Plan Nord et foresterie : quand le Plan d’une génération fait fi de ce que les deux précédentes ont bâti
Plus tôt cette année, j’ai produit une chronique intitulée « Un Plan Nord sans Foresterie? » qui faisait suite à un débat sur la place de l’aménagement forestier dans ce grand projet. En mettant un point d’interrogation, je dois avouer que j’avais alors espoir que le colloque de l’Ordre des Ingénieurs Forestiers du Québec du 29 mars dernier (« Le Plan Nord sous le couvert forestier ») allait offrir une perspective plus positive de cette question. J’avais tort. Au fur et à mesure que les conférenciers défilaient, la même constante revenait : il n’y avait rien de spécifique à dire sur l’apport du Plan Nord pour la foresterie. En fait, il n’était même pas clair que ce Plan était au grand bénéfice des régions nordiques! Pour autant, cela ne veut pas dire que la foresterie ne puisse trouver sa place dans le Plan Nord… mais elle devra se la faire!
Le colloque avait pourtant démarré avec un conférencier (M. Forcier – Ministère des Ressources naturelles et de la Faune) bien placé pour arrimer la foresterie dans le Plan Nord. Si une partie du message de M. Forcier fut à l’effet que la foresterie était un acteur important dans le territoire du Plan Nord (plus de 50% du volume de bois récolté au Québec et 15 000 emplois), le message était assez clair quant au fait que les mines constituaient le « fer de lance » de ce projet. Bien que son collègue M. Marc Leduc (Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation) nous a parlé de la relance de l’usine de Lebel-sur-Quevillon et des investissements de 30 millions $ dans le dernier budget pour encourager l’utilisation du bois dans les constructions non résidentielles, cela faisait bien maigre face à la débauche d’investissements directement liés à l’industrie minière.
Un élément crucial pour l’industrie forestière est le niveau de récolte autorisé (possibilité forestière). Or, M. Gérard Szaraz (Forestier en chef) a donné peu de raisons d’espérer mieux de ce côté-là même si la possibilité n’a cessé de baisser depuis quelques années. Non pas que M. Szaraz fut alarmiste, mais il a fait ressortir les nombreuses zones d’incertitudes (aires protégées, épidémie de tordeuse des bourgeons de l’épinette sur la Côte-Nord…) et contraintes opérationnelles (bandes riveraines…) qui ne peuvent qu’influencer négativement le niveau de la possibilité forestière.
Malgré ce message peu encourageant pour la foresterie dans le Plan Nord, s’il y a bien eu une autre constante dans ce colloque, ce fut pour noter à quel point la foresterie avait un rôle structurant à long terme dans les régions où elle s’installait. M. Forcier nous a d’ailleurs rappelé que cela faisait plus de 50 ans (deux générations!) que la foresterie était installée dans les limites du Plan Nord (« Plan d’une génération »). De plus, comme l’a évoqué M. Gilbert (Boisaco, Côte-Nord), un intervenant très régulier de la période de questions, quand les minières partent après avoir exploité leur filon et qu’Hydro-Québec s’en va après avoir construit les barrages, qui est-ce qui reste? La foresterie.
Ce colloque fut d’ailleurs une occasion pour les représentants régionaux du milieu forestier d’émettre un cri du coeur pour que leurs priorités soient entendues dans le déploiement du Plan Nord. Certes, il y a des consultations, mais selon ce qu’il a été possible de déduire, la « consultation » prend plutôt la forme d’une explication de ce qui va être fait… En pratique, c’est « à Québec » que les décisions se prennent. Mme Johanne Morasse (Baie James) et M. Charles Warren (Côte-Nord) ont clairement exprimé le souhait d’être partie prenante du processus de planification, plutôt que de se retrouver devant le fait accompli.
C’est de M. Frédéric Verreault (Chantiers Chibougamau) qu’est venu un exemple de vision plus positive du Plan Nord pour la foresterie. Le ministère des Transports envisageait de construire en bois le premier pont de la route vers les Monts Otish. Le hic : cette construction n’était alors pas abordée comme un projet sérieux, mais plus comme un symbole à prendre en photo. Chantiers Chibougamau a pris l’initiative de telle façon que ce qui avait au départ une vocation d’attraction touristique est devenu un projet sérieux et que les trois premiers ponts construits l’ont été en bois. Trois ponts… sur trois! Et ce ne sont pas de petits ponts, un des trois ayant une portée libre (sans appui) de 68 mètres (223 pieds). Un exemple qui illustre une bonne partie du message qu’a livré M. Verreault : si vous souhaitez que la foresterie profite du Plan Nord, cherchez les opportunités, ne les attendez pas!
