Wood: a history
Pour cette première chronique dans la catégorie « compte-rendu de livres », je vous convie à un voyage dans le temps avec Wood: a history, un livre de M. Joachim Radkau, professeur en Histoire moderne à l’Université de Bielefeld (Allemagne). Ce livre, publié en anglais en 2012 (Éditions Polity), est une traduction de l’original en allemand publié en 2007.
Je n’en ferai pas un suspense: je vous recommande très fortement de vous procurer ce livre si vous avez moindrement une fibre « histoire forestière ». D’autant plus qu’il est beaucoup question de l’histoire de la foresterie allemande qui, en particulier par le biais de la notion de rendement soutenu, a eu une influence bien au-delà de ses frontières.
Ce livre est parti d’une ambition que l’on pourrait qualifier de démesurée, soit de concilier « histoire des forêts » et « histoire du bois » avec l’histoire universelle. Cet objectif me semble avoir été atteint dans la mesure où tout au long des 340 pages du livre je me suis très souvent demandé si je ne devrais pas souligner les passages que je jugeais moins essentiels pour gagner du temps! Et un des intérêts de ce livre tient aussi à la démarche de l’auteur qui parle régulièrement des « deux côtés de la médaille ». Ce n’est pas une histoire « dirigée » vers un point de vue. Ce n’est pas un plaidoyer pour une cause, sinon l’amour du bois et plus largement les forêts.
Livre ambitieux, mais aussi livre « perturbant » dans la mesure où l’histoire qu’il raconte diffère bien souvent de celle que l’on a apprise. Quand j’ai reposé le livre, j’avais la tête pleine de questionnements et de réflexions.
Je parlais plus haut du rendement soutenu. L’histoire officielle veut que le monde allemand du 18e siècle vécût une sérieuse crise d’approvisionnement en bois. Une crise qui stimula le développement du rendement soutenu qui est aujourd’hui largement répandu; il est même intégré dans la législation forestière du Québec depuis 1987.
Pour M. Radkau, l’histoire est tout autre. Cette fameuse pénurie de bois à grande échelle n’aurait jamais existé. Cette « crise » inventée aurait surtout été au bénéfice des pouvoirs politiques centraux qui, avec l’aide des forestiers, ont orienté la foresterie vers une économie plus « rentable ». Une fois ce fait acquis, les autorités n’ont plus apporté d’attention aux cris d’un risque de manque d’approvisionnement. Il rappelle à cet égard que ce n’était pas la première fois que l’on « criait au loup » concernant l’approvisionnement en bois et que ceux qui crient le plus fort sont généralement ceux qui souhaitent le plus mettre la main sur la ressource.
Pour la mise en contexte, pendant très longtemps l’économie des communautés forestières (agroforestières pourrait-on dire) allemandes était locale. Les fermiers se servaient de la forêt pour obtenir du bois de chauffage, cueillir des fruits, faire paître leurs cochons… sans être propriétaires, mais sur la base d’un usage commun. Toutefois, l’économie de marché prit de plus en plus de place à mesure que le marché mondial de la construction s’accroissait. En particulier, dès qu’un pays devenait une puissance navale, l’approvisionnement en bois devenait un enjeu politique de première importance. Face à ces enjeux politiques et économiques, l’usage de la forêt par les fermiers fut perçu comme un gaspillage de la ressource bois par les autorités centrales, une perception relayée par les forestiers.
Et ce que demandait le « marché » ne pouvait pas être plus différent de ce que recherchaient les fermiers. Le « marché » de la marine recherchait des forêts matures et de longues rotations alors que l’intérêt des fermiers résidait plutôt dans des forêts jeunes et de courtes rotations. Pire encore, le « marché » de la construction résidentielle demandant des résineux, des forêts feuillues prisées par les fermiers étaient converties vers un plus « grand » intérêt économique. L’économie mondiale finit donc par prendre le pas sur l’économie locale et, de même, la foresterie scientifique sur la foresterie locale. Citant l’historien Fernand Braudel, l’auteur souligne que la disparition graduelle aux 19e et 20e siècles d’une culture paysanne qui était présente depuis le Néolithique s’est parfaitement reflétée dans l’histoire de la forêt et du bois.
S’il est beaucoup question d’économie dans ce livre, M. Radkau insiste particulièrement sur la relation intime et continue entre l’humain et le bois (plus largement la forêt) au fil des millénaires. Le livre débute d’ailleurs sur le rappel d’une découverte, en 1995 en Allemagne, de lances en bois datant de 400 000 ans à proximité de carcasses de chevaux probablement tués à l’aide de ce type de lances.
M. Radkau nous rappelle aussi que jusqu’au 19e siècle, il est estimé que 90% du bois était utilisé comme combustible. Constater qu’un produit avec autant de potentiel que le bois puisse redevenir populaire comme combustible aujourd’hui suscite en lui à la fois une certaine ironie et de la déception.
Et si le bois a été remplacé par le béton et l’acier dans plusieurs types de constructions à partir du 19e siècle, son utilisation mondiale n’a pas diminué, bien au contraire. Et de plus en plus, le bois fait un retour dans les constructions où jusqu’à tout récemment le béton et l’acier avaient un monopole (chronique). Les constructions en bois font naturellement l’objet d’une attention particulière par M. Radkau.
Je n’ai abordé ici que ce qui m’apparaissait les principales lignes de force du livre. Il y a entre autres une section très intéressante sur la drave et à quel point cette activité a transformé l’économie de régions entières alors que des radeaux de bois partaient de l’Allemagne jusqu’aux Pays-Bas sur le Rhin. Il est aussi question de la réforme agraire qui amena une séparation entre l’agriculture et la foresterie. Et si le cœur de son livre touche l’Allemagne, il nous fait aussi voyager en Amérique du Nord, en Inde et au Japon.
Si je dois à cet égard faire une petite critique (vraiment petite), c’est justement lié à cet « éparpillement ». J’aurais parfois préféré avoir plus d’exemples, de détails, tirés de ses sources que de s’attarder sur des sujets traités par d’autres auteurs comme Perlin (2005, A forest journey — The story of wood and civilization, chronique sur ce livre). Cela reste toutefois un choix éditorial en phase avec ses ambitions.
Finalement, son grand message pour l’avenir, basé sur son expérience historique, est que la durabilité des forêts passe avant tout par les communautés locales. Par ceux et celles qui connaissent le mieux leur forêt. Il faut éviter les solutions globales. Les fermiers ne pratiquaient peut-être pas une foresterie « rentable » selon un certain regard économique, mais ils connaissaient très bien leur forêt et étaient en mesure de s’assurer de répondre à leurs besoins sur le long terme. Comme je le mentionnais en introduction, beaucoup de matière à réfléchir!