Transformer ou exporter?
Jusqu’à quel point est-il justifié pour une société d’exporter ses ressources naturelles sans les transformer sur place? C’est le grand débat qui a actuellement lieu dans le milieu forestier de la Colombie-Britannique, un débat stimulé par la Chine. Car ce pays n’est pas seulement le premier exportateur mondial, il est aussi le deuxième importateur mondial! Et s’il y a une province du Canada qui profite de cet « appétit » de la Chine pour les importations, c’est bien la Colombie-Britannique. Entre 2005 et 2011, la Chine a accaparé de 5,2 % à 32,6 % de la valeur totale des exportations des produits forestiers britanno-colombiens (Figure 1). En argent sonnant, ce 32,6 % se traduit en 3,2 milliards $. Si cela fait le bonheur du gouvernement et de plusieurs industriels forestiers, tout le monde ne partage pas cette joie, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’exportation de billots récoltés en forêt publique, mais non ouvrés (transformés) en Colombie-Britannique. Malgré qu’il ne s’agisse pas des bois avec le plus de valeur commerciale (construction de caissons pour couler du béton), la bataille politique sur le sujet est chaude. Une bataille qui peut susciter la réflexion au Québec.
Pour détailler un peu plus l’ampleur du « problème » (selon le point de vue…), en 2011 la Chine a talonné les États-Unis comme premier marché d’exportation pour les produits forestiers de la Colombie-Britannique (Chine : 32,6 % de la valeur des exportations; États-Unis : 38,4 %). En parallèle à cet accroissement général, l’exportation de billots non ouvrés a explosé. Ce type de produits représentait en 2011 près de 10 % de la valeur des exportations des produits forestiers de la Colombie-Britannique vers la Chine. Si cela peut paraître relativement faible, cette proportion est assez importante pour que le politique choisisse de s’investir plus étroitement dans ce dossier au risque d’attiser les controverses.
Il faut savoir qu’à la base, les bois récoltés dans les forêts publiques de la Colombie-Britannique doivent être transformés dans la province; il faut une exemption pour pouvoir exporter et il y a un processus à respecter. Tout d’abord, il doit y avoir une annonce publique à l’intention de tous les transformateurs de la Colombie-Britannique afin qu’ils puissent soumettre une proposition pour transformer le bois dans la province. Ce processus est appelé le « surplus test ». S’il y a une offre, un comité (Timber Export Advisory Committee – TEAC) va déterminer si elle est équitable (fair) ou inéquitable dans l’état actuel du marché. Dans le premier cas, le TEAC va recommander de refuser l’exemption. Et c’est là où les choses ont un peu dérapé dans les derniers mois.
En décembre et janvier derniers, le Ministry of Forests, Lands and Natural Resource Operations (MFLNRO) est allé à l’encontre de 86 recommandations du TEAC à l’effet de refuser des exemptions, et ce, pour un total de 70 000 m3. Par la suite, en février, invoquant que la politique d’exportation des bois était en révision, le MFLNRO a tout simplement décidé de prendre directement en main les décisions liées à l’exportation des billots et de court-circuiter le TEAC. Résultat : 47 offres d’industries locales pour transformer en Colombie-Britannique du bois annoncé pour l’exportation ont été refusées. Depuis février, c’est donc un minimum de 35 000 m3 supplémentaires qui ont pris le chemin de la Chine (« minimum », car il n’y a pas d’offres pour tous les bois).
Les arguments pour l’exportation des billots tiennent à une logique assez simple : sans l’argent offert par l’industrie chinoise pour aller récolter dans les peuplements d’où sont extraits ces billots, personne n’irait les chercher; or, en allant récolter, il se crée des emplois en forêt. Ces bois sont de faible valeur économique et seuls les industriels chinois donnent assez d’argent pour que les entrepreneurs de Colombie-Britannique puissent les récolter avec profit. M. David Cohen, professeur à l’Université de Colombie-Britannique précise que les industriels chinois paient de 35 % à 70 % plus cher que les industriels locaux, ce qui peut représenter une différence de 20 $/m3 à 30 $/m3.
