Le Québec est-il prêt pour une stratégie de production de bois?

L’usine de Domtar à Windsor avec ses plantations à proximité. En mortaise une usine au Brésil entourée de plantations d’eucalyptus – Diapositive tirée de la présentation de M. Patrick Cartier disponible ici.
Les plantations ont-elles un rôle à jouer dans les défis forestiers du 21e siècle? C’est la grande question qui a encadré un colloque organisé par le Réseau Ligniculture Québec (et de nombreux partenaires) à Québec les 18 et 19 mars derniers. Un excellent colloque qui a fait salle comble avec 170 participants. « Excellent » est ici aussi synonyme de «difficile à synthétiser», car il y a eu surabondance d’informations intéressantes à noter. Ayant un souci de rester le plus possible dans un esprit « blogue » (pas trop long), je vais donc vous présenter aujourd’hui un compte-rendu nécessairement partiel et partial (ma vision) de ce colloque. Je vous invite cependant à consulter toutes les présentations qui sont disponibles en version pdf et audio ici.
Ma réflexion à l’égard de ce colloque m’a ramené à une chronique publiée à l’automne 2013, la première de mon compte-rendu du congrès de la Society of American Foresters en Caroline du Sud et intitulée « L’industrie forestière du Sud des États-Unis: une apologie à la Triade ». Axée sur les plantations avec de courtes rotations (environ 35 ans et facilement trois éclaircies), la foresterie du sud des États-Unis se rapproche beaucoup plus de l’agriculture que d’un aménagement écosystémique. Toutefois, la productivité forestière de cette région est telle que si l’on fait un bilan de la production de bois dans ce pays, elle compense l’arrêt presque complet de la récolte dans les Forêts nationales dans le but de préserver l’habitat de la chouette tachetée (chroniques). Cela est dans la logique de la stratégie Triade expérimentée au Québec qui vise à concentrer la production de bois à certains endroits pour plus facilement préserver d’autres valeurs dans d’autres secteurs.
Est-ce le rôle que les plantations sont destinées à jouer au Québec? Sommes-nous prêts à ce qu’elles jouent ce rôle?
Souvent, les exemples de production forestière spectaculaires viennent de l’étranger. M. Sven Gustavsson (QWEB) nous a d’ailleurs présenté la foresterie suédoise qui est régulièrement citée en modèle « productif » au Québec. Toutefois, M. Patrick Cartier de Domtar nous a montré quelques résultats de plantations de peupliers hybrides dans leurs forêts privées des Cantons-de-l’Est qui n’ont rien à envier à qui que ce soit [mise à jour le 17/04/2015: lien vers une visite virtuelle des plantations – ne fonctionnait pas au moment de publier cette chronique]! Dans les cas les plus intensifs où l’on utilise la fertilisation, les arbres deviennent matures (9,1 cm de diamètre à 1,3 mètre de hauteur) après 4 ans! Avec des rendements anticipés de 200 m3/ha entre 15 et 22 ans, il est estimé qu’en 2020 ces plantations représenteront 17% des volumes récoltés sur les terrains privés de la compagnie avec seulement 5% de la superficie [Erratum — 13/04/2015: précédemment, j’avais interprété que les plantations représenteront 17% de l’approvisionnement de l’usine de Domtar à Windsor — Merci à M. Cartier pour la précision!].
Petite note technique ici: on ne parle pas de manipulation génétique; ce sont des hybrides naturels, mais sélectionnés pour offrir les meilleurs rendements possible. C’est une des raisons qui font que les terrains privés de Domtar sont certifiés FSC (Forest Stewardship Council), car le FSC n’aurait pas accepté des arbres génétiquement modifiés. Mais pour atteindre de tels résultats, il faut être prêt à s’investir à long terme, pas juste planter des arbres.
