La 2e et 3e transformation du bois : une industrie historique au Québec
Le Québec forestier est-il un cancre en 2e et 3e transformation du bois (meubles, portes, boîtes en carton…) ? Autrement dit, est-il incapable de produire autre chose que des 2×4 et du papier journal ? On serait tenté de le penser alors qu’immanquablement les commentateurs nous rappellent que nous devrions cesser de nous concentrer sur ces produits pour nous tourner vers de la valeur ajoutée. Si ce jugement m’est toujours apparu quelque peu excessif, mes explorations des Rapports annuels du Ministère des Terres et Forêts (MTF) pré-Révolution tranquille m’ont permis d’appuyer mes impressions avec des chiffres.
Dans une de mes (trop) rares chroniques à saveur « transformation », je vous présente donc quelques statistiques qui mettent à mal cette vision du tout-à-la-première-transformation au Québec. Il y sera aussi question du rôle du MTF dans l’évolution de l’industrie vers plus de 2e et 3e transformation du bois.
Exercice d’industries comparées
Le premier graphique ci-dessous détaille l’évolution des emplois dans les principales industries forestières entre 1941 et 1960. Comme l’on pouvait s’y attendre, il y a une domination des pâtes et papiers. Toutefois, c’est pour la deuxième place que les choses deviennent plus intéressantes. On peut noter que dans la deuxième moitié des années 1940, le nombre d’employés dans les différentes industries de la 2e et 3e transformation surpassait légèrement ceux de l’industrie du sciage (2×4).
Cette petite dominance en nombre d’employés dans les industries de la 2e et 3e transformation sur celle du sciage s’accentuait sous l’angle des salaires (Figure ci-bas). Alors que dans l’industrie du sciage les émoluments n’ont que légèrement progressé pour la période étudiée, ils ont montré une augmentation beaucoup plus soutenue dans les industries de la 2e et 3e transformation.
Quant à l’industrie des pâtes et papiers, on peut mieux comprendre la place dominante qu’elle occupe (avec raison cette fois) dans l’imaginaire collectif. On peut aussi prendre la mesure de la place qu’elle a jouée dans l’enrichissement collectif et particulièrement celui des régions.
Pour la perspective plus actuelle, je m’en suis tenu aux chiffres du Conseil de l’Industrie Forestière du Québec datés de 2014. On peut y noter que les emplois directs et indirects liés à la 2e et 3e transformation représentaient 46 % des quelque 60 000 employés de l’industrie forestière contre 26 % du total en 1960. La tendance à l’accroissement observée avant la Révolution tranquille s’est donc accentuée. (→note méthodologique : les classifications entre 1re, 2e et 3e transformations ayant pu évoluer entre les époques, les chiffres expriment avant tout une grande tendance)
Du rôle gouvernemental
Le gouvernement eut un mot à dire dans le développement de l’industrie de la 2e et 3e transformation. Car s’il avait un réel enthousiasme à observer la croissance de l’industrie des pâtes et papiers, il avait aussi le souci de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier.
Dès 1926, craignant une surproduction des pâtes et papiers, le premier chef du Service forestier du MTF (M. Piché) faisait la promotion d’un ralentissement de la production au profit d’autres produits. Il se méfiait aussi des guerres commerciales (déjà !) qui pouvaient nuire à une industrie surtout axée sur l’exportation :
Cet accroissement de production ne laisse pas cependant de donner lieu à quelques craintes, non pas tant pour l’épuisement de nos ressources forestières que pour l’encombrement prochain du marché des papiers. (…) Comme le Canada ne peut absorber qu’une faible partie de la production totale des pâtes et des papiers que l’on y fabrique, il s’ensuit que nous dépendons beaucoup trop des marchés étrangers, ce qui veut dire que nous sommes sujets dans une trop grande mesure aux vexations tarifaires des autres pays.
Il me semblerait donc prudent de ralentir, si possible, la production des pâtes à papier journal sinon de ne pas augmenter davantage la production avant quelques années, car je crois le temps venu pour que nos fabricants cherchent des débouchés ailleurs que dans cette voie. (MTF 1926, p. 19)
Il soulignait à cet égard le développement de la rayonne (soie artificielle à base de bois) et espérait que les industriels s’investissent plus dans cette voie. Il souhaitait aussi que l’on maximise l’utilisation de nos bois plutôt que d’en importer :
(…) De même l’ignorance des propriétés particulières à nos bois indigènes est cause que très souvent on n’utilise pas certains de nos bois là où ils rendraient d’aussi bons services que des bois importés à grands frais.
(…)
Nous croyons donc nécessaire d’abord d’enquêter auprès de chacune des usines de notre province où l’on emploie le bois, comme matière première, pour établir quel [sic] sont les emplois que l’on en fait, quitte à complémenter ces enquêtes commerciales par une comparaison avec les usages tirés de ces mêmes bois, dans les autres pays.
Nous entendons bientôt publier des monographies sur chaque bois et sur chaque produit forestier, au fur et à mesure que ces études seront complétées. (MTF 1928, p. 37)
Cela devait mener deux ans plus tard à la création de la Commission des Produits Forestiers « destinée à travailler pour obtenir une utilisation plus rationnelle et plus complète des produits de nos forêts ». Plus spécifiquement, M. Piché se réjouissait que cette Commission allait « permettre à nos petits fabricants de bien organiser leur industrie afin de produire des bois mieux finis, mieux classés, mieux préparés et qui pourront se vendre à prix plus rémunérateurs. » (MTF 1931, p. 26)
M. Piché dû quitter le MTF en 1936, mais cet intérêt pour les industries autres que le sciage et les pâtes et papiers se perpétua au ministère. Plus spécifiquement, et dans la foulée de la Commission des Produits Forestiers (qu’elle a probablement remplacée), l’année 1944 devait voir apparaître au sein du MTF le Bureau de la Petite Industrie forestière dont le but était de :
(…) stimuler l’utilisation du bois, en dehors du domaine de la grande industrie des sciages, de la pulpe et du papier. Son rôle est d’aider, par les conseils techniques, les recherches, la propagande, au développement des petites industries existantes, de chercher à en faire naître de nouvelles, finalement de trouver des emplois ou débouchés nouveaux pour les bois de toutes sortes et même pour les déchets de bois. (MTF 1945, p. 42)
En conclusion…
Si vous entendez à nouveau des commentateurs se plaindre qu’au Québec l’on ne fait que des 2×4 et autres produits du bois de première transformation, vous pourrez vous dire avec confiance (ou leur dire si l’occasion s’y prête) que c’est faux… et ce depuis longtemps !