Étude de cas: quand aménagement forestier et conservation cohabitent
Pour cette première chronique automnale, je vous amène dans le Nord-Ouest des États-Unis pour une étude de cas qui fait une large place aux enjeux environnementaux et sociaux. Il s’agit de l’aménagement forestier d’un bassin versant, le Cedar River Municipal Watershed (367 km2), qui est la principale source d’eau potable de la ville de Seattle, seule propriétaire de ce bassin versant depuis 1996.
Si la qualité de l’eau potable est naturellement au centre des préoccupations de l’aménagement du bassin versant, suite à près d’un siècle de coupes forestières d’autres objectifs se sont ajoutés. En particulier, la restauration de l’habitat d’espèces menacées comme le guillemot marbré (marbled murrelet) et la chouette tachetée qui sont toutes les deux associées aux vieilles forêts (old-growth). Un objectif central dans l’aménagement forestier de ce bassin versant est conséquemment d’accélérer le passage de strates de seconde venue vers des strates de vieilles forêts.
Or, cet aménagement forestier doit se faire dans un contexte où les citoyens ont préféré une augmentation de taxes pour financer les travaux d’aménagement plutôt que de donner leur aval à des éclaircies commerciales. L’essentiel du bassin versant fut alors classé comme « réserve ». Si cette classification ne bannit pas les coupes, elle interdit toutefois toute logique commerciale. C’est d’ailleurs une des raisons qui a convaincu le bureau local du Sierra Club, opposé en principe à toute récolte de bois (timber harvest) en forêts publiques, à donner son aval à cet aménagement. Une autre raison étant que les travaux sylvicoles ont une portée limitée alors qu’ils couvrent seulement 15% (55 km2) de la superficie totale du bassin.
La stratégie d’aménagement forestier de ce bassin versant est encadrée par un plan (dernière version disponible — 2008) dont la structure (framework) a été développée par des groupes environnementaux. Cette stratégie est divisée en trois volets, soit: éclaircie de restauration (restoration thinning), éclaircie écologique (ecological thinning) et plantation de restauration (restoration planting). La définition et les objectifs pour chacun des volets sont les suivants:
- Éclaircie de restauration: éclaircie de strates de seconde venue denses, ayant généralement moins de 30 ans et une faible diversité biologique, avec pour objectif d’accélérer à court terme la complexité de l’habitat et, sur le long terme, des conditions de vieilles forêts.
- Éclaircie écologique: éclaircie de strates de seconde venue denses et relativement homogènes, ayant généralement de 30 à 80 ans, avec pour objectif d’accélérer le développement de conditions de vieilles forêts. Parmi les objectifs plus spécifiques de ce volet, citons : accroître la complexité structurale (débris ligneux, variabilité dans la densité des arbres…) et la diversité des espèces.
- Plantation de restauration: les plantations sont réalisées dans les strates de seconde venue appauvries en diversité. L’objectif est de restaurer des niveaux appropriés (appropriate levels) de diversité en espèces d’arbres, d’arbustes, de champignons…
Tous ces travaux de restauration sont encadrés par une grille d’analyse pour déterminer leur nécessité (Figure ci-dessous). Une centaine de parcelles permanentes ont aussi été installées pour le suivi.
Si les aménagistes ont su aller chercher l’acceptation sociale nécessaire à la poursuite des travaux sylvicoles dans ce bassin versant, il faut dire que, en bon québécois, ils ont su être « ratoureux ». Ils ont d’abord fait une coupe d’éclaircie sans en parler à qui que ce soit pour pouvoir montrer un «avant» et un «après». Cela leur a permis de vendre plus facilement ce qu’ils souhaitaient faire.
Après 13 ans de travaux sylvicoles, la tendance est aujourd’hui à la diminution des coupes d’éclaircies et les efforts sont de plus en plus orientés vers une mise hors service des chemins forestiers. Pour cela, environ seize kilomètres de chemins sont annuellement reboisés.
Si la forêt de ce bassin versant est de facto publique, étant la propriété de la ville de Seattle, elle est cependant fermée au public. Les raisons citées pour justifier cette fermeture sont la nécessité de préserver la qualité de l’eau, la protection d’un barrage ainsi que la protection du dispositif expérimental de suivi. Des visites guidées sont cependant organisées et il est possible de visiter le centre éducatif.
Alors que je travaillais sur cette chronique, j’ai pris connaissance d’un rapport intitulé Conservation de la nature et aires protégées polyvalentes. C’est un rapport d’une « mission » en France au début de l’été par des intervenants forestiers québécois. Sans entrer dans les détails, la lecture que j’ai faite de ce rapport faisait à plusieurs égards écho à ce qui se passe dans le Cedar River Municipal Watershed. Dans les deux cas, les aménagistes forestiers doivent s’adapter à un contexte social très fort et, malgré ce contexte social, l’aménagement forestier a une connotation positive, car il est vu comme un outil pour atteindre des objectifs d’aménagement du territoire. Preuve s’il en faut qu’aménagement forestier et conservation ne sont pas incompatibles.
Référence
The challenge of active forest management in an ecological reserve (The Forestry Source – septembre 2013)