SAF 2012 — Carnet de voyage nº 2 : Feux et Premières nations
400 millions $. C’est la somme que le USDA Forest Service a dû trouver cette année pour continuer à combattre les incendies de forêt (budget initial : 500 millions $). Le problème n’est pas qu’il y ait plus de feux, mais qu’ils sont plus intenses. M. Tom Tidwell, le Chef du USDA Forest Service a illustré ce fait d’une anecdote. Cette année, son organisme a perdu un laboratoire au Nouveau-Mexique dans un incendie de forêt. Il y a 10 ans, nous a-t-il rappelé, il y avait déjà eu un important incendie de forêt dans cette région qui avait menacé ce laboratoire. Ce feu avait brûlé une superficie de 190 km2 en 7 jours. Cette année, le feu a brûlé une superficie presque équivalente en 7 heures! C’est pourquoi la politique est d’investir un maximum pour contrôler les feux dès le départ (attaque initiale), faute de quoi ils deviennent souvent hors de contrôle.
Pourquoi les feux sont-ils plus intenses? Dans les dernières années, les contestations judiciaires par les groupes environnementaux qui ont réduit à presque rien la récolte dans les Forêts nationales ont souvent été pointées du doigt. Dans les faits, il faut probablement chercher la principale raison il y a une centaine d’années, soit dans les suites d’un grand feu en 1910 qui brûla 12 000 km2 principalement en Idaho et au Montana tout en tuant 78 pompiers forestiers. Une histoire qui nous a été racontée par M. Stephen Pyne, éminent spécialiste nord-américain de l’histoire des incendies de forêt.
Pour bien comprendre le contexte de l’époque, M. Pyne nous a tout d’abord dressé un portrait des années 1880. Ces années de colonisation furent marquées par d’importants incendies forestiers alors que les forêts étaient converties pour d’autres usages (agriculture en particulier) à l’aide du feu. Si la stratégie politique était à la privatisation des terres, cette situation stimula un mouvement de conservation des forêts dans le giron public. Et par « conservation », on entend ici « protection contre le feu ». Deux philosophies s’opposèrent alors. Celle défendue entre autres par M. Pinchot qui voulait que tous les feux soient combattus, et celle plus proche de la philosophie autochtone qui consistait à réaliser régulièrement des brûlages dirigés pour préserver une structure de forêts adaptée aux feux. Le feu de 1910, avec ses morts, frappa tellement l’imagination dans la jeune organisation qu’était alors le USDA Forest Service (créé en 1905), qu’il constitua un argument de poids pour l’extinction de tous les feux.
Malgré leurs bonnes intentions, les partisans de cette vision de la conservation des forêts ne réalisaient pas qu’en « évacuant » la philosophie autochtone basée sur le brûlage dirigé, ils instauraient un important changement dans l’écologie de ce qui allait devenir les Forêts nationales. Un changement qui rompait une dynamique établie depuis des siècles (pour rester conservateur).
J’ai profité de l’encan silencieux du congrès pour mettre la main sur un livre de plus de 300 pages intitulé : Forgotten Fires : Native americans and the transient wilderness (auteur: Omer C. Stewart – Anthropologue). Un livre avec une importante bibliographie qui relate l’usage du feu par les Autochtones en Amérique du Nord tant pour créer et maintenir des prairies que pour « aménager » la forêt (le terme « aménager » a plus une dimension culturelle que scientifique chez les Autochtones). Petit extrait lié aux forêts :
Another important problem touched by this work is the burning of forests. There existed many excellent forests in America when it was first settled. Yet until European occupation changed Indians habits, frequently, almost annually, fires passed through those forests. Nevertheless, the tree were large; the forests were open and healthy. Indian burning destroyed much of the underbrush and allowed grass to grow between the trees without killing the trees. Pasture and timber were preserved in good balance. Since burning has been stopped, grass in forests has decreased; brush has increased. Brush growing high among the trees make modern forest fires, which occur in spite of all efforts to avoid them, much more destructive to timber than were the periodic forest fires in aboriginal times. (p. 69)
À noter que si le livre est une édition de 2002, dans les faits, il s’agit d’un travail des années 1950, mais l’auteur n’avait pas été en mesure de publier à cette époque.
Par un drôle de retournement de l’Histoire, la stratégie d’aménagement dans les Forêts nationales est aujourd’hui en lien direct avec la logique d’aménagement des Premières nations : les forêts sont éclaircies « par le bas » (les arbres formant le couvert sont préservés) afin de retirer le « surplus » d’arbres. On n’aménage pas la forêt pour « sortir du bois », mais pour la maintenir en santé en diminuant les risques d’incendie (note : je détaillerai cette philosophie d’aménagement dans un « Carnet de voyage » à venir). Si l’Histoire a confiné les Premières nations à des territoires très réduits par rapport à leur utilisation historique, il apparaît que leur culture d’aménagement est quant à elle en train de faire un retour à très grande échelle.
Pour en savoir un peu plus :
– Sur le feu de 1910 (note : il y a de nombreux sites!)
Site du gouvernement du Montana
– Sur l’usage du feu par les Premières nations
Ma chronique : Les Apaches à la rescousse des Forêts nationales américaines
Article de Wikipédia (le livre Forgotten Fires… est une des références, tout comme M. Pyne)