Les Apaches à la rescousse des Forêts nationales américaines
En 2011, l’Arizona et le Nouveau-Mexique ont été touchés par d’importants feux de forêt. En Arizona, le Wallow Fire fut le plus important de l’histoire (connue) de cet État et a couvert à lui seul 2 200 km2 (538 000 acres). La particularité de ce feu est qu’il a brûlé presque essentiellement dans la Forêt nationale Apache-Sitgreaves et a été freiné sur son front ouest par les forêts que l’on retrouve dans deux Réserves de tribus Apaches, soit Fort-Apache et San Carlo. Pourtant, le pin ponderosa (Pinus ponderosa) était l’essence dominante tant dans la Forêt nationale que les Réserves apaches. La différence? Contrairement à la Forêt nationale, les territoires Apaches sont intensivement aménagés depuis plusieurs décennies à l’aide, en particulier, de brûlages dirigés. Cela a avivé le débat sur l’aménagement, ou plutôt le non-aménagement des Forêts nationales et a tourné les regards vers l’aménagement forestier des Apaches comme modèle, plusieurs n’hésitant pas à dire que ce sont les Apaches (et leur aménagement des forêts), qui sont venus à bout du Wallow Fire.
Quelques chiffres permettent de prendre la mesure de la différence d’impacts du Wallow Fire entre la Forêt nationale et les Réserves apaches. Tout d’abord, malgré que ces dernières soient collées à la Forêt nationale, seulement 53 km2 (13 000 acres) ont brûlé dans la Réserve Fort-Apache et à peine un peu plus de 36 km2 (9 000 acres) dans la Réserve San Carlo. De plus, dû à la sévérité du Wallow Fire dans la Forêt nationale, la mortalité des arbres touchés par le feu a dépassé les 50 %. Dans les deux Réserves apaches, le taux de mortalité est de l’ordre de 10 %. Finalement, il faut ajouter à ces chiffres que l’aménagiste forestier de Fort-Apache a mentionné que 90 % de la superficie brûlée l’avait été, en fait, en guise de pare-feu (backfire)!
L’impact de l’aménagement forestier explique en grande partie ces différences. Historiquement, les forêts de pin ponderosa de la Forêt nationale Apache-Sitgreaves avaient entre 50 et 150 tiges/hectare (20 et 60 tiges/acre). Aujourd’hui, on parle de plus de 1 000 tiges/hectare (400 tiges/acre). Quand un feu passe, il y a donc du matériel à brûler! Cette évolution est principalement due à une politique de suppression des feux et à des contestations judiciaires en vue de protéger la chouette tachetée du Mexique (Mexican spotted owl) qui ont limité les coupes. Les forêts des Réserves apaches ne sont pas touchées par les contestations judiciaires et, de par leur aménagement intensif, sont beaucoup plus clairsemées et reflètent mieux les conditions naturelles de cet écosystème. Conséquence : lorsque le Wallow Fire, qui était un feu de cimes dans la Forêt nationale Apache-Sitgreaves, est arrivé dans les forêts de pins ponderosa des Réserves apaches, il est « tombé au sol » (feu de surface) et fut beaucoup plus facile à combattre.
Cette mécanique a été documentée dans un rapport intitulé How fuel treatments saved homes from the 2011 Wallow Fire produit par des spécialistes du USDA Forest Service. Techniquement, ce rapport ne s’attarde pas à ce qui s’est passé dans les Réserves, mais plutôt aux conséquences positives d’un programme de contrôle des combustibles à proximité de communautés adjacentes ou enclavées dans la Forêt nationale Apache-Sitgreaves. Mis en place en 2004 suite à un autre feu catastrophique dans la région en 2002 (Rodeo-Chedeski Fire – 1 900 km2), le White Mountain Stewarship Contract vise la récolte de petites tiges sur une superficie annuelle de 60 km2/an (15 000 acres/an). C’est un projet collaboratif sur 10 ans entre le USDA Forest Service, l’entreprise privée et des groupes environnementaux. Le rapport met en évidence, avec des photos, le succès des efforts d’éclaircie pour protéger une communauté menacée par le Wallow Fire. Comme dans les Réserves apaches, les éclaircies ont favorisé le passage d’un feu de cimes à un feu de surface. Ce « succès » (malgré la superficie brûlée) et l’exemple des Réserves apaches ont donné un coup d’accélérateur à un ambitieux projet (Four Forest Restoration Initiative) combinant éclaircies et brûlages dirigés dans quatre forêts nationales pour traiter 4 000 km2 (1 000 000 acres) sur une période de 20 ans.
Et ce n’est pas seulement le politique qui s’intéresse à l’aménagement forestier des Apaches. Au Nouveau-Mexique, un projet de recherche financé au coût de 1,5 million $ sur 4 ans vise à mieux aménager les forêts de pins ponderosa pour éviter des feux catastrophiques à l’aide, en particulier, d’entrevues auprès de tribus Apaches. Ces tribus étaient déjà bien installées sur ce territoire avant l’arrivée des conquistadors espagnols au 16e siècle. Elles utilisaient déjà le feu pour dégager des surfaces de terrain afin de cultiver la terre et coupaient les jeunes arbres qui auraient pu contribuer à créer un feu de cimes (les plus dangereux). Les Apaches avaient appris à vivre avec les feux et c’est le message qu’espère faire passer un anthropologue associé au projet : « People can live with fire ».
Ce qui m’a frappé dans ce dossier quand je pense au contexte québécois, c’est tout d’abord que la forêt « naturelle » est devenue un modèle pour l’aménagement, mais en négligeant le fait que des humains avaient vécu en interaction avec les forêts pendant des siècles, voire des millénaires. Que ce soit aux États-Unis ou ici, j’ai régulièrement eu l’occasion de noter que les autochtones n’étaient pas inactifs dans l’aménagement de la forêt et que le feu apparaissait comme leur principal outil. C’est un aspect trop peu considéré dans notre réflexion sur la forêt « préindustrielle ». Peut-être préindustrielle, mais certainement pas préhumaine! Si on est sérieux dans notre approche d’utiliser des informations historiques pour aménager les forêts, il sera nécessaire d’incorporer les connaissances et l’expérience autochtones.
Aussi, il y a quelque chose qui m’échappe dans le fait que des environnementalistes ne tiennent pas compte de la dynamique naturelle d’un écosystème quand vient le temps de proposer leurs solutions d’aménagement. De fait, les groupes environnementaux n’intègrent pas le feu dans leurs efforts pour protéger des segments de la forêt boréale. Comme si le fait d’interdire les coupes garantissait qu’une aire protégée aller se perpétuer. En Arizona, les feux ont brûlé dans trois Wilderness areas et il est rapporté que des chouettes tachetées ont été tuées. À l’image des Apaches, dans un écosystème de feu, aménager la ressource forestière est potentiellement la meilleure approche pour la préserver!
Quelques références :
Experts: Managing tribal forest helped stop Wallow Fire at reservation
Researchers using history to understand forest fires in the state of Arizona
The 2011 Wallow Fire : Rodeo-Chedeski redux in Eastern Arizona – The Forestry Source – Juillet 2011