Quand l’Initiative Boréale Canadienne perd le Nord
Dans le grand débat qui a cours sur le Plan Nord, je suis tombé sur une référence à un sondage de l’Initiative Boréale Canadienne (IBC) qui, selon une porte-parole de cet organisme, « (…) permet de conclure que 81 % des Québécois sont favorables à la protection de 50 % ou plus du territoire du Plan Nord ». Il n’y a pas très longtemps, j’avais présenté le détail d’un sondage sur le caribou qui avait été repris par Greenpeace avec une interprétation plutôt joviale. Je n’ai pu m’empêcher d’aller vérifier ce tout récent sondage de l’IBC et j’ai pu constater qu’il y a certainement une marge avant de « Permettre de conclure… » quoi que ce soit.
Le sondage est relativement court (quatre questions). Ce qui au départ et en soi une glace plutôt mince pour envisager conclure quelque chose. C’est à la première question que l’on demande si la protection de 50 % de la forêt boréale contre toute activité industrielle est une mesure appropriée ou non. Il est cependant bon de noter qu’il y a un préambule à la question. Et que ce préambule mérite, malgré sa longueur, que je le cite textuellement pour que le lecteur puisse se faire sa propre idée.
La région boréale du Québec abrite un des derniers grands écosystèmes forestiers intacts de la Terre. Dans le cadre du Plan Nord, le premier ministre Jean Charest s’est engagé à mettre 50 pour cent de la région boréale du Québec à l’abri de l’exploitation industrielle afin de protéger la biodiversité et l’environnement, et à appliquer des normes de développement durable à l’autre moitié de ce territoire. Certains groupes environnementaux ont applaudi cet engagement, qui représente, selon eux, un modèle d’équilibre entre conservation et développement durable.
Doit-on être surpris du résultat à la question #1?
La question #2 n’avait pas de préambule. Mais c’était inutile. La question : « Croyez-vous que la foresterie industrielle devrait être permise dans des zones protégées contre les activités industrielles? » En politique, on appelle cela une question « plantée » et un « Non » à 70 % n’est pas un exploit. Ce qui étonne, c’est plutôt le fait que 15 % de la population ait répondu « Oui », un taux qui monte à 19 % dans la région de Québec! Je me demande dans quelle mesure je n’aurais pas été moi-même tenté de répondre « Oui » ne serai-ce qu’en réprobation à me faire poser des questions plantées.
La question #3 est un copié-collé de la question #2, mais en lien avec les activités minières. Finalement, en lien direct avec les questions #2 et #3, c’est à la question #4 que l’on demande si Jean Charest renierait sa promesse de préserver 50 % de la forêt boréale s’il permettait des activités industrielles dans les zones protégées. Il y a quand même 13% de la population qui a répondu « Non ».
Comme dans le cas du sondage sur le caribou, certains enseignements semblent (rappel : il n’y a que quatre questions) émerger de ce sondage commandé par l’IBC. Tout d’abord, il apparaît que les Québécois sont vertueux. Deuxièmement, comme les résultats du sondage sont classés par grande région géographique, la « Gang du Plateau » (Montréal) ne semble pas plus vertueuse que le reste du Québec. Troisième enseignement, malgré qu’il soit question du Plan « Nord », le Nord ne semble pas avoir été contacté pour donner son opinion. Il y a Montréal, Québec, l’Ouest, le Centre et l’Est, mais pas « le Nord ». Il est possible que des gens du Nord soient dans ces trois dernières délimitations, mais il y a quelque chose d’un peu incongru dans le fait qu’il n’y ait pas de « Nord » pour un sondage sur le Plan Nord. Finalement, le sondage amène à penser que l’IBC, qui est une très grosse organisation, a des sous en trop à dépenser.
Et tant qu’à avoir des sous à dépenser pour des sondages « orientés », pourquoi ne pas faire preuve d’un peu plus d’imagination, d’audace? Deux exemples de questions qui pourraient être posées dans un futur sondage. La première : « Le Sud s’étant développé sans grande considération environnementale (forêts urbaines très réduites, étalement urbain…), trouvez-vous équitable de décider pour le Nord d’un modèle économique infiniment plus contraignant? » La deuxième : « D’après vous, 50 % de l’ensemble du territoire du Québec devrait-il être préservé contre toute activité industrielle? » En sondant de plus les gens du « Nord », il y aurait peut-être alors matière à conclure quelque chose sur la base des questions posées, contrairement au sondage dont il a été question ici.
Sources :
L’article qui m’a mis sur la piste du sondage
L’Initiative Boréale Canadienne
Ma chronique sur le sondage sur le caribou
En prime : éditorial de M. Vincent Girardin sur la décision de préserver 50% du territoire dans le Plan Nord
Photo :
Forêt – Île René-Levasseur (Auteur: Colocho, publiée sous license Creative Commons)