L’aménagement forestier à Fort Apache
J’inaugure avec cette chronique une nouvelle série en ajout aux trois déjà existantes (grands dossiers, éditoriaux et comptes-rendus). Intitulée « Études de cas » elle regroupera des chroniques mettant avant tout l’accent sur le « comment » de l’aménagement plutôt que les enjeux politiques. C’est donc une série plus technique que les autres et dont la mission est de partager différentes expériences en aménagement forestier pour que chacun-e puisse y tirer ses « leçons ».
Pour cette première chronique de la série « Étude de cas », je vais vous ramener dans le sud-ouest des États-Unis, plus spécifiquement dans la Réserve amérindienne de Fort Apache en Arizona. Lors de ma précédente chronique touchant ce territoire, il avait surtout été question de l’impact positif de l’aménagement forestier des Apaches pour arrêter un important incendie de forêt (Wallow fire). L’entrevue d’un aménagiste (M. Randy Fuller) du Bureau of Indian Affairs (BIA) responsable à Fort Apache, dans l’édition de juillet du Forestry Source, s’est donc avérée le prétexte parfait pour entamer ma nouvelle série de chroniques!
Aspects Légaux
Pour comprendre l’aménagement forestier à Fort Apache (Figure 1), à la base il est essentiel de comprendre le contexte légal qui l’encadre. Le territoire de Fort Apache appartient à la Tribu apache de la montagne blanche. Le titre de propriété est toutefois placé en fiducie au nom du gouvernement fédéral des États-Unis dont le BIA est l’agent sur le terrain. En pratique, la Tribu est libre de faire à peu près ce qu’elle souhaite sur son territoire, mais le gouvernement américain, par le biais du BIA, se garde un droit de veto. Une coupe à blanc sur des milliers d’hectares pour installer un casino serait un exemple de projet où le BIA apposerait son veto (exemple très très théorique que m’a fourni M. Fuller). Mais fondamentalement, les Apaches sont chez eux et le BIA agit avant tout comme un consultant pour aider la Tribu à faire les meilleurs choix d’aménagement en fonction de leurs valeurs.
Aussi, les différentes lois fédérales sur l’environnement (National Environemental Policy Act, Endangered Species Act…) s’appliquent pleinement sur le territoire de Fort Apache. La grande différence est à l’étape de la consultation du public. Lorsque le BIA, qui s’occupe de préparer les plans d’aménagement, va en consultation publique, il se tourne exclusivement vers la Tribu de la Montagne blanche. Leurs collègues du USDA Forest Service se tournent quant à eux vers l’ensemble de la population américaine. Aussi, même si les lois fédérales sur l’environnement sont la principale source de contestation judiciaire de l’aménagement des Forêts nationales par les groupes environnementaux, dans le cas de Fort Apache toute contestation judiciaire serait traitée dans une cour apache. De fait, poursuivre les Apaches reviendrait à poursuivre une nation souveraine (sovereign nation)!
Structure d’aménagement
En terme de structures, l’aménagement forestier de la Réserve de Fort Apache est la responsabilité de deux Agences : le BIA (Fort Apache Agency) et l’Agence forestière de la Tribu. La Fort Apache Agency ayant beaucoup plus d’employés (125 employés contre 6), c’est elle qui fait le gros du travail d’inventaire, de planification et de rédaction des plans. Malgré la disproportion des « forces », toute la planification de l’aménagement forestier se réalise dans un cadre « très très » collaboratif et cela se perçoit lorsqu’un document sort pour consultation publique (rappel : seulement auprès de la Tribu, leur seul « public »). Pour leur plus récent document, la Fort Apache Agency n’a eu que neuf commentaires… et ils auraient aimé en avoir plus!
Si les Apaches s’occupent peu du travail de planification comme tel, ils sont toutefois très présents lorsque vient le temps de faire le travail sur le terrain. Aussi, ils possèdent la Fort Apache Timber Co., une scierie dans laquelle le BIA n’a aucune implication. Fermée depuis quelques années dû à l’état du marché, elle devrait rouvrir très prochainement, juste à temps pour bénéficier de quatre coupes de bois. À souligner que cette scierie a un droit de premier refus sur tout le bois qui est coupé dans la Réserve.
