Quand les chemins forestiers deviennent source de pollution
La nouvelle n’a pas été aussi relayée que celles associées à la chouette tachetée. Et pourtant, son impact potentiel ne touche pas que quelques forêts de l’Ouest américain; c’est toute l’industrie forestière (forêts publiques et privées) des États-Unis qui est menacée. Au début de l’été, trois juges d’une Cour d’appel ont estimé que deux chemins forestiers d’une forêt d’État de l’Oregon, qui drainent l’eau avec fossés et ponceaux, devaient être considérés comme des sources de pollution aquatique. Conséquence potentielle : si la décision n’est pas renversée par la Cour Suprême des États-Unis ou que le Congrès ne légifère pas, tous les chemins forestiers (public et privés) des États-Unis drainant de l’eau seront soumis à l’obligation de détenir un permis du National Pollutant Discharge Elimination System (NPDES) sur la base du Clean Water Act (CWA). Signe de la ferveur politique de ce dossier, en plus de deux groupes de l’Oregon (un public, un privé) demandant à la Cour Suprême d’infirmer cette décision, vingt-six autres États viennent de s’unir pour soumettre un argumentaire (amicus brief) à la Cour Suprême en appui à ces deux recours.
La Contestation judiciaire a été menée par le Northwest Environmental Defense Center (NEDC), un regroupement d’avocats dédiés à défendre l’environnement. Le NEDC estimait que les aménagistes forestiers auraient dû demander un permis à l’Environmental Protection Agency (EPA), responsable de la mise en application du CWA, pour les sédiments qui se sont écoulés dans les rivières de l’État en provenance de ces deux chemins forestiers.
Toutefois, la question de fond n’était pas de déterminer si les sédiments en question étaient des polluants selon le CWA. Les défendeurs (regroupement de représentants forestiers publics et privés de l’Oregon) n’ont pas contesté ce point. Le grand débat était de savoir si cette source de pollution était « définie » (point source) ou « diffuse » (nonpoint source). Un point longuement discuté par les juges. L’exemple le plus simple d’une source « définie » serait un tuyau déversant directement ses rejets dans un cours d’eau et dont on pourrait clairement identifier la « cause » (entreprise…) à l’origine des rejets. A contrario, une source « diffuse » fait référence à des sédiments qui seraient issus d’un ruissellement naturel à grande échelle et pour lequel on ne peut définir une provenance précise. Ce sont les grandes lignes. L’interprétation, elle, peut varier!
Le CWA existe depuis 1977. En fait, c’est le nom donné à une précédente politique (Federal Water Pollution Control Act) datant de 1972 et qui visait « to restore and maintain the chemical, physical, and biological integrity of the Nation’s waters ». Cette politique a pour stratégie de diminuer les rejets à la source. Le CWA est mis en application par l’EPA.
Les défendeurs avaient retenu deux principaux points comme argumentaire. Tout d’abord, que la Silvicultural rule de l’EPA excluait les sédiments des chemins forestiers comme source « définie ». Deuxièmement, que des amendements apportés au CWA en 1987 excluaient eux aussi les activités sous la Silvicultural rule de la nécessité d’un permis. Deux arguments qui ont été rejetés par les juges.
La Silvicultural rule. Il serait limitatif de la traduire par « Règles sylvicoles », car elle regroupe toutes les opérations liées à l’aménagement forestier. La Silvicultural rule reconnaît quatre activités forestières très liées aux opérations (ex : concassage des roches, les « cours à bois »…) comme sources « définies » de pollution aquatique. Toutes les autres activités (ex. : récolte, plantation, drainage…) sont exclues comme sources « définies ». La Règle existe depuis 1973 et, si elle a subi quelques modifications depuis cette date, elle est restée fondamentalement la même.
Pourquoi exclure des activités « sylvicoles » du CWA? Pour la même raison semble-t-il que les activités agricoles sont exclues de la demande d’un permis : cela causerait un « cauchemar administratif » à l’EPA. À la différence des activités agricoles toutefois, la Silvicultural rule n’a jamais été mise sous la protection d’un amendement législatif. C’est une règle interne à l’EPA.
