Caribou forestier : accepter l’extinction
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Il s’agit là du premier texte de ma formule « expresso ». Je vous invite à en lire la genèse et raison d’être dans ce petit mot.
Le châtaignier d’Amérique (Castanea dentata) occupait une très grande aire de répartition dans l’est des États-Unis jusqu’au sud de l’Ontario. Il se comptait par milliards. Il y a environ un siècle, un champignon venant d’Asie l’a rapidement décimé. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques centaines d’individus.
Le grand échange faunique interaméricain. C’est ainsi que l’on appelle le phénomène de fusion de la biodiversité entre l’Amérique du Nord et du Sud qui s’est déroulé il y a quelque trois millions d’années.
Les Amériques ne furent pas toujours liées par la bande de Panama. C’est relativement récent à l’échelle géologique. Et quand le phénomène s’est produit, il y eut des échanges de biodiversité. Pour différentes raisons, ces échanges ne furent pas à l’avantage des espèces provenant du Sud qui disparurent alors en grand nombre.
Dans les 500 dernières millions d’années, on a recensé cinq grandes phases d’extinctions de la biodiversité. Celle du Permien, il y a quelque 250 millions d’années, aurait causé la disparition d’environ 95 % des différentes formes de vie alors sur Terre. La plus connue reste celle du Crétacé il y a 66 millions d’années. C’est elle qui a causé la disparition des dinosaures qui dominaient alors la vie sur Terre, ouvrant ainsi la porte aux mammifères, dont le genre Homo…
On pourrait donner d’autres exemples, mais un constat est évident : depuis des centaines de millions d’années, la vie sur Terre a évolué au gré des extinctions.
Le corollaire est que les extinctions sont un processus naturel. Comme la mort. Et ce qui s’applique à des individus peut très bien s’appliquer à des espèces.
Ce n’est pas dire ici qu’il faille banaliser la disparition d’une espèce. Encore moins de contribuer directement à sa disparition! C’est simplement qu’il est nécessaire d’accepter cette éventualité lorsque l’on travaille avec le vivant.
Depuis plusieurs années, beaucoup d’efforts sont investis à préserver le caribou forestier tant au Québec que dans le reste du Canada.
Pour aborder ce dossier, il faut tout d’abord mettre en contexte qu’il n’existe qu’une seule espèce de caribou sur Terre. Son aire de répartition couvre les différentes zones boréales du globe. Son statut est classé comme « vulnérable » par l’Union internationale pour la conservation de la nature. C’est un souci, mais on ne s’attend pas à sa disparition à brève échéance.
Il y a des sous-espèces. Au Québec, on en rencontre une seule : le caribou des bois. Celle-ci se décline en différents « écotypes » qui représentent des particularités génétiques. On en retrouve trois au Québec soit : forestier, montagnard et migrateur. Les deux premiers écotypes sont les plus menacés.
Finalement, il y a des hardes qui représentent des individus d’un même écotype qui se déplacent en groupes relativement stables. Il est souvent question des hardes de Val-d’Or (<10 individus) et de Charlevoix (vingtaine d’individus).
Ces hardes avaient des particularités génétiques. Il convient ici de parler au passé, car une règle du pouce veut que pour être en santé « génétique », une population doive contenir un minimum de 50 individus. De plus, et c’est un gros « plus », la harde de Charlevoix est en fait issue d’une réintroduction dans cette région au tournant des années 1970.
Depuis que j’ai ouvert ce blogue en 2010, je fais un suivi très régulier de l’actualité forestière. Et sans avoir de statistiques à vous offrir, je suis très à l’aise d’affirmer que l’enjeu du caribou forestier est le plus médiatisé. Et la philosophie sous-jacente à ce dossier est toujours la même : figer l’histoire.
Je suis conscient que c’est à la fois très résumé et éditorial. Pour autant, à l’exemple des hardes de Val-d’Or et de Charlevoix, on semble incapable d’en venir au constat évident : ces populations sont de facto éteintes (une deuxième fois pour celle de Charlevoix). Et dans l’histoire de la vie sur Terre, c’est là un évènement à la fois naturel et mineur dans son ampleur.
Encore ici, je ne banalise pas cet évènement. Mais ma réflexion va plus dans le sens de réfléchir au « comment » éviter que ce type de situation ne se reproduise que de rejeter l’évidence.
D’autant plus que les efforts que l’on met à sauvegarder des « reliques » (qualificatif utilisé dans le Plan de rétablissement du caribou forestier) de populations se traduisent par le « contrôle » des prédateurs. Un euphémisme pour parler d’abattage de représentants de la biodiversité qui ont un rôle clé à jouer dans l’écosystème.
En tout temps, il est essentiel de faire tout notre possible pour éviter que nos actions ne fassent disparaître des espèces (quelles qu’elles soient). Mais devant l’évidence d’un échec, comme pour certaines hardes de caribous forestiers, il conviendrait d’accepter l’évidence pour mieux préparer l’avenir.