La fin d’un monde dans la foresterie québécoise?
C’est bientôt la fin… non pas du monde (!), mais d’un monde : celui de la politique forestière des CAAFs (Contrats d’Aménagement et d’Approvisionnement Forestier) en vigueur depuis le 1er avril 1987. Plus fondamentalement, c’est la fin d’un monde où l’industrie s’occupait de la planification forestière alors que dans moins de quatre mois (1er avril 2013) la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier entrera officiellement en vigueur. C’est le gouvernement du Québec, par le biais du ministère des Ressources naturelles (MRN), qui sera alors responsable de l’aménagement. On peut imaginer que l’on va entrer dans une toute nouvelle ère, mais jusqu’à quel point? À la lumière d’évènements récents de l’actualité, certains des changements les plus significatifs pourraient bien surprendre.
Premier évènement, le retrait la semaine dernière de Greenpeace de l’Entente sur la forêt boréale. Une décision prise suite à la découverte de la construction d’un chemin forestier par Produits Forestiers Résolu dans les Montagnes Blanches, un secteur de l’Entente très sensible pour la protection de l’habitat du caribou forestier. La question ici n’est pas de donner raison ou tort à quelqu’un, mais de constater que la justification donnée par Greenpeace pour sa décision apparaît bien mince. D’autant plus mince que cette année, dans le cadre même de cette Entente, il y a eu accord en Ontario pour protéger l’habitat du caribou forestier.
Je soupçonne que la décision de Greenpeace a été motivée en bonne partie par la nécessité de faire des coups d’éclat contre Produits Forestiers Résolu avant que le MRN ne prenne les commandes de l’aménagement en forêts publiques. À partir du 1er avril 2013, attaquer l’aménagiste, ce sera attaquer le gouvernement du Québec et… tous les Québécois! Ce qui est moins vendeur à l’étranger que de s’opposer à une compagnie forestière, tout en étant politiquement très délicat. Dans cette optique, une des conséquences collatérales de la nouvelle politique va être de transformer le MRN en un puissant bouclier pour l’industrie forestière contre les groupes environnementaux.
Deuxième évènement, le fait que la compagnie Produits Forestiers Résolu soit devenue le mois dernier le plus grand gestionnaire de forêts certifiées FSC (Forest Stewarship Council) au monde avec 15,8 millions d’hectares. Il faut ici rappeler que la nécessité pour les compagnies forestières de se certifier a été rendue incontournable suite aux pressions exercées sur les clients des compagnies par les groupes environnementaux. Et s’il y a plusieurs processus de certification, seul le FSC est accepté par les groupes environnementaux.
Ces derniers ayant très bien fait leur travail, comme le montre l’exemple ci-haut, l’industrie forestière québécoise en est venue à certifier (à ses frais) l’aménagement dans l’essentiel des forêts publiques québécoises selon la norme FSC. En prenant en main la responsabilité de l’aménagement, le MRN se voit donc tenu de maintenir les certifications acquises par l’industrie à la suite des pressions des groupes environnementaux. Des certifications essentielles pour que l’industrie puisse vendre ses produits. En conséquence, certainement inattendue, la nouvelle Loi va ici faire du MRN un « sous-traitant » de l’industrie.
Le troisième évènement, soit le dépôt le mois dernier du projet de Loi 7, permet de constater que, au fur et à mesure que l’échéance approche, le gouvernement semble réaliser que la future politique forestière n’est peut-être pas la Terre promise espérée. L’objectif ici n’étant pas de faire un tour exhaustif du projet de Loi 7, je vous invite à prendre la mesure des interrogations des différents intervenants sur le site de la Commission parlementaire. Je vais avant tout revenir sur les éléments que j’avais déjà discutés concernant la précédente version (nº 67) de cette Loi.
L’immunité que le MRN s’accordait dans le projet de Loi 67 (article 103.2) quant aux volumes de bois garantis a été très balisée dans la version de la Loi 7. Toutefois, le principe que l’aménagiste, qui est aussi le législateur, se protège par une immunité n’a rien à la base pour rassurer les autres acteurs du monde forestier. En particulier, il y a immunité du MRN sur « la survenance de différends liés à l’exécution de la convention d’intégration ». Une façon de dire « je change tout, mais si vous avez des désagréments dus à ces changements, je n’en suis pas responsable ». Sympa!
