenu compte de futures aires protégées, mais les auditeurs tenaient à ce qu’il inclut des aires que le BFEC ne jugeait pas assez avancées dans le processus de confirmation. Aussi, il est reproché au BFEC d’avoir utilisé les balises de la Stratégie d’aménagement durable des forêts (note: elle devrait être officiellement publiée sous peu) pour fixer le seuil des vieilles forêts, alors que le requérant de la certification (la compagnie) s’est engagé sur des règles plus sévères. Finalement, il est reproché au BFEC de n’avoir tenu compte du Plan caribou que sur les 10 premières années de la simulation alors que des experts recommandent plus. Et malgré le fait, souligné par les auditeurs, que le responsable du certificat FSC (la compagnie) ait demandé au BFEC d’inclure dans le calcul de la possibilité plusieurs éléments requis par le FSC, comme cela n’a pas été fait dans les temps impartis, il y a eu sanction.
C’étaient là quatre des huit avis de non-conformité qu’a reçus Produits Forestiers Résolu sur 202 indicateurs. Considérant que la compagnie avait droit à un maximum de quatre avis de non-conformité majeurs, vous pouvez aisément comprendre que la suspension aurait pu être évitée. Et si je n’aborde pas en détail les quatre derniers avis, ce n’est pas tant parce qu’il n’y a rien à dire que parce que j’écris une chronique de blogue et non une thèse : )
Le constat qui frappe à la lecture des audits est à quel point le FSC s’est en quelque sorte substitué au gouvernement comme répondant ultime du bon aménagement de nos forêts publiques. Et par « ultime », j’incorpore le MRN qui se trouve de facto à devoir répondre aux exigences du FSC. La Stratégie d’aménagement durable des forêts ne changera rien à ce fait. Dans le contexte actuel, elle est caduque avant d’avoir vécu. LA Stratégie, ce sont les Principes et Critères du FSC.
Si cette situation a quelque chose d’extraordinaire et d’admirable (vraiment), car elle représente un revirement majeur en l’espace de quelques années, elle a aussi des côtés terriblement inquiétants.
En premier lieu, bien que le FSC dicte les règles, il n’engage aucune responsabilité. Or, il ne peut y avoir de bon aménagement forestier sans responsabilité. De plus, si le FSC s’est imposé comme il l’est aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il y a eu un constat général que le FSC produisait des miracles dans l’aménagement des forêts. Il le doit en bonne partie à quelques-uns de ses partisans les plus zélés (Greenpeace et Forest Ethics) qui ont mené de très efficaces campagnes de publicité négative contre de gros acheteurs de papier pour les obliger à s’approvisionner en produits FSC. C’est pourquoi une compagnie papetière comme Produits Forestiers Résolu a pour objectif d’avoir 80% de son approvisionnement certifié FSC; sans cette certification il est assuré qu’elle perdrait plusieurs gros clients. Je n’ai jamais lu que l’organisme FSC approuvait ces tactiques, mais je n’ai jamais lu non plus qu’il les dénonçait. Finalement, il semble y avoir une confusion dans l’esprit de bien des gens entre la portée d’une norme de certification environnementale (ce qu’est fondamentalement FSC) et une norme de certification d’aménagement forestier. Vous pouvez être certifié FSC et mal aménager la forêt.
Si le FSC était vraiment sérieux en aménagement forestier, les auditeurs auraient dû suspendre tous les certificats FSC du Québec dès l’entrée en vigueur de la nouvelle politique forestière le 1er avril 2013. Le fait que le détenteur du certificat FSC ne soit pas l’aménagiste devrait en soi être une non-conformité « disqualificative » (mon terme). Pour bien aménager une forêt, il faut un responsable avec une vision sur le long terme, ce qui est impossible dans la structure éclatée actuelle. Je vous invite à relire une chronique sur un article de M. Gordon Baskerville concernant les bases de l’aménagement forestier. Je reproduis ici son premier critère d’une forêt bien aménagée: There is a responsible manager, of a defined forest, with an explicit target forest structure that a management plan is attempting to reach. Vous ne trouverez pas ce critère dans le FSC.
Finalement, il faut prendre conscience que ce dont il est question ici n’est pas tant de favoriser un bon aménagement forestier qu’une lutte pour le contrôle des forêts. Une lutte pour imposer ses valeurs. Ce qui en soi n’est pas neuf (chronique Wood a history). Et en 2014, on peut dire avec certitude que ce sont les groupes environnementaux, avec le FSC dans le rôle d’un « Parrain » qui tire les ficelles sans se salir les mains, qui sont clairement les vainqueurs.
