Les concessions forestières : un mal nécessaire dans l’histoire du Québec ?
De par mon intérêt pour l’histoire forestière du Québec, plusieurs chroniques de ce blogue ont déjà abordé le sujet des concessions forestières.
Pour le rappel, une concession représentait un droit de coupe renouvelable de 12 mois dans des limites bien définies. Il n’y avait qu’un seul concessionnaire par territoire et ces derniers avaient alors les droits sur tous les arbres à l’intérieur de leurs concessions. Par exemple, les papetières pouvaient vendre les droits sur les feuillus même si elles s’approvisionnaient seulement en résineux. Malgré cet aspect fort critiqué qui contribua à mettre fin à ce régime forestier, les concessionnaires étaient reconnus par le gouvernement comme des aménagistes (trop) prudents.
Pour continuer à documenter ce mode de tenure, et en continuité avec ma série sur les Rapports annuels du ministère des Terres et Forêts (MTF) pré-Révolution tranquille, je vous présente aujourd’hui l’évolution de la superficie des concessions entre 1925 et 1961. Mais pas seulement.
De fait, les concessions ont été si dominantes que l’on a tendance à oublier qu’elles ne représentaient pas le seul outil d’attribution des bois dans les mains gouvernementales. De plus, comparativement aux superficies couvertes par les actuelles Unités d’aménagement forestier (UAFs), la « dominance » des concessions forestières apparait toute relative. À la clé, cela m’a amené à réfléchir sur le rôle historique réel des concessions dans la stratégie gouvernementale d’attribution des bois.
Des concessions forestières en mode « mesuré »
C’est certainement la première chose qui frappe en regardant le graphique ci-dessous : la superficie totale (incluant l’eau et les « improductifs ») des concessions forestières a historiquement été bien moindre que les superficies totales aménagées aujourd’hui. Et la superficie nette pour les plus récents calculs des possibilités forestières ne fait qu’accentuer ce constat. Avec près de 27 millions d’hectares, cette dernière représente une superficie nettement supérieure au sommet des concessions de la période pré-Révolution tranquille (21,6 millions d’hectares en 1961).
Le deuxième point que l’on peut noter est la quasi-absence de croissance de la superficie des concessions entre 1925 et 1961. Et ce n’était pas faute de territoires libres. Les possibilités d’expansion étaient d’autant plus grandes qu’à cette époque la limite nordique était fixée au 52e parallèle alors qu’elle est aujourd’hui autour du 51e.
Un facteur qui a assurément joué fut le krach boursier de 1929. Il y eut un premier pic de superficie en 1930 avant que la crise économique ne rattrape le monde forestier. Ce dernier n’eut pas le temps de s’en remettre que la 2e Guerre mondiale se profilait. L’expansion de la superficie des concessions devint soutenue après la guerre, mais sans pour autant être spectaculaire. Il a d’ailleurs fallu attendre 1955 pour qu’elles reviennent à une superficie équivalente au premier pic.
Les oubliées : les forêts cantonales et domaniales
Pendant que les concessions s’étendaient à rythme mesuré, deux autres modes de tenures se développaient en forêts publiques québécoises.
Il y eut les forêts cantonales. Leurs superficies n’ont jamais été comparables aux concessions. Toutefois, comme on peut le noter dans le graphique ci-dessous, leur croissance a été régulière pendant toute la période étudiée, même à la suite du krach de 1929.
Il faut dire qu’elles avaient une mission bien différente des concessions. Elles étaient là pour soutenir directement les colons, une mission gouvernementale pendant toute la première moitié du siècle dernier. Entre 1888 et 1973, il y eut toujours un ministère (ou « département », avant la création formelle des ministères) avec le mot « Colonisation » dans son nom. Entre 1934 et 1962, il y eut même le ministère de la Colonisation.
Plus spécifiquement, leur vocation était de fournir du bois aux colons qui n’avaient pas de forêts sur leur terre. Les colons devaient payer des droits de coupe comme l’industrie, mais pas les autres frais comme la rente ou la taxe de feux. Il n’était cependant pas exceptionnel que le bois soit fourni gratuitement dans les périodes plus difficiles ou simplement pour aider les plus nécessiteux.
M. Piché, premier Chef du Service forestier du MTF, misait beaucoup sur ces forêts pour assurer le succès de la colonisation et se réjouissait de leur bon accueil auprès des principaux bénéficiaires :
Cette politique rencontre beaucoup de faveur auprès des cultivateurs, car ils comprennent que la réserve cantonale est destinée, non pas à servir les intérêts de quelques personnes, mais à constituer un approvisionnement certain pour toute la communauté, à être réellement une forêt communale !
– MTF 1926, pages 30-31
Suite au départ de M. Piché en 1936, la création des forêts cantonales a poursuivi son chemin pour approcher le million d’hectares en 1961.
Il y avait aussi les forêts domaniales. Ces dernières étaient réservées pour l’industrie, mais étaient directement aménagées par le MTF. Elles apparaissent pour la première fois dans les statistiques en 1926 et, à l’exception d’un pic, leur superficie est restée assez stable autour de 600 000 hectares jusqu’en 1961. Leur « destin » fut cependant spectaculaire.
Dans les années 1960, les concessions continuèrent à progresser doucement pour atteindre 23 millions d’hectares en 1971. Or, en cette même année, la superficie des forêts domaniales atteignait… 22,9 millions d’hectares ! Et à la fin des années 1970, le volume des récoltes se comparait à celui des concessions.
Dès que le « Maître chez nous » qui accompagna la Révolution tranquille se mit à résonner, les forêts domaniales remplacèrent de facto les concessions comme tenure de choix pour favoriser le développement de l’industrie (et l’économie) forestière. Je détaille plus en détail cette histoire dans la chronique « Cut and run: une philosophie gouvernementale ? L’épopée des forêts domaniales ».
Les concessions forestières : un mal nécessaire ?
Les concessions ont représenté un pan majeur de l’histoire forestière du Québec. Toutefois, au long de mes compilations et lectures pour cette chronique, je ne pouvais que noter la « retenue » dont faisait preuve le gouvernement pour ouvrir de nouveaux territoires aux concessions. Il y avait de très bonnes raisons économiques de ne pas chercher à accroître une offre en produits du bois alors que le marché était en crise. Mais même en situation favorable, le gouvernement semblait particulièrement peu pressé d’accorder des concessions.
Par contre, dès que les conditions politiques (et économiques) s’y sont prêtées, les valves ont été grandes ouvertes pour les forêts domaniales. Aussi, la création de forêts cantonales dédiées aux colonisateurs a profité d’un intérêt sans failles du MTF.
Il y a une image très négative du rôle du gouvernement dans l’histoire de l’aménagement des forêts publiques québécoises : il aurait avant tout travaillé en faveur des industriels. Pourtant, il fut à l’évidence très mesuré dans son attribution des concessions forestières ; presque comme un mal nécessaire en attendant d’avoir une autre formule.