De l’apport des Innus dans la planification forestière et d’aménagement écosystémique
Les autochtones, les Innus en particulier, influencent-ils réellement les plans d’aménagement forestier lorsqu’ils sont impliqués dans leur élaboration? C’est ce qu’ont vérifié une équipe de chercheurs menés par Stephen Wyatt (Faculté de foresterie à Moncton) et dont les résultats sont présentés dans le numéro de novembre de la Revue Canadienne de la Recherche Forestière.
Je ne vous ferai pas languir sur la conclusion : « oui », les Innus du Labrador ont eu une influence réelle sur l’évolution des plans d’aménagement touchant leur territoire. Une influence qui s’est fait sentir depuis le début des années 2000 suite à des ententes avec le gouvernement terre-neuvien pour leur permettre d’être plus impliqués.
Quatre caractéristiques ont défini les différences entre les plans influencés par les Innus et ceux qui ne l’étaient pas. Tout d’abord, les plans « Innus » étaient structurés sur la base de trois types de paysages : écologique, culturel et économique; « culturel » remplaçant ici « social » dans une optique de développement durable. Deuxièmement, on retrouvait un réseau d’aires protégées sur la base des paysages écologiques et culturels. Cela a amené une diminution de la possibilité forestière qualifiée « d’importante ». Troisièmement, les valeurs sociales et culturelles du territoire étaient décrites et liés avec les actions qui seraient prises sur le terrain. Finalement, un effort particulier était fait dans le suivi («monitoring») et la recherche pour assurer un aménagement adaptatif efficace.
Mises en garde! Oui, il y a eu une influence des Innus dans la confection des plans, mais comme le notent les auteurs, encore faut-il que cela se traduise sur le terrain, un aspect qui n’est pas abordé dans l’étude. Aussi, la faible demande industrielle pour le bois fut une variable importante pour faciliter la diminution de la possibilité forestière afin de répondre aux préoccupations des Innus. De plus, cela peut paraître paradoxal, mais l’étude n’a pas documenté si les plans d’aménagement influencés par les Innus étaient en phase avec une vision innue de l’aménagement forestier. C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu d’étude auprès des communautés pour définir leur vision et vérifier si cette vision s’était transposée dans les plans. Tout ce que l’étude note, c’est que les Innus ont eu une influence par rapport à des situations où ils n’étaient pas impliqués. Finalement, malgré cette influence, les plans sont fondamentalement restés des plans d’aménagement forestier où l’aspect récolte du bois était une composante centrale.
Ces mises en garde faites, il faut remettre en avant-plan le résultat concret du processus de planification forestière qui s’est déroulé avec les Innus au Labrador : la forêt n’a pas été fermée à la récolte même si cette dernière a été diminuée et une « valeur » a été apportée au processus d’aménagement.
Petit aparté intéressant. Depuis 1996, Terre-Neuve-et-Labrador a incorporé l’aménagement écosystémique dans leur planification forestière. Leur définition, telle que retranscrite dans l’article : « the integration of scientific and traditional knowledge of ecological relationships and limits of growth with social values to attain the goal of sustaining natural forest ecosystem integrity and health over the long term » Au Québec, la définition, telle que définie dans la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier : « un aménagement qui consiste à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle ».
Référence :
Wyatt, S., Merrill, S., et Natcher, D. 2011. Ecosystem management and forestry planning in Labrador: how does Aboriginal involvement affect management plans? Canadian Journal of Forest Research 41(11) : 2247-2258. doi:10.1139/x11-126
Photo :
Mosaïque Innus (photo du domaine public)