De la foresterie pour les Hommes
En commençant ce web-journal, j’ai choisi de ne pas coller à l’actualité immédiate. C’est pourquoi il ne faut pas vous surprendre que je puisse revenir sur des éléments d’actualité qui ne soient pas les plus récents pourvu qu’ils s’avèrent une source de réflexion intéressante. Je vais faire référence aujourd’hui à un article publié en juillet dans un « Spécial Forêts » de la revue l’Actualité soit « Forêts : le péril russe » (note : vous allez aussi retrouver dans ce « Spécial » un article sur la Triade et une entrevue avec Richard Desjardins, ce dernier parlant en fait relativement peu de forêts à cette occasion!).
De quel péril est-il question ici? Les feux. Mais des incendies de forêt dans un contexte où l’équivalent russe de notre SOPFEU (Société de Protection des Forêts contre le Feu) a été pratiquement démantelée depuis 10 ans dû à des coupes budgétaires. Conséquence : la capacité des Russes à détecter les incendies de forêt a été très réduite et, lorsqu’ils veulent intervenir, il est souvent trop tard. Donc, la forêt brûle sans « contrainte ».
Le ton de l’article est catastrophique. Il ne faut pas s’y tromper, c’est effectivement une catastrophe économique. Mais, alors que je lisais l’article, ce n’est pas du tout ce sentiment qui m’animait. Je ne pouvais m’empêcher de penser : « Voilà un bel exemple contemporain d’écosystémique ».
Pensons-y un instant : au Québec, c’est en se tournant vers le passé que l’on définit du mieux possible comment aménager nos forêts en s’inspirant de la Nature. À ce passé, on ajoute des modèles mathématiques qui se tournent vers le futur pour définir quel pourrait être ce futur avec les changements climatiques. Mais là, on a le présent! Peut-être pas un « présent » qui pourrait s’appliquer au Québec (je ne connais pas assez l’écosystème russe pour me risquer à des comparaisons), mais si je me mets à la place d’un aménagiste russe qui déciderait d’aménager avec une approche écosystémique, il y a de quoi être heureux!
Mais à l’évidence, peu de gens sont heureux de ça. Plusieurs questions se sont alors bousculées dans ma tête. Si nous souhaitons tant nous inspirer de la Nature, ne devrions-nous pas la laisser s’exprimer? Ne faire que de la récupération de ce qu’elle nous offre? Mais si nous ne la laissons pas s’exprimer, pour d’évidentes raisons économiques, jusqu’où pouvons-nous définir notre approche « d’écosystémique »? D’accord, je me fais un peu l’avocat du Diable… Mais il y a des questions à se poser sur le sens profond de notre approche : d’un côté, quand la Nature s’exprime, c’est une catastrophe; d’un autre côté, on met d’énormes efforts pour s’en inspirer. Paradoxal non?
Et même si on met beaucoup d’efforts à s’en inspirer, on le fait en sachant très bien qu’une intervention forestière ne sera jamais une perturbation naturelle. Par exemple, si on pense aux feux, la coupe ne peut recréer la dynamique de recyclage des éléments nutritifs dans le sol que l’on va retrouver suite à un incendie. Aussi, un feu ne crée pas de routes! En ouvrant un territoire, on crée des impacts qui sont potentiellement plus grands à long terme sur l’écosystème que le seul fait de faire une coupe une fois aux 70 ans (chronique Un monde sans routes (ou presque…)).
Peut-être serait-il temps de se remémorer une évidence que l’on semble vouloir oublier depuis quelque temps : on fait de la foresterie pour les Hommes, pas pour les arbres (je paraphrase ici une citation attribuée à M. Marcel Lortie, ancien doyen de la Faculté de Foresterie, Géographie et Géomatique de l’Université Laval). Mais réadmettre cela ne veut pas dire que la Nature ne doive pas être considérée.
Plus tôt cette année, je vous avais présenté un article de M. Baskerville intitulé Understanding foret management. Un article de base sur l’aménagement forestier datant de 1986. Il n’était pas question dans cet article de laisser de côté l’aspect de la dynamique naturelle de la forêt dans l’aménagement forestier, ça devait en faire naturellement partie. Pour M. Baskerville, chaque coupe devrait être un évènement unique; une vision en symbiose avec l’aménagement écosystémique et loin des normes sylvicoles souvent bien rigides avec lesquelles nous vivons depuis la Loi sur les Forêts (1987). Avec une génération d’ingénieurs forestiers formée à cette dernière École, une approche écosystémique peut alors paraître aussi formidable que l’invention du bouton à quatre trous. Pourtant, si nous n’avions pas complètement perdu notre culture d’aménagistes au profit d’une culture d’applicateurs de normes, l’écosystémique ferait partie de nous. Seules nos façons de l’appliquer, en parallèle avec l’évolution de nos connaissances, évolueraient.
Alors, une catastrophe les incendies de forêt? D’un point de vue économique, assurément. Mais tant que nous aurons ce point de vue ce sera seulement le signe que nous ne faisons que ce que l’aménagement forestier a toujours fait : de la foresterie pour les Hommes. Assumons-le.
Sources :
Un monde sans routes (ou presque…)
Les bases de l’aménagement forestier : ou comment éviter une autre Commission d’étude
Photos :
Carte Russie (Domaine public)
Incendie de forêt (Domaine public)