Le Colorado, épicentre de débats entre États et pouvoir fédéral pour l’aménagement des Forêts nationales
Depuis l’ouverture de ce blogue, j’ai abordé différents enjeux spécifiques de l’aménagement des Forêts nationales des États-Unis. Aujourd’hui, je vais m’attarder sur un enjeu de fond, soit la lutte de pouvoir entre les États et le pouvoir fédéral pour non seulement l’aménagement de ces forêts, mais aussi leur propriété. Cet enjeu se présente sous deux formes dans l’État du Colorado, un État qui attire actuellement les regards dans l’aménagement des Forêts nationales.
La première forme est liée aux Roadless areas (chronique précédente sur le sujet). Cette politique vise à contrôler la construction de routes et autres chemins d’accès dans les Forêts nationales. L’utilisation du territoire reste permise, mais l’usage est limité à des activités qui s’accommodent de peu ou pas de chemins d’accès. Cette politique a connu son apothéose à la fin du règne du Président Bill Clinton alors que 237 000 km2 (58,5 millions d’acres) furent inclus dans cette politique, soit un peu plus de 30 % de la superficie des Forêts nationales. En plus de faire face à de nombreuses attaques en justice (neuf!), cette politique dû affronter l’administration de George W. Bush qui l’ajusta de façon à permettre aux États de moduler l’application de la politique nationale des Roadless areas à leur échelle. Le Colorado fut un des deux États (second : l’Idaho) à se prévaloir de cette opportunité avant qu’une Cour ne vienne fermer la porte. Contrairement à l’Idaho toutefois, où sa politique sur les Roadless areas a été bien accueillie par les groupes environnementaux, celle du Colorado est très critiquée.
Les critiques des Roadless areas du Colorado pointent le fait qu’elles autorisent (entre autres) la présence de centres de ski et de mines de charbon dans des secteurs où en théorie l’application de la politique de Bill Clinton l’aurait empêché. Pour les défenseurs des Roadless areas du Colorado, ce développement se justifie au nom de la spécificité et des besoins de développement économique de l’État. Il est aussi mentionné qu’en échange de ce développement économique, une plus grande proportion des Forêts nationales du Colorado serait protégée par le zonage le plus sévère que l’on peut retrouver dans la politique des Roadless areas que ce qu’exigerait la version de l’Administration Clinton. La responsabilité de juger si cette « balance » entre développement économique et protection répond aux objectifs de la politique nationale des Roadless areas est entre les mains du US Forest Service; ce dernier devrait donner une réponse dans les prochaines semaines.
Et pour mieux comprendre le fond du problème, il faut prendre conscience de la réalité dans la répartition des droits fonciers dans un État comme le Colorado. Tout d’abord, un peu plus de 34 % du Colorado est couvert par des forêts sous juridiction fédérale (Washington D.C.), la majeure partie étant des Forêts nationales. Ensuite, 1,7 million d’hectares de Forêts nationales seraient zonées Roadless areas et limiteraient de fait très fortement l’exploitation commerciale sur 6 % du Colorado (il faut ajouter à cela la présence de Wilderness areas et le fait que la récolte forestière est déjà limitée dans les Forêts nationales). Relisez ce paragraphe en changeant « Colorado » pour « Québec » et « Washington D.C. » par « Ottawa »… Vous pouvez alors certainement mieux comprendre les sentiments de nombreux citoyens et politiciens du Colorado!
En soustrayant de grandes superficies de forêts à la construction de chemins par le biais des Roadless areas, le gouvernement fédéral se trouve à restreindre le potentiel de développement économique de l’État, à tout le moins d’un certain point de vue. Car la question que plusieurs posent est à savoir quelle est la meilleure approche pour un développement économique durable? Exploiter industriellement des ressources pour des revenus directs à court terme ou miser sur de grandes étendues vierges comme d’un aimant pour attirer les touristes?
Mais le débat va plus loin que les Roadless areas. Dans un dossier qui devrait faire parler de lui dans les années à venir, c’est la propriété même des forêts de juridiction fédérale qui est remise en question. Une démarche initiée par des représentants Républicains avec l’aide d’avocats vise à obliger le pouvoir fédéral à remettre au Colorado la propriété de la presque totalité des forêts sous autorité fédérale. Les fondements légaux de cette requête se basent sur les conditions qui ont encadré l’entrée du Colorado dans les États-Unis en 1876. Si plusieurs doutent que la demande aboutisse à un résultat positif, le débat est cependant lancé et ses promoteurs s’attendent déjà à ce que cela se finisse en Cour Suprême. Et l’objectif de cette demande est clairement énoncé : permettre au Colorado d’aménager ou de vendre ces territoires publics afin qu’ils contribuent pleinement au développement économique de l’État.
Petite note : si vous trouvez qu’il y a une forte proportion de territoires fédéraux au Colorado, le trio de tête des États dans cette catégorie est constitué du Nevada (84 %), de l’Alaska (69 %) et de l’Utah (57 %). La Figure ci-dessous exprime visuellement la réalité des possessions fédérales en fonction de la géographie. On peut alors mieux comprendre que les « plaintes » contre Washington sur l’utilisation des terres publiques viennent généralement de l’Ouest! À noter que l’Utah a voté l’an dernier une résolution pour réclamer lui aussi, et d’ici 2014, la presque totalité des terres fédérales sur son territoire. Si je me suis concentré sur le Colorado pour cet élément du débat, dans les faits c’est un mouvement qui rejoint six États de l’Ouest (Arizona, Colorado, Nouveau-Mexique, Idaho, Utha et Wyoming) et qui a de profondes racines historiques. Ne soyez donc pas surpris d’en entendre parler dans les prochaines années!
À travers ce discours de « Maître chez soi » dans plusieurs États de l’ouest des États-Unis, il est toutefois possible d’entendre des voix qui remettent les choses dans leur perspective historique : « Très bien pour récupérer ces territoires du fédéral, mais si l’on doit les remettre entre les mains de leurs légitimes propriétaires, il faudrait penser aux Autochtones! ». Un discours marginal pour l’instant, mais qui a certainement le potentiel pour aller plus loin.
Cet enjeu de fond représente le grand drame des forêts publiques américaines : une hyper politisation. Si aménager une forêt devrait en théorie se faire sur le long terme, cela est rendu impossible par le fait que les forêts publiques américaines sont constamment ballotées au gré des changements de garde politique. Et quand ce n’est pas le politique, c’est le juridique qui s’en mêle! Le cas des Planning rules (chronique précédente) en chantier depuis 20 ans est un autre bon exemple. Il n’est pas facile de plaire à tout le monde et à sa mère! Et pourtant, pendant ce temps, au Québec, le gouvernement a décidé de prendre à sa charge l’aménagement des forêts publiques…
Quelques références
…À propos des Roadless areas
Site officiel de la Colorado Rodless Rule
Colorado’s Roadless Rule Debate: How Did We Get Here?
State Goes Its Own Way to Regulate Forest Roads (NY Times – 5 Février 2012)
Amid efforts to protect Colorado’s pristine forests, drilling rights makes inroads (Denver Post – 10 septembre 2011)
… À propos des contestations judiciaires des propriétés fédérales
Lawmakers aim to wrest control of Colorado’s public lands from federal government (coloradoan.com – 23 janvier 2012)
Range war ahead? Utah legislator proposing bill to receive ownership of federal lands withinstate (hjnews.com – 14 janvier 2012)
Utah to Washington: This land is my land! (5 mars 2011)
Utah Land Belongs to Whom? (4 Février 2012)