Quelques références
Les audits: Lac St-Jean, Mistassini-Peribonka et le Rapport de non-conformité majeure
La Presse: Résolu perd d’importants certificats de foresterie durable
Radio-Canada: Produits forestiers Résolu perd une certification environnementale
Enjeux: Inquiétude à la haute direction
Réaction de Greenpeace: Produits forestiers Résolu : la perte de trois certificats FSC met en lumière la mauvaise gestion forestière
Réaction du Conseil de l’industrie forestière: Suspension de certifications FSC : Le Conseil de l’industrie forestière du Québec inquiet
Excellent texte, bien documenté, incisif et provocateur. J’ajouterais tout de même qu’au final, ce sont les consommateurs de produits forestiers qui décident des priorités d’aménagement – s’ils devait ignorer le « sceau FSC » complètement, cette mainmise mafieuse dont tu parles s’effondrerait.
La question ici est de savoir s’il y a vraiment un « choix FSC ». Si tous les papiers sont FSC, le consommateurs va nécessairement en acheter. Mais jusqu’à quel point est-il prêt à payer plus cher pour faire le « choix FSC »? À cet égard, je n’ai rien vu passer de concluant… Merci du commentaire : )
Un des meilleurs articles que j’ai lu qui expliquent clairement la situation.
Personnellement je suis tout à fait en désaccord avec le fait que des groupes environnementaux puissent
dicter ce qui est acceptable ou nom quand a l’exploitation d’une ressource renouvellable qui est essentielle à la survie de plusieurs familles et paroisses .
Les opérations forestières sont maintenant ,et cela depuis une vingtaine d’années,effectuées de façon remarquable.
Je suis à même de juger pour avoir été moi-même un forestier dans les années 60-70et 80.
Lors des séjours que je fais en forêt,maintenant a titre de chasseurs et pêcheurs,je constate le professionnaliste des forestiers et à quel point ces gens là sont sensibles à opérer de façon efficace en tenant compte des impacts de leur action sur l’environnement..J’en sui ébahie à chaque fois.
Dommage l’image négative qui est projetée par les environnementaux.
Malheureusement, je ne connais pas beaucoup de consommateurs qui parlent de priorités d’aménagement! Dans les grandes chaines de quincailleries la plupart des commis ne savent pas 1-si leur bois est certifié et 2-ce qu’est FSC. J’imagine donc qu’on ne parle ici que d’une certaine classe de consommateur, il y aurait peut-être une certaine approche à revoir de ce côté-là! Un pitch de vente peut-être?
Alors aménagement forestier durable, oui! Mais pas à n’importe quel prix. Je pense qu’avec l’exemple de Résolu, il y a malheureusement plus à perdre qu’à gagner avec la norme. Le plus grand risque est qu’une partie de l’argent investi ces dernières années afin d’améliorer les pratiques opérationnelles ne soit détournée pour acquitter les frais de gestion d’un tel système! Et on parle ici de beaucoup d’argent. J’adhère donc 100% au concept de mafia.
Bonjour,
Texte intéressant, mais c’est drôle que vous ayez omis les Non-conformités majeures les plus importantes selon moi (6.2,6.3, 6.4, au sujet des aires protégées, vieilles forêts et du caribou forestier). Est-ce que c’était volontaire?
Que dire des projets de PF Résolu d’augmenter de 100% la densité du réseau routier, dans des zones où les taux de perturbation pour le caribou forestier sont déjà critiques?
Et des coupes prévues dans les massifs forestiers abritant les dernières hardes de caribou forestier en forêt commerciale de la région? Le tout sans assurance d’aires protégées suffisantes pour assurer le maintien de l’espèce?
Et du non-respect de la gamme complète des âges des vieilles forêts?
Je pense que vous auriez dû également vous pencher sur ces questions. Il faut arrêter de se gargariser avec de « l’aménagement durable » et « écosystémique » quand on est incapables de maintenir des hardes d’animaux menacés sur le territoire que l’on exploite.
Ce que je constate au final, c’est que la norme boréale FSC, malgré ses imperfections (elle est humaine, non?!) est ce qui se fait de plus rigoureux en termes de conservation et de protection de l’environnement. Si la norme a ses limites, elle vaut certainement mieux pour l’instant que le RNI (nous verrons bien avec le RADF).
Salutations.
Je vous rassure, ce n’est pas par une «drôle» de forme d’humour que j’ai «omis» de parler des non-conformités que vous jugez les plus importantes!
Les quatre que j’ai gardées l’ont été parce qu’elles illustraient très bien l’idée de « partage » des responsabilités dans l’aménagement de nos forêts. Des responsabilités tellement partagées que l’on ne sait plus qui fait quoi. Et dans la dynamique actuelle, le « boss », à la fin, c’est le FSC et il n’a pas de responsabilité directe. De plus, comme une chronique = une idée, je m’en suis tenu à celles-ci; d’autant plus que le fait de leur retirer leur statut de « non-conformité » changeait le jugement global.
