De futurs gratte-ciel en bois?
Si ce blogue est consacré à l’aménagement forestier, ces dernières années j’ai gardé un oeil intéressé sur le débat de l’incorporation du bois dans les constructions non résidentielles au Québec (Stade Chauveau, Colisée de Québec…). La raison en est simple : culture du bois et culture d’aménagement forestier sont étroitement liées. C’est pourquoi la construction prochaine d’un immeuble en bois de dix étages à Prince George (Colombie-Britannique) a suscité mon intérêt. Cet immeuble abritera le Wood Innovation and Design Center et servira autant de modèle que de centre de recherche et d’enseignement en ingénierie du bois. En appui à cette démarche, un rapport de recherche sur les possibilités de construction en hauteur (jusqu’à trente étages!) en bois vient d’être déposé. Donc, pour aujourd’hui, petite visite virtuelle en Colombie-Britannique pour mieux comprendre les dessous de ce dossier et petit retour sur les derniers développements dans ce domaine au Québec.
Quelques notes tout d’abord sur le projet de Prince George. Le gouvernement est en arrière de cette construction avec pour vision que cet immeuble serve de modèle au monde entier. Techniquement, selon le Code du bâtiment de la Colombie-Britannique, cet immeuble ne pourrait être construit en bois, car il dépasse 6 étages (note : au Québec, la limite est de 4 étages). C’est donc par le biais d’une dérogation ou d’une classification sous le vocable « matériau alternatif » que ce projet pourra être mené à bien. L’appel d’offres a d’ailleurs été émis le mois dernier et il est prévu que l’immeuble soit complété pour 2014. Je vous rassure toutefois : cet immeuble va respecter tous les autres critères de construction du Code du bâtiment de la Colombie-Britannique!
En appui à cette démarche du gouvernement britanno-colombien, un rapport de 240 pages a été produit sous la direction de M. Michael Green, un architecte de Vancouver. Le titre : The case for tall wood buildings: How Mass Timber offers a safe, economical, and environmentally friendly alternative for tall building structures. Ce Rapport analyse sous toutes ses coutures une stratégie de construction en hauteur à prédominance de bois. M. Green en parle même comme du « […] first major alternative structural system in 100 years ».
Petite parenthèse… On parle bien ici d’immeubles à « prédominance » de bois. La proposition présentée par M. Green comprend également du béton et de l’acier. Si le débat sur la place du bois semble parfois tourner à une guerre où un matériau a l’exclusivité dans la construction, dans les faits plusieurs approches hybrides sont explorées et c’est ce dont il est question ici. Notez d’ailleurs que Chantiers Chibougamau, notre « champion » dans la construction non résidentielle en bois, explore aussi le mariage bois-acier.
La stratégie proposée, qui se veut plus un concept qu’une recette prédéfinie et immuable, est désignée par l’acronyme FFTT (Finding The Forest Throught The Trees). Cet acronyme exprime la vision philosophique en arrière de cette approche, soit de lutter contre les changements climatiques (le bois emmagasine le carbone…) dans un contexte d’accroissement de la population tout en n’oubliant pas la forêt d’où proviennent les arbres. Car un élément du succès de cette approche va obligatoirement tenir dans le fait que la notion de durabilité se retrouve tout au long de la chaîne de « production ».
La stratégie FFTT dans ses grandes lignes… Tout d’abord, un peu de technique. Il est beaucoup question de Mass Timber dans le Rapport. Ce vocable désigne en fait différents types de pièces de bois et poutres obtenues par le procédé de lamellé-collé. Fondamentalement, il s’agit de réunir des lamelles de bois de 3 à 4 centimètres d’épaisseur pour les agglomérer dans un tout très solide. La stratégie FFTT implique que les immeubles soient construits avec une ossature centrale composée de Mass Timber à partir de laquelle des poutres d’acier seront tendues (Figure 1). Les planchers et les murs sont en bois et la fondation en béton.
