Les feux de forêt: ces incontournables de l’histoire forestière du Québec
(Dans cette chronique, je vais faire un compte-rendu un peu spécial d’un livre. « Spécial » dans la mesure où l’auteur fut un ancien collègue de travail au sein de la Société d’Histoire Forestière du Québec. Il s’agit du livre « Feux de forêt: l’histoire d’une guerre » de M. Patrick Blanchet. C’est lui-même qui, à l’époque, m’a gracieusement cédé une copie du livre dont je fais le compte-rendu aujourd’hui. Si nous ne sommes plus en contact, je ne peux toutefois pas prétendre à une totale impartialité. Soyez-en donc avisés.)
Après ce petit avertissement plus personnel, je me sens dans l’obligation d’en faire un second lié au contenu du livre: il s’agit d’un livre d’histoire couvrant la période 1869-1972. Dans le tout dernier paragraphe de sa conclusion, l’auteur fait un petit retour sur un colloque portant sur l’aménagement forestier et le feu auquel il a assisté en 2002 (le livre a été publié en 2003). Il avait alors pu constater que notre relation avec les feux de forêt était en train de changer. Le feu ne faisait pas que « détruire » la forêt, il contribuait aussi à son renouvellement. « L’ennemi » d’hier était en train de devenir une source d’inspiration pour nos stratégies d’aménagement. De fait, aujourd’hui, l’aménagement écosystémique, qui s’inspire largement des perturbations naturelles, est au cœur de la nouvelle politique forestière du Québec en vigueur depuis le 1er avril 2013.
C’est donc à un compte-rendu d’un livre d’histoire que je vous convie aujourd’hui. Une histoire annoncée comme celle d’une « guerre » contre les feux de forêt, mais qui, dans les faits, est aussi une histoire du Québec.
Ce livre de 183 pages est divisé en douze chapitres regroupés en trois grandes sections. Les informations se recoupent entre ces trois grandes sections, car elles représentent chacune un regard différent sur l’évolution de la lutte contre les feux de forêt au Québec. Ces trois « regards » sont: 1-le politique, 2-les acteurs sur le terrain et 3-la technologie. À souligner que c’est là mon point de vue, le descriptif de ces trois sections étant plus long (et à mon goût, moins clair) dans le livre. En offrant différents regards sur des mêmes évènements, cette structure s’avère une belle façon de prendre la mesure de toute la richesse de l’histoire de ce combat.
La première section, « le politique », est dédiée au développement des lois successivement votées dans l’optique de combattre les feux de forêt. Il y est naturellement question des jeux de coulisse politiques alors que les partisans du développement de l’aménagement (industriel) des forêts furent très longtemps en lutte avec ceux de la colonisation qui favorisaient la conversion des forêts en champs agricoles. Aussi, les jeux de pouvoir dans les relations entre le gouvernement et l’industrie forestière, relations depuis longtemps sujettes à des accusations de « copinage », sont bien présents.

(Source: Société d’Histoire Forestière du Québec)
La deuxième section, sur les acteurs du terrain, s’attarde au développement en parallèle des différentes coopératives de protection mises en place par les concessionnaires forestiers et du Service de la protection du gouvernement du Québec en charge des territoires non couverts par les concessions. Point d’intérêt à souligner, car on en parle que trop peu souvent, la problématique des petites forêts privées (< 800 hectares) a droit à un chapitre complet. Les différentes initiatives qui ont vu le jour entre 1869 et 1972 ont depuis cette dernière date laissé leur place à la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU). Le livre ne couvre cependant pas l’histoire de cette dernière organisation.
La troisième section, qui s’attarde au développement des technologies pour combattre les feux de forêt, est celle que j’ai trouvée la plus fascinante à plus d’un égard. Elle montre tout d’abord tout le défi technologique et logistique qui a été nécessaire pour mettre en place une structure de combat à la fois efficace et technologiquement de pointe. Aussi, cette section est a contrario du contexte social d’aujourd’hui où l’industrie forestière a une image plutôt négative, car on y découvre des industriels forestiers à l’avant-garde du progrès (note: et le gouvernement n’était pas en reste). Par exemple, il y a eu de sérieux tests pour implanter la radiotéléphonie (ondes) alors que le câblage était la norme, une Ford T fut utilisée pour les patrouilles dès 1914 (début de production en 1908) et, si les tours à feu ont pendant longtemps été le symbole de la protection contre les incendies forestiers, les avions de détection ont commencé à être utilisés dès 1919.
Pour le clin d’œil à une très récente chronique, la Mauricie, et plus spécifiquement la région de Grand-Mère, furent aux premières loges du développement de l’utilisation des avions de détection à l’initiative de M. Ellwood Wilson, alors chef forestier de la Laurentide Co. Cette région fut aussi une pionnière dans les structures d’organisation contre les feux de forêt alors que la St-Maurice Forest Protective Association fut la première du genre en 1912… avec l’incontournable M. Wilson comme cofondateur.
Finalement, cette section nous apprend que si un grand effort fut mis sur le combat direct, la lutte contre les feux ne s’est pas résumée à cela. De grands succès ont été remportés pour diminuer les causes de feux liées aux chemins de fer, aux feux d’abatis (suite au défrichage pour la colonisation) et dans le développement d’un indice d’inflammabilité.