M. Daniel Richard (ministère des Forêts de la Faune et des Parcs — MFFP) nous a présenté quelques statistiques historiques sur les plantations au Québec. La plantation n’est pas une intervention sylvicole que nous venons de découvrir, les premières ayant eu lieu en 1908. C’est cependant dans les années 1980 que les choses sont devenues réellement sérieuses alors que l’ancien ministre et ingénieur forestier Albert Côté engagea le Québec dans un vaste programme de reboisement qui culmina avec la plantation de 251 millions de plants vers la fin des années 1980 (Diapo ci-dessous). Depuis, ce sommet est surnommé le « Pic du mont Albert »; une expression qui a fait florès tout au long du colloque.

Illustration du « Pic du mont Albert » – Diapositive tirée de la présentation de M. Daniel Richard (MFFP) disponible ici.
Si ce « pic » représente un succès quantitatif, il est cependant moins évident qu’il représente un succès qualitatif à long terme pour cause d’un manque généralisé de suivi. C’est Mme Julie Poulin, du Bureau du Forestier en chef (BFEC), qui a présenté ce brutal constat qui a ensuite « plané» sur l’ensemble du colloque puisqu’elle était la deuxième conférencière. Quelques chiffres-clés qu’elle a présentés, tirés d’un « Avis officiel » du BFEC sur les plantations (note: cet Avis ne semblait pas disponible en ligne au moment d’écrire ce compte-rendu – mise à jour le 23/04/2015: disponible!):
- Entre 2008 et 2012, 67% des plantations qui auraient dû avoir un « suivi 2 », soit 10-15 après avoir été installées, n’ont pas été suivies malgré une obligation de le faire.
- Une étude est arrivée à la conclusion que pour les calculs des possibilités forestières de la période 2008-2013, si les plantations avaient été bien suivies et entretenues, leur rendement aurait été supérieur de 42%.
- Finalement, trois études en sont venues aux conclusions que, de façon générale 1— Les suivis n’ont pas été fait ou pas bien fait; 2— L’entretien n’a pas été fait ou a été appliqué avec du retard.
Donc, si nous sommes très bons pour planter des arbres au Québec, nous le sommes à l’évidence beaucoup moins pour en prendre soin après coup. Cela a fait dire à un intervenant: « Pourquoi planter si nous ne faisons pas de suivi? »… Question-clé s’il en est une!
De plus, comme nous l’a montré M. Nelson Thiffault (Direction de la recherche forestière — MFFP), en plus du suivi, de nombreuses variables vont conditionner le succès (ou non) d’une plantation, soit (ex.): la taille initiale des plants, la préparation du terrain et la gestion des essences concurrentes. En clair, pour assurer le succès d’une plantation, il faut être prêt à s’investir à toutes les étapes de la chaîne de « production » et sur le long terme. Et qui dit investissement, dit rentabilité.
C’est là un point abordé par M. François Labbé (Bureau de mise en marché des bois — MFFP). Vous allez ici m’excuser si je n’entre pas dans les détails, car mon cerveau à tendance à « décrocher » lorsqu’il est question de taux d’intérêt. J’ai surtout noté que les chiffres de rentabilité avancés par M. Labbé ont été fortement contestés dans la période de questions par M. Jean-François Côté (Consultants DGR) qui, considérant la période de référence usuelle (60 ans), estime que notre stratégie d’investissement relève plus du mécénat que d’une entreprise lucrative. Pour le comparatif, M. Patrick Cartier (Domtar) nous a fait part que, selon leur modèle économique, leurs plantations de peupliers hybrides allaient leur offrir un taux de rendement de 8% à 10%.
A-t-on une stratégie au Québec pour assurer le bon suivi et la rentabilité de nos plantations? Elle a été indirectement présentée par M. Thomas Moore (MFFP). Il a surtout été question de la place des plantations dans la future « Stratégie de production de bois » du Québec en cours d’élaboration. Une Stratégie qui a en fait été métamorphosée en « volet économique » de la SADF (Stratégie d’Aménagement Durable des Forêts), qui elle reste à publier… Un constat préliminaire toutefois: considérant nos « succès » passés pour préserver nos investissements en plantations, l’ampleur anticipée de cette Stratégie laisser à penser qu’il y a plus de monde pour la bâtir qu’il n’y en aura pour la mettre en pratique!