De très nombreuses variables ont été étudiées dans le Rapport de M. Green, mais je ne m’attarderai qu’à deux qui reviennent constamment lorsque l’on parle de construction en bois hors du milieu résidentiel : les coûts et la résistance au feu. Dans le premier cas, une analyse comparative a été produite entre des immeubles de douze ou vingt étages construits selon la stratégie FFTT et la construction tout en béton (plus conventionnelle). Dans chaque cas, l’approche FFTT (bois-acier) a été dans le même ordre des coûts et même souvent un peu en dessous. C’est là un point essentiel, car aux dires même de M. Green, malgré ses qualités environnementales, le concept serait difficilement vendable s’il devait coûter plus cher que les approches plus conventionnelles en béton.
Le bois est un matériau combustible. C’est une des raisons qui limite son utilisation dans des bâtiments de plusieurs étages, car les matériaux combustibles y sont interdits. Toutefois, ces normes n’ont pas été établies en fonction des différents produits de lamellés-collés. Or des tests au Canada et en Europe ont permis de constater que ces produits du bois étaient en mesure de résister pendant deux heures à un feu, un critère essentiel pour utiliser des matériaux dans des immeubles de plusieurs étages. De plus, comme il est discuté dans le Rapport de M. Green, il est possible d’améliorer les performances « brutes » des pièces de lamellés-collés dans le cadre de la conception d’ensemble du bâtiment.
Comme le précise toujours M. Green, le Rapport n’est qu’une étape en vue d’une révision du Code national du bâtiment. Beaucoup de tests restent à faire pour que le bois soit accepté comme matériau dans les immeubles de plus de 4 ou 6 étages. Il se dit toutefois optimiste que d’ici 5 ans il y aura des immeubles de dix à vingt étages construits à prédominance de bois sur la base de la stratégie FFTT. À souligner : cette stratégie répondrait aux critères de résistance dans l’éventualité de tremblements de terre.
Un point intéressant du Rapport et des entrevues que M. Green a donnés est la dimension historique associée à ce dossier. Avant d’être remplacé par l’acier et le béton, le bois faisait partie de la culture comme matériau pour différents types de construction. Avant même l’arrivée des Européens, des autochtones de la Côte Ouest dormaient dans de grandes habitations bâties avec des planches de cèdre. En Nouvelle-Écosse, l’Église Sainte-Marie, bâtie en bois en 1905, est la plus haute (56 mètres) du genre en Amérique du Nord. Montrant d’une certaine façon l’exemple, M. Green a d’ailleurs déménagé ses bureaux dans un ancien entrepôt de marchandise de 105 ans dont la structure est basée sur des poutres de sapins Douglas. Comme il le fait remarquer, le défi est de retrouver un savoir-faire qui a déjà existé!
Cette idée de « savoir-faire à retrouver » est une de lignes de force du Rapport Beaulieu publié au Québec presque en même temps que celui de M. Green. Un Rapport d’une facture très différente qui s’inscrit dans la foulée de la Stratégie d’utilisation du bois dans la construction au Québec. La stratégie proposée dans le Rapport Beaulieu est aussi très différente de celle empruntée par M. Green. L’accent est mis sur le fait que le bois pourrait actuellement être utilisé en toute conformité avec le Code de construction du Québec dans 80 % des projets non résidentiels. Considérant qu’il n’est dans les faits utilisé que dans 20 % des cas, c’est sur le 60 % restant que la stratégie du Rapport est axée. En terme pratique, la stratégie propose entre autres d’intégrer un cours obligatoire de 45 heures sur l’utilisation du bois dans les structures dans le cursus des futurs ingénieurs civils.
La Colombie-Britannique et le Québec : des approches différentes pour revaloriser le bois dans différents types de constructions desquels il fut exclu depuis plusieurs décennies par l’acier et le béton. On ne peut qu’espérer que ces efforts porteront fruits, car de là naîtra peut-être non seulement une nouvelle industrie, mais aussi une nouvelle vision (positive) sur l’aménagement des forêts.
Principaux articles de références:
Can wooden skyscrapers transform concrete jungles? – CNN
Designers imagine skylines of wood high-rises, made possible by new technology – National Post via The Working Forest
North America’s tallest wood building to be built in B.C. – Vancouver Sun via The Working Forest
Pour en savoir plus sur les initiatives québécoises: