L’aménagement forestier nécessite-t-il un statut professionnel?
Au menu aujourd’hui, une petite réflexion sur la nécessité d’un Ordre professionnel pour encadrer la profession d’ingénieur forestier et, plus largement, l’aménagement des forêts. Cette réflexion fait suite à ma chronique précédente et à ma participation à une soirée de l’OIFQ (Ordre des Ingénieurs Forestiers du Québec) sur l’ouverture de l’Ordre à d’autres professionnels du monde forestier. Sans rentrer dans les détails de la soirée, j’en suis venu à me demander si on ne prenait pas le « problème » sous le mauvais angle. Et si on considérait plutôt l’idée qu’il n’y ait plus d’Ordre professionnel pour les ingénieurs forestiers? Et lorsqu’on s’arrête pour y réfléchir, l’idée n’est pas aussi « horrible » qu’elle pourrait le paraître à priori.
Quel est le rôle de l’ingénieur forestier au Québec? J’ai relu deux références, soit la Loi sur les Ingénieurs forestiers et la description de la profession d’ingénieur forestier dans le plus récent bottin de la Faculté de Foresterie, Géographie et Géomatique (FFGG). Une constante : être ingénieur forestier c’est être sur la ligne de front pour régler des enjeux d’aménagement de l’écosystème forestier. C’est une grosse responsabilité qui peut justifier la présence d’un Ordre professionnel. En pratique toutefois, les choses sont plutôt différentes. Le travail d’ingénieur forestier est tellement encadré par la réglementation que cela rend pratiquement caduque la responsabilité professionnelle. Le respect de la norme, de la règle, agit comme « responsable ». Combien d’ingénieurs forestiers peuvent faire des prescriptions sur les seules bases des meilleures connaissances disponibles et de leur expérience? À ma connaissance, aucun. Un Ordre professionnel est-il justifié dans ce cas?
En théorie, l’appartenance à un Ordre professionnel, dont la mission est de protéger le public, devrait apporter à ce dernier une assurance et un respect quant à la compétence des membres de cet Ordre. Dans les faits, aucun observateur du débat forestier qui s’est déroulé ici dans les 10 dernières années ne peut dire que d’avoir un statut légal a prémuni les ingénieurs forestiers contre une mauvaise image. À l’évidence, la présence d’un Ordre professionnel n’est garante ni de respect ou de crédibilité.
En théorie toujours, de par leur statut légal les ingénieurs forestiers devraient avoir une place centrale dans l’aménagement des forêts. On a cependant des raisons de se demander si le législateur accorde lui-même vraiment de l’importance à ce fait. Dans la nouvelle politique forestière du Québec (Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier) qui sera en vigueur le 1er avril 2013, l’ingénieur forestier est cité deux fois… en lien avec l’aménagement des forêts privées (10 % du territoire forestier). Certes, il y a une loi sur les Ingénieurs forestiers, mais il apparaît étonnant que le législateur ne fasse pas plus de place de façon explicite à ceux qui devraient être ses principaux professionnels pour appliquer sa future Loi.
Finalement, si pendant longtemps l’aménagement des forêts s’est beaucoup résumé à la planification de la récolte de bois où le forestier pouvait agir en principal professionnel, dans le contexte social et écosystémique d’aujourd’hui, un seul professionnel ne peut suffire à la tâche. Cela demande une approche beaucoup plus multidisciplinaire, une approche qui se conjugue mal avec des batailles de compétences. Comme il était abordé dans une précédente chronique sur le rôle du forestier, le temps est peut-être venu de considérer une responsabilisation à l’échelle d’une équipe plutôt qu’à celle des individus. Une équipe où la question serait moins de savoir qui fait quoi, mais qu’est-ce que l’équipe fait sous le principe « Un pour tous et tous pour un ». Si l’équipe échoue, ce sont toutes ses composantes qui sont responsables. Ici, le rôle d’un Ordre professionnel peut carrément « contaminer » cette approche en cherchant à définir trop précisément le rôle et les compétences de chacun.
Mais, pour l’anecdote, ce n’est pas seulement un Ordre professionnel qui peut nuire à une approche multidisciplinaire. J’ai déjà essayé d’être membre de l’Association des biologistes, après avoir fait une maîtrise en aménagement de la faune (codirecteur au Département de biologie) et alors que je travaillais en aménagement forêt-faune. Je n’ai même pas eu la chance de défendre mon dossier tellement la porte s’est vite refermée sur mon nez. Alors, si je m’attarde dans cette chronique au principe d’Ordre professionnel, c’est plus généralement sur celui du corporatisme professionnel qu’il faudrait peut-être se pencher. Un corporatisme qui a plus de chances de nuire que d’aider dans la résolution des défis de l’aménagement forestier du XXIesiècle.
Donc, sans en être à l’étape de prendre une pancarte pour demander l’abolition de l’OIFQ, je crois que l’on doit se poser des questions fondamentales sur la meilleure façon de s’exprimer en tant que professionnels forestiers et pas seulement pour « nous », mais aussi au bénéfice même de l’aménagement des forêts.
Photos :
Forestier sélectionnant un pin (Archives nationales États-Unis – Domaine public)
Pin gris – Deux ans après feu en Mauricie (L. Anctil, Consolidated Paper Corporation Ltd)