Politiques forestières : pour des principes intemporels
Je devais vous entretenir cette semaine des différents enjeux d’un amendement à la législation forestière en Colombie-Britannique (Forest Act) qui allait autoriser les compagnies forestières, sous certaines conditions, à convertir leurs garanties d’approvisionnement en une forme de concessions forestières. Dans ma dernière chronique sur la situation dans cette province, je mentionnais que la perspective de cette conversion de tenure, qui est une des nombreuses suites des impacts de l’épidémie du dendroctone du pin ponderosa, ne semblait pas faire de vagues… C’était avant que l’amendement ne soit officiellement déposé! Depuis, les critiques ont été telles que le gouvernement, face à une échéance électorale en mai, a préféré laisser tomber son projet… ce qui a annulé mon idée de chronique par le fait même! Mais la mort de cet amendement a fait naître une petite réflexion sur l’aménagement des forêts publiques que je vous présente aujourd’hui.
En attente des élections, la redéfinition de la stratégie pour l’aménagement des forêts publiques de la Colombie-Britannique dans un contexte post-dendroctone se retrouve donc en suspens. Plusieurs réclament une Commission royale sur le sujet. Ce serait la quatrième en à peine un peu plus de 100 ans, soit approximativement le temps pour un arbre d’atteindre sa maturité. C’est-à-dire qu’à ce rythme, un arbre planté en Colombie-Britannique aujourd’hui verra potentiellement trois à quatre Commissions royales pour déterminer la meilleure stratégie pour l’amener à maturité (je simplifie…). Une situation d’éternel recommencement qui se rapproche de ce que vivent les Forêts nationales américaines et les forêts publiques au Québec.
Aux États-Unis, l’établissement des Planning rules, qui constituent les règles pour produire les plans d’aménagement des Forêts nationales, ont connu plusieurs revers devant les tribunaux dans les trente dernières années (chroniques sur le sujet). En plus des nombreux enjeux auxquels font face ces Forêts, les incessantes contestations ont eu pour résultat qu’avant l’adoption des nouvelles Planning rules l’an dernier, un peu plus de la moitié des Forêts nationales n’avaient pu mettre à jour leur plan datant des années 1980.
Au Québec une longue réforme qui s’est étirée sur les années 1970 et le début des années 1980, a mené à une nouvelle politique en 1987. Mais dès 2008, soit à peine 20 ans plus tard, une nouvelle réforme s’enclenchait (Livre Vert) dont l’aboutissement est la nouvelle politique forestière qui sera officiellement en vigueur d’ici une dizaine de jours. Un des fondements de cette politique est la prise en main de l’aménagement des forêts publiques directement par le Ministère des Ressources naturelles, une stratégie qui, à l’évidence, a déjà du plomb dans l’aile. Il ne serait donc pas surprenant de voir d’ici peu des consultations pour une réforme de la nouvelle politique …
Peut-on sérieusement faire un bon aménagement forestier dans ces conditions? Les forêts étant publiques, cela amène naturellement une redéfinition régulière de nos attentes collectives. Il n’y a pas à discuter sur ce sujet. Mais faut-il pour autant que tout soit changé à chaque génération (si on suit le rythme actuel)? Pour bien aménager une forêt, cela prend non seulement une vision sur du long terme, mais aussi une mémoire de ce qui a été fait et pourquoi. Or, lorsque l’on remet tout en cause dans de grandes réformes, on se trouve en général à oublier les visions passées pour « repartir à neuf », soit la meilleure façon pour se condamner à tourner en rond.
Deux grands principes devraient selon moi être au coeur de tout aménagement des forêts publiques, soit: la connaissance de la forêt et la rentabilité. Par « connaissance », je fais autant référence au fait d’avoir des inventaires à jour que de connaître la dynamique naturelle de sa forêt et son histoire. On ne peut pas bien aménager sa forêt si on ne la connaît pas, quelque soit le problème auquel on a à faire face. En Colombie-Britannique, la crise du dendroctone a mis en évidence le fait que les données d’inventaire sur 72 % du territoire touché par l’épidémie de cet insecte dataient de 30 ans!
La rentabilité. C’est presque un mot tabou en foresterie, à tout le moins quand on parle de l’aménagement des forêts publiques. Pourtant, peut-on aménager « durablement » une forêt en fonctionnant à perte? J’ai rarement vu ce type de réflexion depuis que je fais un suivi de l’actualité forestière. Il est certes question de rentabilité de la sylviculture, mais l’aménagement forestier ne se résume pas à la somme des travaux sylvicoles. À l’échelle très globale, on va retrouver un comparatif entre les « entrées » en droits de coupe et les « sorties » sous forme de coûts de fonctionnement de la machine gouvernementale. Cela est très réducteur et fait disparaître la forêt sous aménagement de la réflexion. Il est essentiel, si on veut bien aménager une forêt donnée, d’avoir une idée précise de la rentabilité de notre aménagement, car cela va conditionner nos choix et assurer la « durabilité » de cet aménagement.
Pour mettre en pratique ces deux principes et assurer la mémoire de l’aménagement, il m’apparaît essentiel qu’il y ait une intendance sur le long terme dans l’aménagement des forêts. « Intendant » : personne chargée d’administrer les affaires, le patrimoine d’une collectivité ou d’un particulier (Larousse). Un intendant n’est pas un propriétaire, il administre à sa place et rend des comptes. Et l’intendance implique un engagement « personnel », soit vivre de « sa » forêt, où les enjeux sociaux s’expriment. Cela peut donner de fameux résultats. La Forêt Montmorency, la forêt d’enseignement et de recherche de l’Université Laval, représente une forme d’intendance sur la base d’un bail de 99 ans et c’est un des plus beaux exemples d’aménagement d’une forêt publique au Québec.
Même s’il y a une logique dans le principe qu’une ressource naturelle publique devrait être aménagée par un organisme public, « public » étant ici synonyme de « gouvernemental », la place du gouvernement est beaucoup plus dans la définition des valeurs (le « quoi ») que dans le « comment ». En restant dans la logique que « public » doit être « gouvernemental », tant les gouvernements états-uniens, britanno-colombiens et québécois se retrouvent constamment pris dans un inextricable fouillis d’enjeux sociaux et environnementaux, le tout généralement agrémenté de problèmes budgétaires. Résultat : des consultations qui finissent en une réforme qui nous promet des lendemains miraculeux… jusqu’à ce que la réforme se mette en place.
Les défis se ressemblent beaucoup dans les trois juridictions dont j’ai fait référence aujourd’hui. Les États-Unis ont peut-être trouvé une formule pour leur permettre de progresser dans l’aménagement de leurs Forêts nationales. Le temps jugera. La Colombie-Britannique devra redéfinir sa politique en tenant compte du fait que, bien que l’idée de « concessions » peut être séduisante pour attirer les investisseurs privés, elle nécessite d’être raffinée pour accroître son acceptabilité sociale. Je m’attends à écrire d’autres articles sur la Colombie-Britannique…Finalement, au Québec, malgré l’arrivée prochaine de la nouvelle politique, le compte à rebours des prochaines grandes consultations a démarré. Il est à espérer qu’elles nous permettront de nous sortir de nos ornières pour offrir une politique adaptée à la forêt, une politique sur des principes intemporels.
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Votre réflexion sur la rentabilité de l’aménagement m’a fait sourire. Durant les travaux de la commission Coulombe en 2004, l’économiste Jean-Thomas Bernard a vainement tenté d’établir l’importance de cet élément. Chaque fois qu’il posait la question à des aménagistes, on lui parlait de l’importance des retombées économiques sans jamais répondre directement à la question. Le prof Bernard m’irritait dans son insistance, mais 9 ans plus tard, force est de constater qu’on n’a pas avancé d’un iota sur le sujet. En forêt privée, le propriétaire ne ménage pas ses efforts pour aménager son boisé, mais il sait quand ça vaut la peine. En forêt publique, l’intendant doit être responsabilisé. C’est l’évidence même.
Merci pour la référence à M. Bernard ainsi que de stimuler la réflexion!