Quant aux quatre autres non-conformités, je les ai analysées et, en résumé, les principales idées que j’aurais développées si j’avais creusé en ce sens:
— Le caribou forestier est un enjeu d’aménagement, mais à l’instar de la chouette tachetée dans l’Ouest américain, le fait de ne pas aménager ne garantit pas sa sauvegarde. Dans le contexte du caribou, où son aire d’habitat a été diminuée depuis au moins 150 ans par la seule présence de l’humain, aménager est probablement sa meilleure chance de survie. Et pour aménager la forêt pour un enjeu comme le caribou, il faut des responsables clairement identifiés. Des simulations informatiques n’ont rien de rassurant (en lien avec le calcul de la possibilité forestière).
— Pour ce qui est de la gamme complète des vieilles forêts, j’ai noté un « dogmatisme » de la part des auditeurs, surtout en égard des mesures qui étaient prises. Ce n’était pas là une situation de tout ou rien, mais de « où on met la ligne ». J’aurais certainement conclu en respectant le choix des auditeurs, mais en le jugeant excessif; le « principe de précaution » ressemblant ici à un « principe de rejet ».
— Finalement, et parce que je réalise que je suis en train d’écrire une autre chronique ; ) j’aurais probablement argumenté qu’il faut fondamentalement apprendre à vivre avec la nature et non pas rejeter l’humain de la nature. Dans un contexte où la population mondiale augmente, que les besoins en produits du bois augmentent, on a une responsabilité de faire notre part pour répondre à ces besoins, surtout que l’on vit dans une juridiction où, même sans le FSC, l’aménagement est très balisé (peut-être trop, mais c’est là un autre débat…). Et dans tout ce débat, le FSC rejette, par nature, ce qui devrait être au cœur de nos actions, soit la responsabilité.
Alors, en court, « non », je n’ai pas omis de parler de certains sujets parce que je n’avais rien à dire : )
Merci du commentaire : )
Pour tout dire, je pense que les non-conformités dont je parle méritent une chronique 🙂 La question du caribou n’est pas si simple.
#1 : dire que l’aménagement est la solution pour maintenir le caribou me paraît inconsidéré quand la littérature scientifique abonde pour dire que le caribou ne tolère pas les perturbations (naturelles et humaines). Les taux de perturbation étant critiques en forêt aménagée au Sag-Lac-St-Jean, en rajouter représente un gros risque pour la survie des hardes. Le défi d’aménagement dans ces zones est grand, mais pas impossible.
12 : J’ajouterais à ça que je ne vois pas d’un mauvais œil que le FSC « n’ait pas de responsabilité directe ». N’est-ce pas approprié que celui qui certifie les bonnes pratiques forestières ne soit pas directement impliqué dans les opérations forestières? On ne va pas faire garder la bergerie par le loup… Les organismes qui auditent ne sont pas des « environnementalistes » vendus comme vous semblez le laisser croire. Ils suivent la Norme Boréale et ses critères.
Ceci étant dit, je vous accorde que les rôles et responsabilités ne sont pas clairs présentement. On vient de changer de régime forestier. Les normes sont en révision. Je pense qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Merci pour votre réponse! POB
Vous avez bien raison de dire que la question du caribou n’est pas simple et mériterait une chronique (ou deux!) à elle seule. Éventuellement peut-être…
La forêt évolue et est naturellement perturbée, le climat change… Dans cette dynamique, je suis convaincu que la meilleure approche est de s’inspirer de la philosophie du judo qui veut dire « voie de la souplesse ». En pratique, cela veut dire s’intégrer aux forces de changement. Donc, soit on (les humains) quitte la région où se trouve le caribou ou on apprend à vivre dans cet écosystème avec le caribou. Et de ce que j’ai lu (Plan de rétablissement entre autres), j’ai surtout retenu que c’était un formidable défi d’aménagement. À nous de le relever ou non.
Ce devrait être au gouvernement de certifier le bon aménagement et il y aurait une réflexion à faire sur le pourquoi nous en sommes là… Mais je maintiens que, dans un contexte où le FSC a de facto remplacé le gouvernement comme autorité morale du bon aménagement des forêts, il devrait y avoir une responsabilité directe.
Mais plus fondamentalement, il y a quelque chose de profondément malheureux dans le fait que nous ne sommes collectivement plus prêts à faire confiance à des aménagistes proche de la forêt pour l’aménager. La durabilité, ça commence par l’attachement, pas par des lois ou règlement ou des principes et critères. La durabilité dans l’aménagement des forêts, c’est avant tout l’histoire d’une relation intime entre les humains et la forêt, ce qui a malheureusement été oublié.
Bien à vous