« Cachez cette garantie que je ne saurais voir » : la nouvelle politique du MRNF
La Loi 67. Cela vous dit quelque chose? Peut-être pas encore… Et le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) souhaite ardemment que vous regardiez ailleurs pendant qu’il essaie de faire adopter cette Loi qui modifierait la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (Loi 57) qui entrera officiellement en vigueur le 1er avril 2013. Après tout, pour utiliser les mots du communiqué de presse officiel du 18 avril dernier, il ne s’agit que de « modifications mineures » de façon à « préciser le contenu de la Loi [sur l’aménagement durable du territoire forestier] afin d’en assurer une mise en oeuvre efficace ». De plus, le préambule de la Loi 67 spécifie que « Ce projet de loi a principalement pour objet de préciser les droits et les obligations du ministre des Ressources naturelles et de la Faune et des bénéficiaires de garantie d’approvisionnement relativement à l’octroi de ces garanties ainsi que la nature et les effets juridiques des actes qui en découlent (…) ». Rien de bien méchant a priori, pourtant…
Cette Loi « mineure » qu’est la Loi 67 comprend tout de même 67 articles (un hasard assurément) qui touchent à différents aspects de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier et la Loi sur le MRNF. Et si je ne m’attarde aujourd’hui qu’aux éléments qui me « parlent » le plus et qui, je dois dire, ont déjà commencé à soulever la controverse, je vous invite à jeter un coup d’oeil à l’ensemble de la Loi 67. Le point majeur, celui dont vous allez le plus entendre parler, se résume à l’ajout (potentiel) de l’article 103.2 dans la Loi 57. Je le reproduis en entier afin que vous en preniez la pleine mesure :
[Loi 67, article 27]. Le bénéficiaire d’une garantie d’approvisionnement ne peut réclamer du gouvernement une indemnité ou une compensation si, au cours d’une année, une partie des volumes de bois achetés en application de sa garantie n’a pu lui être délivrée en raison de l’imprécision des inventaires forestiers, du respect des plans d’aménagement forestier et des prescriptions sylvicoles applicables ou de la survenance de différends dans le cours de l’exécution d’une convention d’intégration.
Il faut ici rappeler qu’un des gros morceaux de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier est la prise en main complète de la planification forestière par le MRNF. Une prise en main qui est déjà effective, car c’est le MRNF qui est chargé de préparer la saison de coupe 2013. Par ce seul article, le ministère envoie donc des messages très préoccupants.
Tout d’abord, doit-on comprendre que le Bureau du Forestier en chef travaille avec des intrants qui s’avèrent ne pas être assez fiables pour faire un bon calcul de la possibilité forestière? Deuxièmement, et malgré le fait que le ministre Clément Gignac clame que le MRNF va faire face à ses responsabilités, il est évident que l’article a été écrit dans une autre logique. On est alors en droit de se demander dans quelle mesure le ministre est-il en phase avec son ministère. Troisièmement, cela envoie un message désagréable à l’industrie et à tous les autres intervenants du milieu forestier : « c’est nous les patrons et l’on a le pouvoir de changer les règles quand on veut sans aucune conséquence légale ». En bref, beaucoup d’incertitude et, considérant que l’aménagement forestier, c’est sur le long terme, cette démarche du MRNF n’est assurément pas la meilleure stratégie pour établir ce que le ministère appelle un « régime forestier durable, de calibre international ».
Mais si l’article 103.2 sort du lot, il ne faudrait pas faire l’erreur de ne regarder que cet article qui pourrait être amendé (le ministre s’est montré ouvert à cela à défaut de l’abroger comme le souhaite le Conseil de l’Industrie Forestière du Québec). Ce faisant, on passerait à côté du fait que toutes les formulations se rapprochant de « volumes de bois garantis » de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier seraient éliminées par la Loi 67. Parfois, c’est clairement exprimé comme dans la proposition de modification de l’article 89 :
[Loi 67, article 15] L’article 89 de cette loi [57] est modifié par le remplacement, dans le deuxième alinéa, des mots « les volumes annuels de bois garantis pour chacune des régions concernées » par les mots « les volumes annuels de bois qui peuvent être achetés par le bénéficiaire en provenance de chacune des régions concernées ».
Ou comme dans la modification de l’article 93 qui dénote une nette aversion pour le mot « garantis »:
[Loi 67, article 18] L’article 93 de cette loi [57] est modifié par la suppression, partout où il se trouve, du mot « garantis ».
Dans d’autres occasions toutefois, on pourrait qualifier de « ratoureuses » (en bon québécois…) les modifications proposées, car on présente dans la Loi 67 une nouvelle formulation d’un article sans mentionner que la seule modification est la disparition du mot « garantis ».
Malgré cette épuration des « volumes de bois garantis » dans la Loi 67, la « garantie d’approvisionnement » a quant à elle été préservée. Donc, si l’on récapitule et que l’on essaie de suivre la logique du MRNF, ce dernier garantit toujours que les industriels forestiers auront du bois, mais il ne veut plus s’engager sur un volume précis, et ce, sans conséquence légale.
Dans une précédente chronique, je m’étais déjà exprimé sur le fait que la fragmentation de la structure de l’aménagement des forêts publiques québécoises allait certainement avoir un impact néfaste sur la qualité de cet aménagement. Si l’on doit ajouter à cela une couche d’incertitude enrobée de non-responsabilité, il faut s’attendre à ce que cette nouvelle politique forestière ait une date de péremption inférieure aux 25 ans de la Loi sur les Forêts.
Et dans ce dossier, ce qui est particulièrement agaçant, inquiétant même, est de voir le MRNF essayer d’endormir tout le monde en banalisant les changements qu’il souhaite apporter à la Loi 57. Si la Loi 67 était adoptée comme telle, ce serait tout sauf un changement mineur à la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier qui a été adoptée à l’unanimité. Et comme j’ai de forts doutes que ce serait le cas de la Loi 67 dans sa forme actuelle, cela amènerait une sérieuse brèche dans l’appui politique de ce régime forestier en devenir. En attendant de voir la suite des choses, ce que la Loi 67 nous permet de déduire, c’est qu’après les beaux et grands discours, la réalité terrain rattrape le MRNF. Et vite.
En complément:
Page officielle du projet de Loi dont le lien sur la consultation du 5 juin dernier en Commission parlementaire
[Mise à jour de ce dossier le 21 décembre 2012 dans cette chronique ]