Tour à feu ou tour d’observation (Source: Société d’Histoire Forestière du Québec)
Les tours à feu, de par la place qu’elles occupent dans l’imaginaire collectif, méritent sans conteste un mot en propre. Si la toute première tour fut construite en Gaspésie en 1910, le « réseau » comme tel prit son envol avec la création de la St-Maurice Forest Protective Association. Une énorme logistique encadrait le réseau des tours. Par exemple, en 1925, environ 5 000 km de câbles téléphoniques rayonnait entre les tours à feu et les autorités chargées du combat au sol. Ce chiffre devait monter à près de 13 000 km en 1942. En 1966, un total de 503 tours à feu couvraient le territoire québécois. Ci-dessous une petite anecdote de 1927, sous forme de citation, pour mieux visualiser l’importance du réseau des tours d’observation. Elle est de M. Henri Kieffer, alors grand patron du Service de protection au gouvernement.
Si certains souverains ont pu justement dire que le soleil ne se couchait jamais au-dessus de leurs domaines, nous avons presque raison de dire que, dans [le] Québec, il n’y a pratiquement pas un coin de la forêt qui échappe à l’œil du veilleur aérien [observateur de tour].(p. 139)
Les tours devaient finalement laisser graduellement leur place à l’avion de détection à partir des années 1960-1970.
Un des plaisirs dans la lecture de ce livre est que l’on (re)découvre au fil des chapitres les grands noms qui ont fait notre histoire forestière. Comme présentés plus tôt, il y a messieurs Wilson et Kieffer, mais aussi messieurs Gustave C. Piché (chronique dédiée) Avila Bédard, William C. J. Hall, Robert Bellefeuille… Aussi, pour la mise en perspective historique, vous pourrez noter que bien qu’aujourd’hui les mots « protection » et « conservation » sont souvent utilisés pour « protéger » la forêt de l’industrie forestière, il n’y a pas si longtemps ces mêmes mots étaient utilisés par l’industrie pour protéger les forêts contre les feux!
Pour la petite critique, le seul défaut de ce livre est qu’il n’a pas d’index. Que ce soit pour les noms ou les évènements, il est impossible de les retracer directement. Si vous avez lu de mes précédents comptes-rendus, vous savez à quel point c’est pour moi un élément important. Mais, et c’est là un biais assumé de ma part, je ne critiquerai pas trop l’auteur ici, car il m’a lui-même dit à quel point l’absence d’un index était son grand regret…
Il est facile de constater que ce livre est le fruit d’un énorme effort de recherche et de synthèse. Il y a en particulier beaucoup de petits détails et de statistiques qui s’intègrent très bien à l’histoire dont la trame est bien définie. Le livre regorge aussi de photos et d’affiches d’époque qui agrémentent la lecture.

(Source: Société d’Histoire Forestière du Québec)
C’est là donc un livre essentiel pour comprendre un grand pan, non seulement de l’histoire forestière du Québec, mais de l’histoire du Québec tout court. Malheureusement, je ne peux vous recommander d’acheter ce livre, car l’éditeur a fait faillite il y a de nombreuses années! Il est cependant toujours possible de le télécharger gratuitement sur le site de la Société d’Histoire Forestière du Québec (SHFQ) cofondée par M. Blanchet. Vous pouvez aussi retrouver des capsules du livre sur le site du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Finalement, l’auteur a contribué en 2004 à la transposition de son livre en une série télé diffusée sur la chaîne Historia. À souligner que la SHFQ a aussi un compte Flickr sur lequel vous allez retrouver près de 1600 photos à grande majorité à caractère historique dont plusieurs se retrouvent dans le livre (et dans cette chronique).
excellente chronique
est-il encore possible de ce procuré ce livre
Si oui où.
Merci
Il y a une copie usagée sur Amazon!
La SHFQ en a aussi peut-être encore des copies. Aux dernières nouvelles toutefois, seules des copies de la version anglaise existaient encore.
Il y a peut-être aussi les librairies de livres usagés.
Les bibliothèques doivent en avoir des copies (avec les réseaux de prêts entre bibliothèques, cela devrait être assez facile par cette voie).
L’idéal serait qu’il y ait un nouvel éditeur qui reprenne la publication de cet incontournable (si la chose est légalement possible).
Merci : )