Pour un peu d’amour dans l’aménagement de nos forêts
L’ouverture de ce blogue il y a 18 mois m’a permis, en particulier, d’alimenter ma réflexion sur l’aménagement de nos forêts publiques. Une réflexion qui m’a convaincu que la direction dans laquelle se dirige cet aménagement n’augure rien de très bon pour nos forêts ainsi que les communautés qui en vivent. En fait, s’il n’y a pas un changement majeur dans la structure d’aménagement, j’entrevois une ère de grande noirceur pour l’aménagement forestier au Québec.
À la base du problème, il faut pointer du doigt la structure d’aménagement complètement éclatée qui se met en place dans la foulée de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. Pensons-y (liste non exhaustive) : la connaissance du terrain est entre les mains de consultants forestiers, la planification des travaux d’aménagement se fait dans les Directions régionales du Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), le calcul de la possibilité forestière est sous la responsabilité du Bureau du Forestier en Chef, la vente des bois mis aux enchères (25 % du volume) est sous la supervision du Bureau de mise en Marché des Bois, et il y a des Tables de gestion intégrée (pouvoir consultatif) pour que les utilisateurs de la forêt apprennent à se connaître et à mieux vivre leur cohabitation. Et il n’y a là-dedans personne qui voit vraiment la forêt comme un tout.
Cette « déstructuration » de l’aménagement forestier arrive au même moment où l’on s’est donné pour nos forêts publiques les défis d’aménagement les plus élevés que nous ne nous soyons jamais donnés. Non seulement, je vois mal comment notre « déstructure » nous permettra d’aménager la forêt comme un tout (approche écosystémique), je doute même que la formule nous permette de réaliser un bon aménagement forestier de « base » (de la seule récolte de bois).
Plus spécifiquement, la certification est un bel exemple des défis qui attendent le MRNF. Rappelons tout d’abord que la certification est une initiative non gouvernementale qui vise à apposer un logo « aménagement forestier durable » à des territoires forestiers. La certification est devenue un enjeu économique pour l’industrie forestière, car il est maintenant essentiel d’être certifié pour vendre sur certains marchés ou chez de gros détaillants. Au Québec, l’industrie forestière devrait avoir certifié l’essentiel des forêts publiques majoritairement par la norme FSC (Forest Stewardship Council – développée par des groupes environnementaux) d’ici le 1er avril 2013. C’est à ce moment que le MRNF deviendra responsable de l’aménagement des forêts… et de la certification des territoires forestiers.
Et c’est là une drôle d’ironie. En devenant responsable de la certification, le MRNF va devoir prendre à sa charge les coûts qui sont actuellement assumés par l’industrie et voir son travail évalué par des auditeurs externes. Alors, non seulement nous allons collectivement payer pour pouvoir assurer à l’industrie de vendre son bois (ne pas certifier serait totalement irresponsable), mais notre autorité publique devra répondre de ses actes à des organismes privés. En résumé, nous (les citoyens) allons payer une initiative privée (la certification) pour que le privé (industrie forestière) vende son produit (le bois) tout en étant surveillés par le privé (organismes de certification). Qui a pris le contrôle de quoi?
Tant qu’à déstructurer un système, il conviendrait de le remplacer par une structure qui a le potentiel d’intégrer et développer les compétences en aménagement forestier, ce dont on peut douter du MRNF. Et ça n’a rien à voir avec les compétences des individus, le MRNF siphonnant d’ailleurs les ressources humaines de l’industrie. C’est au niveau de l’organisation que le bât blesse. L’expérience et la compétence, ça ne se mesure pas seulement au niveau des individus, mais aussi des organisations. Transformer la culture « d’administration gouvernementale » du MRNF en une culture « d’aménagiste terrain » ne sera pas une mince affaire, avec le risque que nous passions d’une réorganisation administrative à une autre… Or, une forêt, ça s’aménage au minimum sur la durée d’une révolution (environ 70 ans) et la structure d’aménagement doit être pensée en conséquence.
L’option qui m’apparaît la plus socialement acceptable, tout en étant financièrement viable, serait de céder l’aménagement forestier au jour le jour à des Sociétés d’aménagement issues de regroupements d’acteurs régionaux (MRC, industrie…) dont les Nations autochtones. Ces regroupements seraient adaptés aux réalités de chaque Unité d’aménagement et seraient choisis en région. Ces Sociétés auraient une grande liberté pour aménager toutes les ressources de la forêt (pas juste le bois), mais surtout elles seraient tenues d’en vivre en s’autofinançant. Et point important lié à l’autofinancement, ce serait ces Sociétés qui auraient la responsabilité d’attribuer les bois. Et c’est en fait la clé de tout. Sans cela, il est inutile de penser à cette formule. Il est essentiel que les communautés puissent contrôler le devenir de la ressource à l’écart le plus possible des interférences politiciennes.