Aussi, tout comme dans la Loi 67, le gouvernement modifie toutes les formulations « volume de bois garantis » par une formule « volumes de bois indiqués à sa garantie », ce qui n’a assurément pas la même portée! Et ça, c’est quand le mot « garantie » n’est tout simplement pas effacé. Mais ici, ce qu’il faut juger, ce n’est pas tant la direction donnée que la volonté de changer les règles avant que les choses sérieuses ne commencent.
J’ai été très surpris dans les derniers jours de voir que l’industrie forestière avait fait une sortie publique pour réclamer une reprise en main de la responsabilité de la planification et de la certification (l’un allant difficilement sans l’autre). Baroud d’honneur ou flair que quelque chose se passe? Chose certaine, à plusieurs égards la Loi 7 donne l’impression que le MRN cherche à se défaire d’une camisole de force qu’il s’est lui-même mise.
L’adoption de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier devait marquer une nouvelle ère dans l’aménagement des forêts publiques québécoises. Mais le problème est que l’on a fondamentalement gardé l’ancienne philosophie d’aménagement. On va continuer à consacrer d’énormes efforts à estimer le volume et la valeur du bois que l’on va récolter afin d’approvisionner les usines tout en accommodant le plus possible les autres ressources et utilisateurs. Ce n’est pas une révolution.
Est-ce que l’incorporation de l’aménagement écosystémique dans la Loi impliquait de tout changer? Le fait que les industriels aient obtenu des certifications FSC pour l’essentiel du territoire sous aménagement répond, je pense, à cette question; à moins de considérer que le FSC n’est pas synonyme d’aménagement écosystémique. En ce cas, il faut se poser des questions sérieuses soit sur la valeur de cette certification ou sur la définition d’aménagement écosystémique. Mais dans tous les cas, il n’est pas clair comment le MRN fera mieux.
En fait, cette réforme ne semble avoir été menée que sur la base d’une seule vision idéologique : sortir l’industrie de la forêt. Une vision qui a été bien exprimée par la ministre Ouellet en Commission parlementaire :
[…] Mais nous maintenons le fait que la planification et la gestion de la forêt restent de la responsabilité du Ministère des Ressources naturelles. Je crois que c’était un élément essentiel, c’est pour ça que je vous disais qu’avant, l’ancien régime datait un peu d’une autre époque. C’est un bien commun qui est géré par l’outil de gestion du bien commun, qui est un gouvernement. […]
Le problème de cette logique, c’est qu’elle perd de vue que ce qui compte en aménagement forestier, ce n’est pas tant qui fait les plans, mais qui les approuve. Par exemple, si l’industrie faisait les plans d’aménagement, mais que c’était le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) qui les validait, la dynamique aurait été changée sans détruire la structure déjà en place.
Si le MRN avait voulu prendre en main l’aménagement des forêts pour vraiment en changer la philosophie, il aurait pu s’inspirer de la voie qui a été retenue pour l’aménagement des Forêts nationales américaines et qui a été développée à la Forêt nationale de Colville (chronique précédente). Parmi les principales conséquences (je résume), cela aurait amené le remplacement d’une vision d’intervention en forêt exprimée en volumes de bois à une vision exprimée en superficies. Aussi, il n’y aurait plus eu de calcul de la possibilité forestière et de garanties d’approvisionnement. Et ici, l’idée n’est pas de juger de l’intérêt de cette approche, mais de noter qu’elle représente une vision philosophique très différente de ce que l’on fait actuellement et que l’on va perpétuer après le 1er avril 2013.
Le 1er avril 2013, ce sera la fin officielle d’un monde dans la foresterie québécoise. Mais probablement pas tant que ça et certainement pas comme plusieurs l’imaginaient.
Selon les échos que j’entends en provenance du Saguenay-Lac-Saint-Jean, où Résolu est omniprésente, ce seraient les propres députés du PQ de la région qui font des pressions sur le MRN pour qu’on donne du lest à l’égard des changements au régime qui déplaisent le plus à l’industrie forestière.