The Economist : 2- Des stratégies pour sauver les forêts de la Terre
La revue britannique The Economist a publié, dans son numéro du 25 septembre 2010, un numéro spécial sur les forêts et, surtout, comment les sauver. Je vais prendre quelques chroniques pour faire un survol des principaux points développés dans ce dossier essentiel pour quiconque veut comprendre les principaux enjeux internationaux liés aux forêts.
Aujourd’hui : Des stratégies pour sauver les forêts de la Terre
Trois grandes stratégies sont retenues dans cet article, soit :
1- Associer un coût ($) d’opportunité au fait de couper une forêt
On peut facilement mesurer les revenus associés à transformer une forêt en terre agricole ou produire de l’huile de palme. Jusqu’à tout récemment cependant, il n’y avait pas d’outils pour être capable d’estimer « combien cela nous coûte-t-il de remplacer la forêt? ». C’est à cette tâche, soit d’estimer le coût d’opportunité de faire disparaître une forêt, que ce sont attelés des « économistes de l’écosystème forestier » (des économistes de l’écosystèmique?).
« The Economics of Ecosystems and Biodiversity » (TEBB) est un Think Tank supporté par les Nations-Unies et ayant pour mission d’estimer ce coût d’opportunité. Ce groupe a estimé globalement les coûts de la déforestation entre 2 et 4,5 mille milliards (trillions) $/an. Exemple : le groupe a estimé que la « seule » contribution des forêts à l’agriculture sud-américaine par le biais de sa régulation du cycle continental de l’eau valait entre 1 et 3 milliards $/an (billions), ce qui est une estimation conservatrice.
Dans la même logique, il y a le projet américain « Integrated Valuation of Ecosystem Services and Tradeoffs » (InVEST) qui est un logiciel permettant d’estimer la valeur des services de l’écosystème forestier.
L’espoir est que ces initiatives contribuent à mettre en place un système de « Payment for ecosystem service (PES) » à grande échelle, un espoir qui pour l’instant est synonyme de REDD (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation), un des rares succès du Sommet de Copenhague sur le climat de 2009.
2- REDD
REDD (il est aussi question de REDD+, le site officiel ainsi que la page Wikipédia en anglais, qui apparaît bien documentée, vous donneront plus de détails sur le programme et son historique), représente le principal effort financier international pour protéger les forêts tropicales humides (car c’est surtout de ces forêts dont il est question). Les sommes, les besoins en particulier, se chiffrent en milliards de $. J’éviterai ici la valse des chiffres. Ce n’est de toutes façons pas la bonne approche pour estimer les coûts du programme. Il apparaît en fait plus justifié d’aborder la question monétaire des coûts sous l’angle de ce qu’il en coûte pour éviter l’émission de tonnes de carbone. Selon cette approche, il y a des estimations qui varient entre 2 à 4$/tonne à 30$/tonne. Même dans ce dernier cas, c’est une aubaine alors que les coûts pour séquestrer du carbone via des centrales énergétiques (« power stations« ) sont estimés à 75$-115$/tonne.
Deux pays sont pour l’instant au coeur du programme ou, il serait certainement plus juste de dire, « ont fait la manchette », soit la Norvège et l’Indonésie. La première apparaît comme le principal pays finançant ce programme. Ce pays s’est engagé récemment pour 1 millard de $ en Indonésie. En échange, ce dernier a annoncé un moratoire de deux ans sur toute déforestation commerciale.
Plusieurs défis attendent ce programme. S’il serait trop long de détailler chacun, mentionnons : 1- le fait que les pays les plus susceptibles de recevoir de l’argent sont des pays où la corruption est très présente, 2- les pays « en développement » (exemple donné : le Congo) n’ont pas l’infrastructure pour déterminer leur stock de carbone et, finalement, peut-être le plus grand défi : 3 – Tous les hectares de forêt à protéger ne sont pas associés à un droit de propriété bien établi. De fait, une forêt qui n’est clairement associée à personne est une forêt qui peut facilement être rasée.
Pour ce dernier défi, l’exemple donné pour compléter cet article est plutôt déprimant. Il s’agit d’une communauté en Indonésie qui a donné son accord pour transformer 10 000 hectares en production d’huile de palme en échange d’une petite redevance (« small rent« ). Même si on leur reconnaît une certain droit de propriété, ce droit ne s’étend pas au bois ou au carbone. Pour eux donc, tranformer la forêt en autre chose est plus rentable. Et c’est à ce niveau que REDD a un rôle fondamental à jouer car il aurait pu donner à ces communautés locales beaucoup plus d’argent que ce qu’elles recevront des producteurs d’huile de palme.
Petite note : aucun signe du Canada dans ce programme.
3- Impliquer les communautés locales
Si REDD a un rôle à jouer auprès des communautés locales, il y a une autre façon de les impliquer pour contribuer à l’objectif de réduire la déforestation, voire idéalement aller vers de la reforestation : leur donner un clair droit de propriété ou, à tout le moins, d’aménagement. Au cours des deux dernières décennies, les communautés locales de pays « en développement » ont doublé leur contrôle sur les forêts. Cela en partie dû au fait que les gouvernments nationaux se sont avérés de piètres (« lousy« ) conservationnistes. Un exemple probant se trouvant au Guatemala où 450 000 hectares de forêt tropicale humide on été cédés à treize communautés locales. Un autre exemple, qui date des années 1970, est celui des forêts mexicaines qui appartiennent à 75% à des communautés locales.
Des exemples donnés, les communautés locales se sont avérées très efficaces pour valoriser la forêt sans la détruire. Il y a toutefois des « mais ». Les communautés locales vont souvent manquer de connaissances techniques pour aménager leur forêt. C’est pourquoi 80% des forêts communautaires du Mexique ne sont pas aménagées. Aussi, ce ne sont pas tous les leaders des communautés qui sont nobles dans leur gestion des revenus de la forêt. La corruption est présente aussi à cette échelle!
Concernant cet aspect de la dévolution de pouvoirs vers les communautés locales, je laisserais le mot de la fin à Mme Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie spécialisée sur les propriétés communes et l’action collective (« Nobel prize for economics for her work on common property and collective action« ); mot que je laisserai en anglais pour éviter toute traduction boiteuse : )
« We should not think there’s any optimal form for preserving forests. (…) We find government forests that work and community forests that work and those that don’t. (…) Panaceas, like thinking ‘community forests are always great’, are dangerous« .
Prochaine chronique : la part des pays industrialisés pour sauver les forêts tropicales humides