Un Plan Nord sans foresterie?
Le Plan Nord : un projet aux allures pharaoniques pour lequel il serait inutile ici de reprendre tous les chiffres. Par contre, quel est l’impact de ce grand projet sur l’aménagement forestier? C’est sur la base de la question « Le Plan Nord: Comment y trouver son compte? » qu’un débat s’est tenu le jeudi 16 février dernier dans le cadre du congrès annuel de l’AETSQ (Association des Entrepreneurs en Travaux Sylvicoles du Québec). Le choix des débatteurs (M. Pascal Audet — AETSQ, M. Vincent Gerardin — Ph.D. spécialiste en écologie végétale, M. Yves Lachapelle — Conseil de l’industrie Forestière et M. Nicolas Mainville — Greenpeace) promettait quelques flammèches. Et s’il y a effectivement eu des accrochages, on a toutefois pu noter quelques intéressants points de convergence.
Le point sur lequel le consensus est apparu le plus évident : le Plan Nord, ce n’est pas pour la foresterie, ce sont les mines qui sont visées. Et ce, malgré le fait que la foresterie est déjà bien présente (32 usines) dans les limites du Plan Nord. Certes, la foresterie pourrait bénéficier d’avantages « collatéraux » via, par exemple, la construction de chemins de qualité (Yves Lachapelle). Mais globalement le message unanime est qu’il fallait éviter de penser « foresterie » lorsque l’on fait référence au Plan Nord. Si on regarde spécifiquement le volet sylviculture (100 millions de plants dans les landes forestières), la première impression de grandeur n’est pas une bonne appréciation de l’effort, « c’est rien» a résumé M. Audet. De fait, pour la seule saison 2008-2009, il s’est planté près de 145 millions de plants en forêt publique. En forêt privée (10 % de la superficie des forêts au Québec), c’est en moyenne 26 millions de plants qui ont été annuellement mis en terre entre 1996 et 2009.
Autre point d’accord entre le représentant de l’industrie et celui de Greenpeace (c’est à souligner!) : il n’y a pas de rentabilité à aller récolter au-delà de la limite nordique. De même, ils s’entendaient sur l’importance de ne pas créer des « cloches de verre »; M Mainville allant même jusqu’à déclarer que ce dernier terme lui faisait « grincer des dents » au même titre que le terme « coupe à blanc » pouvait faire grincer des dents un industriel forestier. Et selon la définition de M. Mainville, une « cloche de verre » c’est un territoire où des citoyens ont été expropriés pour créer un Parc (mon exemple : Forillon); une expérience de conservation qu’il ne souhaite pas voir répétée. Mais là s’est arrêtée la bonne entente.
Comme on pouvait s’y attendre, le sujet des aires protégées associées au Plan Nord a été un objet de contentieux entre messieurs Mainville et Lachapelle; le premier accusant le second (et l’industrie forestière par le fait même) d’avoir fait preuve de démagogie dans ce dossier. Si M. Lachapelle s’est naturellement défendu de cela tout en précisant que personne dans l’industrie n’était contre les aires protégées, il a eu une aide inattendue de M. Gerardin. Ce dernier, fort d’une longue expérience ministérielle, a mentionné que de son point de vue les plus grands freins à la création d’aires protégées dans le Nord étaient venus de l’industrie minière.
Les aires protégées ont occupé beaucoup de place dans le débat et ont été l’objet d’un chassé-croisé entre messieurs Mainville, Lachapelle et Gerardin sur la proportion du territoire qui était actuellement protégé. Un chassé-croisé qui, à l’image des déclarations ministérielles sur le sujet, a amené de la confusion. Une chose est claire cependant : il est important de distinguer forêt commerciale et forêt continue. La forêt continue s’étend au-delà de la limite nordique de la forêt commerciale (carte ci-contre). D’un point de vue forestier, il serait facile de placer des aires protégées dans la forêt continue au-delà de la limite nordique puisqu’il n’y a pas d’exploitation forestière. Et quand on fait référence aux limites du Plan Nord, qui englobe 72 % de la superficie du Québec, c’est encore plus facile. M. Gerardin a d’ailleurs souligné que protéger 50 % du territoire couvert par le Plan Nord ne voulait rien dire (chronique de blogue de M. Gerardin sur le sujet). Lorsqu’un ministre, si ce n’est pas le Premier d’entre eux, reparlera du sujet, essayez de décoder à quelle délimitation il fait référence, cela devrait éclaircir votre compréhension!
Malgré l’omniprésence des aires protégées dans ce débat avec un public d’entrepreneurs sylvicoles, l’aspect sylviculture a tout de même été bien abordé. M. Gerardin a d’ailleurs particulièrement insisté sur cet aspect dans le cadre de sa présentation, débordant même le cadre du débat en mentionnant qu’il n’y avait rien pour la sylviculture dans la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. Quant à M. Audet, il a entre autres mentionné qu’il était essentiel que les efforts de préservation qui pourraient être faits dans le cadre du Plan Nord aillent de pair avec des efforts d’intensification de la sylviculture. Chose malheureusement peu probable, comme nous l’a rappelé M. Gerardin, considérant le carcan financier du MRNF (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune) et le poids du Conseil du Trésor dans les décisions d’investissements sylvicoles. Un Conseil du Trésor qui semble peu impressionné par le rendement de ses investissements sylvicoles des 30 dernières années. M. Gerardin a d’ailleurs émis l’opinion que le gouvernement ne croyait plus à l’aménagement forestier.
Ce débat, très poli, a certainement éclairé l’assistance au colloque de l’AETSQ sur les enjeux forestiers liés au Plan Nord. On pourrait cependant presque parler de « non-enjeux » considérant qu’il est assez clair suite à ce débat que ce Plan et ses investissements sont pour les mines, pas la foresterie. Le 29 mars prochain, l’Ordre des Ingénieurs Forestiers du Québec tiendra à Lévis un colloque intitulé : Le Plan Nord sous le couvert forestier. Il sera intéressant de voir si le son de cloche sera différent. Je serai présent pour vous en donner un compte-rendu!