Un autre point que font valoir les partisans de la politique de l’exportation est que la récolte de bois pour l’exportation se traduit par plus de bois pour des usines en Colombie-Britannique. Paradoxal? A priori, oui! Mais pour comprendre la mécanique, il faut remettre en contexte que la récolte de bois pour l’exportation se fait dans des secteurs qui normalement n’auraient pas été rentables d’exploiter. Or, il se trouve aussi dans ces secteurs des essences qui ont plus de valeur pour les usines de Colombie-Britannique. Résultat : non seulement il y a récolte pour du bois à exporter, mais il y a aussi récolte de bois pour les usines locales. À cet effet, un haut responsable de la compagnie Western Forets Products mentionne que pour 1 m3 exporté, 2 m3 sont récoltés pour leurs usines en Colombie-Britannique. Dans le cas où l’exportation des billots deviendrait interdite, ce sont non seulement 200 emplois en forêt qui seraient perdus, mais autant en usine.
Du côté des opposants, il est assez facile d’imaginer que, dans un contexte où l’industrie du sciage de la Colombie-Britannique tente de se remettre de l’effondrement du marché résidentiel américain, l’idée de créer des emplois dans la transformation en Chine ne passe tout simplement pas pour une frange de la population, ainsi qu’auprès de certains industriels forestiers. Le Teal-Jones Group est une des compagnies qui avait vu le TEAC approuver son offre pour du bois annoncé pour l’exportation. Quand le MFLNRO a renversé la recommandation du TEAC, le bois s’est dirigé vers l’Asie pendant que le Teal-Jones Group s’est retrouvé en manque de fibre pour ses opérations. Sans condamner l’idée d’exporter des billots, le Chef financier de cette entreprise a exprimé l’inquiétude qu’une trop forte proportion exportée aurait pour effet d’empêcher qu’une seule nouvelle scierie puisse être construite en Colombie-Britannique.
Et, dans la même veine, certains font remarquer que si le marché américain s’est effondré (tout en restant le marché d’exportation #1…), il va éventuellement reprendre. Quand cela va arriver, il faudrait que la Colombie-Britannique ait la capacité de transformer le bois à la mesure de la demande. Or, si la province continue à accroître la proportion de billots qui sont exportés sans être transformés, quand le marché américain va repartir à la hausse, certains ont peur que la province se contente d’être un exportateur de billots plutôt que de produits finis.
Tous ne le savent peut-être pas, mais alors que dans le cadre Plan Nord nous sommes en plein débat pour décider s’il faudrait obliger la transformation des minéraux au Québec, en foresterie c’est la règle depuis un siècle pour les bois coupés en forêt publique! Il est même mal vu d’envoyer du bois d’une région à une autre! Mais, considérant la crise actuelle, si demain un marché international s’ouvrait pour certains de nos bois de telle façon qu’il serait très payant de les envoyer non transformés, est-ce qu’il faudrait dire « non »? Je dois avouer ne pas avoir d’opinion arrêtée sur le sujet. Cela ne m’apparaît pas comme une option intéressante sur le long terme, mais je ne crois pas pour autant qu’il faille être totalement fermé à cette idée. Et vous, qu’en pensez-vous?
Principales références
Articles:
B.C. continues to export record number of raw logs – The Naniamo Daily News
Exports to China a necessary – and lucrative – part of B.C.’s logging equation – The Globe and Mail via The Working Forest
Minister costing B.C. logging jobs, critics say – The Globe and Mail via The Working Forest
Opposition MLAs hit the road to fight raw log exports – The Naniamo Daily News via The Working Forest
Review will determine which forestry jobs are worth more – The Globe and Mail via The Working Forest
Statistiques : The Forest Industry Snapshot (février 2012)