Stratégie d’aménagement & sylviculture
L’inspiration pour établir la stratégie d’aménagement forestier à Fort Apache est basée sur l’expérience même des Apaches et de leur utilisation du feu pour aménager les forêts. De fait, la prise en compte des éléments culturels apaches dans l’aménagement forestier est au coeur des préoccupations du BIA, car rien ne serait accepté par les Apaches si cela n’allait pas en accord avec leur culture. Par exemple, une « wilderness area », dans laquelle il n’y a pas de récolte, a été définie par la Tribu.
Point culturel important à considérer, la notion « d’aménagement » et toutes les connotations scientifiques que nous pouvons associer à ce processus n’existent pas pour les Apaches. Culturellement, le territoire est vu comme une extension d’eux-mêmes et leurs interventions visent simplement à améliorer l’habitat. C’est pourquoi les aménagistes de la Fort Apache Agency doivent tenir compte de cette réalité lorsqu’ils proposent des « aménagements ». S’ils peuvent penser « aménagement » entre eux, on comprend qu’ils n’utilisent peu ou pas le terme lorsqu’ils discutent avec les membres de la Tribu Apache.
Considérant que les Apaches « aménageaient » beaucoup par éclaircie, les interventions sylvicoles sont presque essentiellement axées sur une stratégie inéquienne (qui comporte plusieurs classes d’âge, en opposition à des aménagements où tous les arbres ont à peu près le même âge – équiennes – et sont récoltés en même temps; à noter que le terme est toujours féminin, car il réfère à une structure d’âge.). Cela même si la principale essence aménagée, le pin ponderosa, s’accommoderait plus naturellement d’une structure équienne. À noter que la Fort Apache Agency convertit en structure inéquienne tout ce qui est raisonnable de convertir, certains secteurs restent en structure équienne.
En accord avec l’expérience et la culture apache, le brûlage dirigé est un important outil d’aménagement. En fait, la Fort Apache Agency a le plus important programme de brûlage dirigé de toutes les agences du BIA. Et ils ont l’expérience : cela fait 75 ans qu’ils font du brûlage dirigé, une activité d’aménagement que les apaches pratiquaient avant le contact avec les « blancs ».
En respect des règles fédérales, il y a un calcul de la possibilité forestière établi sur la base du rendement soutenu.
La faune est une composante importante de la planification forestière de la Fort Apache Agency. Sur la base de différentes variables, ils ont établi 148 types d’habitats fauniques. À préciser que l’Agence est aussi responsable de la protection de treize espèces menacées selon le Endangered Species Act.
Pour en savoir plus…
C’étaient là les grandes lignes de l’aménagement à Fort Apache. Si vous cherchez plus de détails sur internet, je me dois de vous aviser que vous serez assurément déçu. Comme me le précisait M. Fuller, les Apaches et généralement les Tribus autochtones sont peu portées à diffuser publiquement des informations sur leur territoire. Dans le cas présent, contacter directement des aménagistes de la Forest Apache Agency comme M. Fuller est probablement votre meilleure option. Et si je me fie à mon expérience avec ce dernier, vous allez être plus que les bienvenus!
Conclusion
Je baserai ma conclusion sur un argumentaire de M. Fuller dans ses réponses à mes questions. Les lois sont les mêmes pour la Forest Apache Agency que pour le USDA Forest Service. Pourtant, l’aménagement qui se pratique dans la Réserve Apache et la Forêt nationale voisine Apache-Sitgreaves sont très différents. Conséquemment, malgré la présence d’essences forestières comparables, les forêts sont très différentes tout comme leur réaction aux incendies forestiers (précédente chronique). La Forest Apache Agency est aussi en mesure d’agir et réagir beaucoup plus rapidement que le USDA Forest Service. Et M Fuller de conclure : « The US Forest Service KNOWS what needs to be done…it is just the system that gets in the way of good biology». Une façon de dire que ce n’est pas tant les lois que la façon et le contexte dans lequel elles sont appliquées qui font toute la différence!
Mes remerciements à:
Monsieur Steve Wilent (éditeur en chef du Forestry Source) pour sa collaboration et l’autorisation de diffuser la version PDF de l’entrevue avec M. Fuller, ainsi qu’à Monsieur Randy Fuller (aménagiste forestier à la Fort Apache Agency) qui a pris le temps de répondre à mes questions.
Liens complémentaires :
La version internet du numéro de juillet du Forestry Source
Pour ceux et celles intéressé-es à creuser l’aspect légal relatif aux nations autochtones aux États-Unis: Tribal Court Clearinghouse