Malgré cette vision positive, le Plan Nord amène aussi de sérieux nuages noirs pour Chantiers Chibougamau, une compagnie implantée dans les limites du Plan Nord depuis 50 ans. La cause en est la pression économique créée par l’industrie minière sur la main d’œuvre, un simple journalier pouvant commencer avec un salaire annuel de 80 000 $ : l’industrie forestière ne peut rivaliser avec de telles sommes! Considérant de plus qu’il est à la base coûteux d’opérer dans le Nord, sans chercher à faire un coup d’éclat, M. Verreault a mentionné que dans un avenir peut-être pas si lointain, Chantiers Chibougamau pourrait devoir considérer l’option de s’installer au « Sud » pour rester compétitif. Un des impacts inattendus du Plan Nord sera donc peut-être de voir naître « Les Chantiers Chibougamau de Trois-Rivières »!
La question des aires protégées est sortie quelque peu éclaircie de ce colloque. Comme promis, les activités industrielles seront exclues de 50 % du territoire du Plan Nord, dont 20 % sous forme d’aires protégées d’ici 2020 (note : du total de 20 %, 12 % sera localisé dans la forêt boréale continue). Pour le 30 % restant, M. François Brassard (Ministère du Développement Durable, Environnement et Parcs) a annoncé que sept projets pilotes seront mis en place d’ici 2020 pour vérifier le potentiel de nouveaux modes de conservation qui seraient moins « stricts » que les aires protégées (note : deux projets sont déjà en démarrage). L’atteinte de la protection de 50 % du territoire du Plan Nord se fera donc au-delà de 2020 sous une forme qui reste à définir.
Mais pourquoi soustraire 50 % du territoire du Plan Nord des activités industrielles? Quelle est la rationalité derrière ce chiffre? C’est M. Gerardin qui nous a donné la réponse en nous référant à la Wild Foundation qui souhaite protéger 50 % de la Terre. Si ce 50 % sert à cautionner l’aspect « durable » du Plan Nord, dans les faits, M. Gerardin a mis en évidence que cette mesure n’aura aucun impact sur la principale industrie qui doit en bénéficier, soit l’industrie minière. Celle qui va devoir vivre avec, c’est l’industrie forestière qui, répétons-le, est dans le Nord depuis 50 ans et, comme le précisait M. Szaraz, n’a des opérations que sur 36 % de la forêt boréale continue (18,5 % de toute la zone de végétation boréale — fiche explicative).
Si je suis arrivé plutôt optimiste à ce colloque, j’en suis sorti avec des scénarios catastrophes en tête pour la foresterie. Une de mes notes de fin de colloque : « Le Plan Nord sortira-t-il les forestiers de la forêt? » J’ose espérer que ce n’est pas là une vision prophétique! Le fait est cependant que l’on investit collectivement et massivement dans un projet « d’une génération » en oubliant un autre « projet » (la foresterie) qui existe déjà dans le Nord depuis deux générations! Mais qu’est-ce que le développement durable? Est-ce que c’est d’exploiter au maximum des ressources sur un horizon de 25 ans avec des emplois qui fonctionnent sur le mode « fly in – fly out » ou de développer des communautés sur un horizon de plus d’une génération? Malgré tout ce que l’on a pu entendre de négatif sur la foresterie dans les 10 dernières années et la crise actuelle qui n’en finit plus, la foresterie reste à l’évidence l’atout le plus structurant pour les régions, particulièrement le Nord. Ne reste qu’à espérer que quelqu’un-e dans les officines gouvernementales s’en rende compte!
Références
Les présentations sont disponibles ici.
Si vous souhaitez en savoir plus sur un des projets-pilotes qui serviront de réflexion à la préservation de 30% du Plan Nord, Mme Amélie Denoncourt présentera son projet de maîtrise qui est sur ce thème dans le cadre des Cafés-Conférences Forestiers le mardi 10 avril de 7 h 30 à 9 h (Local 2330, Pavillon Kruger, Université Laval).