S’il y a toutefois un point qu’il est souhaitable de retrouver dans cette Stratégie, c’est une prise de conscience claire que l’intensification de la sylviculture (dont les plantations) passe en bonne partie par la forêt privée. Comme on peut le voir dans la diapositive plus haut, avant le « Pic du mont Albert », les forêts privées comptaient pour 60% des efforts en plantation. C’est donc en forêt privée que l’on retrouve notre plus grande proportion de « vieilles » plantations. De plus, si numériquement il y a beaucoup moins de forêts privées au Québec que de forêts publiques (15%-85%), la forêt privée a l’avantage d’être concentrée dans le Sud, proche des marchés et des usines. Finalement, comme l’a exprimé M. André Gravel (Domtar) lors d’une période de questions, le succès des plantations dépend du lien à long terme qui unit un aménagiste et sa forêt. C’est là un point supplémentaire en faveur de la forêt privée: il y a plus de chances qu’un propriétaire fasse un bon suivi des travaux dans sa forêt que ne le font la panoplie de règles qui encadrent l’aménagement de nos 26 millions d’hectares de forêts publiques.
Dans la réalité d’aujourd’hui toutefois, M. Martin Ladouceur, directeur de l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce nous a présenté leur approche créative pour contrebalancer les coupures des années passées dans les programmes d’aide à la forêt privée. Une réalité en phase avec un commentaire de M. Louis Bélanger (professeur, Université Laval), que s’il était bien qu’il y ait une Stratégie de production de bois, il serait souhaitable qu’il y ait aussi une stratégie d’investissement qui l’accompagne.

Salle du colloque sur les plantations tenu à l’hôtel Clarion (Québec) les 18 et 19 mars 2015. (Photo: E. Alvarez)
Comme constat final il est clair que les plantations auraient un rôle à jouer au Québec pour produire du bois au cours du 21e siècle, surtout dans un contexte social « délicat » (caribou forestier). J’ai cependant de sérieux doutes que cela arrivera dans le contexte actuel. Comme mentionné par M. Gravel, la base du succès en aménagement forestier réside sur un lien très fort entre un aménagiste et sa forêt, ce qui n’est pas du tout mis en valeur dans la législation actuelle. Ensuite, surtout à l’égard des succès passés, il risque d’être très difficile de motiver les politiciens de délier les cordons de la bourse pour investir à long terme dans une telle entreprise. Finalement, la certification FSC qui limite à 5% les superficies qui peuvent être converties en plantations pourrait nuire à nos ambitions dans ce domaine (note: comme mentionné par M. Gustavsson, la Suède a échappé à cette règle, car leurs forêts ont été converties en plantations il y a bien longtemps).
Alors que je complète ce compte-rendu, je réalise à quel point seule une fraction de mes notes s’y retrouve, m’étant attardé à ce que j’ai perçu comme étant l’essentiel. Je ne peux donc que vous encourager à consulter et écouter à postériori les conférences de ce très intéressant colloque.
J’ai hâte que tu abordes la question (je ne sais pas si tu l’as déjà fait…) du comment entretenir adéquatement les plantations…avec comparaison du comment les provinces voisines s’en sortent. Je songe ici à la stratégie de protection des forêts adoptée dans les années 90 et que l’on traîne comme un boulet depuis.
C’est toujours un plaisir de te lire Éric. Lâche pas.
Merci pour l’encouragement! : )
Non, je n’ai jamais abordé la question du comment entretenir adéquatement les plantations. C’était de fait ma toute première chronique sur le thème des plantations! Ce colloque m’a permis de me mettre un peu plus à jour sur ce sujet, mais pas au point de pouvoir (pour l’instant) répondre à votre questionnement. Une prochaine fois peut-être : )