Pour les juges, l’approche retenue par l’EPA pour définir la Silvicultural rule entrait toutefois en conflit avec la logique du CWA. Dans ce dernier cas, la décision d’intervenir pour réduire les polluants aquatiques est basée sur la détermination de leur origine (définie ou diffuse?). Pour la Silvicultural rule, la définition de rejet polluant semble dépendre de l’activité (« semble », car au moins deux interprétations de la rule sont possibles, ce qui n’était pas non plus au goût des juges). Selon cette interprétation, cela n’était pas acceptable pour les juges qui ont estimé que la logique du CWA, qui exprime celle du législateur, devait primer. À partir de là, la question « simple » était de juger si lesdites activités « sylvicoles » étaient une source définie ou diffuse. Les juges ont tranché pour la première option. Le premier argumentaire des défendeurs était ici défait. Il restait cependant un point.
Les amendements apportés au CWA de 1987 visaient justement à limiter le « cauchemar administratif » de l’EPA qui les obligeait à requérir un permis pour toutes les sources de rejets, même si elles étaient mineures. La stratégie ici, qui s’exprimait en deux phases, était dans un premier temps (Phase I) de se concentrer sur les principaux émetteurs industriels et de cibler les émetteurs plus légers dans un deuxième temps. Pour l’EPA, les activités « sylvicoles » rentraient dans la deuxième catégorie. Les juges n’ont cependant pas eu la même interprétation que l’EPA concernant ces amendements et ont fait valoir que, selon les règles même de l’EPA, la « sylviculture » est une activité industrielle qui devait être considérée dans la Phase I.
Tout au long de leur décision, les juges ont fait valoir la supériorité du législatif sur l’administratif, même s’ils se sont montrés sympathiques à l’EPA. Ils reconnaissent en effet que le CWA est « dur », mais que l’EPA n’a pas le choix que de chercher les meilleurs moyens pour l’appliquer et que ce n’est pas à elle à interpréter l’intention du législateur.
Toutefois, conscients qu’ils pouvaient créer un « cauchemar administratif » pour l’EPA, les juges ont ouvert une forme de porte de sortie. Plutôt que de demander des permis individuels, les aménagistes forestiers pourraient demander des permis généraux. Si du point de vue des juges cela n’était pas trop compliqué, une avocate spécialisée dans les questions environnementales est beaucoup moins optimiste que ces premiers et estime que de tels permis pourraient prendre des années avant d’être émis.
Il faut mettre en contexte cette poursuite. Ce n’est pas la première fois que des groupes de défense de l’environnement se servent du CWA pour attaquer l’industrie forestière. C’est cependant la première fois qu’ils réussissent de façon aussi éclatante. Aussi, dans le cas présent, il faut savoir que le Plan d’aménagement de la forêt d’État dont il est question dans la poursuite prévoit une augmentation de 20 % de la récolte, ce qui n’est pas au goût de plusieurs groupes environnementaux. D’un autre côté, les enjeux économiques sont importants pour l’Oregon, car les forêts d’État ont principalement pour rôle de fournir des ressources financières à des écoles ou autres organismes d’intérêt public.
En regard des réactions politiques que ce dossier a soulevées, il serait toutefois étonnant que ce jugement puisse « nuire » très longtemps aux activités forestières. Le Sénateur Wyden de l’Oregon a d’ailleurs déposé un projet de loi pour légalement exclure les activités « sylvicoles » du CWA. Mais pour l’instant, il est clair que le monde forestier américain est quelque peu sonné par ce jugement qui vient leur dire par une nouvelle voie que les activités forestières ont un impact environnemental. Considérant que ce qui se passe au sud de la frontière a tendance à traverser, autant en prendre bonne note!
Principales sources :
Northwest Environmental Defense Center
Article sur enjeux locaux en Oregon
Article d’août 2010 suite au premier jugement (en 2011, il y a eu « confirmation » du jugement de 2010, mais là on rentrait dans des technicalités juridiques!)
Concernant le support à l’oregon de 26 autres États
Photos – sources :
Chemin forestier : Eric Alvarez
Publiées sous GNU Free Documentation License
Ruisseau – Allegheny National Forest (Auteur : Alexvallejo)