Une autre raison en arrière de cette proposition, est que le fondement d’un bon aménagement forestier, c’est de connaître sa forêt intimement, pas via un écran d’ordinateur comme c’est devenu la norme. On ne peut pas sérieusement penser faire un bon aménagement forestier par le biais de bases de données, de polygones numériques et de modèles mathématiques. J’ai tendance à penser que ce n’est plus un baccalauréat en génie forestier qu’il faut pour aménager une forêt, mais plutôt un baccalauréat en mathématiques. En théorie, l’aménagement forestier devrait être une combinaison d’art et de science. Aujourd’hui, c’est devenu une combinaison de science et d’administration.
Vous pouvez vous demander ici si je laisse une place au gouvernement dans l’aménagement des forêts publiques. Ce dernier mot le dit! Si c’est public, il faut que le gouvernement ait sa place, une place fondamentale… Même si ce n’est pas toute la place! Ma vision se base sur l’adage : « à chacun son métier et les vaches seront bien gardées». Mettre en place un cadre d’agrément des Sociétés d’aménagement serait beaucoup plus adapté à l’action gouvernementale que l’aménagement au jour le jour. Tout comme, entre autres, établir des objectifs de préservation d’enjeux de biodiversité (activité que le MRNF fait déjà).
Si on a à coeur que nos forêts soient bien aménagées, il est essentiel qu’il y ait un changement profond dans la façon de procéder, particulièrement dans un contexte où des régions forestières sont en difficulté. C’est dans l’aménagement de la ressource que réside une bonne partie de notre richesse et de la dynamique de tout le système. Et c’est pourquoi il est temps de libérer toute l’intelligence qu’il y a au Québec en aménagement forestier et d’y remettre un peu « d’amour » de la forêt. Une chose qui ne s’acquiert qu’en vivant en symbiose avec elle, pas en l’aménageant à partir d’ordinateurs.
Dans quelques semaines, quelques jours peut-être, le MRNF devrait proposer «quelque chose » qui se rapproche du principe des Sociétés d’aménagement. Note : il n’y a là aucune information nouvelle, le sous-ministre en ayant glissé un petit mot lors de sa présentation au colloque Kruger-AF2R. J’ai un peu peur cependant que ça ne débouche que sur une première réorganisation administrative… On jugera l’arbre à ses fruits et tant mieux si je suis dans l’erreur!
Éric, je partage en partie ton analyse, mais j’ai peine à croire qu’une société formée d’une part d’industries forestières et d’autre part de MRC et autres partenaires, dont les Autochtones, puisse développer et mettre en oeuvre une vision sociale et collective de la forêt. Je vois mal l’industrie, avec tout son pouvoir et ses gros moyens s’en tenir à un rôle de simple partenaire. Ou, alors, les industries seront devenues à dimension humaine, bien intégrées, partie prenante des intérêts du milieu régional.
Vincent G.
Il faut distinguer la dimension « industrielle » et la dimension humaine de l’industrie forestière. La dimension industrielle, ce sont les décisions des Présidents d’entreprises qui, à partir de sièges sociaux, vont déterminer si telle usine va rester ouverte ou fermée. La dimension humaine, ce sont tous les employés de ces entreprises qui vivent et travaillent en région, qui connaissent leur territoire et qui ont la compétence et l’expérience en aménagement. Et pour aménager des millions d’hectares, il faut les moyens et la compétence.
Si j’ai indiqué « industrie », c’est pour qu’on ne les oublie pas. Ils ne seraient naturellement pas obligés de participer. Et même s’ils participaient, je ne m’inquièterais pas. Ce serait sous la forme d’un « joint venture » et l’organisme créé aurait sa propre mission, qui serait d’aménager la forêt comme un tout durablement. Si ça a déjà marché pour une grosse entreprise comme la Consolidated Paper Corporation Ltd (l’aménagement et les opérations étaient séparés, avec des missions bien distinctes), je ne vois pas pourquoi ça ne peut pas marcher aujourd’hui dans une dimension plus sociale.
Bien cordialement : )
Merci Éric, pour votre blogue en général et pour ce texte en particulier. Je parle à des gens de terrain qui s’inquiètent aussi de la manière dont les choses se passeront du côté des opérations forestières pour l’approvisionnement industriel. À un an de l’entrée en vigueur du nouveau régime, il est temps que le MRNF établisse clairement les règles du jeu pour les gens qui réaliseront les travaux (de récolte et d’aménagement) en forêt. Après des années de crise, la main-d’œuvre et les entrepreneurs qui l’embauchent ont besoin d’avoir un énoncé de mission, une vision. Sinon, ça sera la grande désertion vers les chantiers miniers du Plan Nord.
Merci pour les bons mots : )
Et vous faites bien d’aborder le problème de la main d’oeuvre! La forêt est tellement riche en défis d’aménagement que ça fait de la peine de voir à quel point il y a peu de relève et que ceux qui sont là pourraient bien ne pas y rester!