2016 : annus horribilis pour le FSC ?
Depuis quelques mois l’histoire forestière du Québec a accaparé presque à temps plein mes efforts de recherche et de production de chroniques. Choix assumé, mais qui a eu pour conséquence de voir ma « pile » de dossiers d’actualité s’accumuler ! D’une certaine façon, être détaché de l’instantanéité de l’actualité a du bon, car souvent cela permet de prendre un sain recul face aux évènements. Mais vient un temps où il faut éviter d’avoir trop de recul au risque d’être hors propos ! C’est pourquoi dans les prochaines semaines je vais me concentrer à faire baisser ladite « pile ».
Comme premier sujet je vais m’attarder à l’actualité récente liée au FSC (Forest Stewardship Council), aujourd’hui un acteur incontournable du monde forestier québécois, mais dont le statut pourrait évoluer rapidement dans les prochaines années, voire les prochains mois. En février dernier, un article dans Woodbusiness faisait ressortir les « turbulences » que vivait cette certification au Canada alors qu’elle est passée de 61 millions à 51 millions d’hectares certifiés entre 2013 et 2015. Cela sur fond de critiques de l’auteur, pourtant partisan de la première heure de cette norme, sur la tendance du FSC à se superposer aux pouvoirs publics. En 2016, ces « turbulences » pourraient prendre de l’ampleur.
Tout d’abord, un article récent nous apprenait que le FSC va non seulement être bientôt officiellement rayé de la carte du Lac St-Jean, une région forestière phare s’il en est une au Québec, mais que cela ne s’arrêtera pas là dû à des « amis » du FSC. Aussi, le FSC a vu le mois dernier le programme de certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) lui faire une infidélité et, finalement, un des plus valeureux partisans du FSC au Québec s’est retrouvé sur la défensive. En bref, entre une tendance à la baisse en superficies certifiées et cette accumulation de « tuiles », 2016 pourrait s’avérer une annus horribilis pour le FSC. Détails…
Du Lac St-Jean et des « amis » du FSC
Lors du débat de l’automne dernier sur le FSC, M. Luc Bouthillier (professeur, Université Laval) insistait sur le fait que tous les acteurs du FSC devaient être de bonne foi pour que la certification fonctionne. C’était alors une flèche envers l’industrie forestière. Or, l’article sur les déboires du FSC au Lac St-Jean affirme que la perte de la dernière certification dans cette région, par la compagnie Arbec, est liée au fait que cette dernière aurait refusé de payer 250 000 $ à la communauté innue de Betsiamites pour obtenir leur consentement « libre, préalable et éclairé » (cette expression exprime les droits des peuples autochtones dans le FSC, une valeur fondamentale de cette norme de certification).
Aucune des parties impliquées n’a confirmé cette allégation, mais l’auteur de l’article (M. Louis Tremblay) est un journaliste qui couvre les questions forestières depuis plusieurs années au Lac St-Jean et a présenté cet élément comme une affirmation et non pas comme une simple rumeur. L’histoire ne se résume certainement pas à une somme d’argent, mais le simple fait que ça puisse faire partie de « l’équation » est une très mauvaise nouvelle pour le FSC (« Un chèque permet-il d’être certifié FSC ? »).
La notion de consentement « libre, préalable et éclairé » du FSC s’apparente à un droit de veto pour les nations autochtones et est de plus en plus utilisée comme un puissant outil pour faire avancer leurs revendications territoriales. C’est d’ailleurs dans cette logique que le chef atikamekw M. Christian Awashish avait candidement annoncé l’automne dernier qu’il ne donnerait pas son consentement au renouvellement des certifications FSC en Mauricie en 2016. Considérant l’étendue territoriale des revendications de la communauté de M. Awashish (image ci-contre), c’est toute la Mauricie qui va potentiellement disparaître du FSC.
À l’échelle du Québec, il n’y a en fait pas beaucoup de superficies de forêts publiques aménagées qui ne sont pas l’objet de revendications territoriales autochtones (est-ce qu’il y en a ?). Pour cette raison, la dynamique initiée au Lac St-Jean et étendue très prochainement en Mauricie a le potentiel de rayer le FSC du Québec. Pour ceux et celles qui pourraient ici considérer que « perdre » le Québec n’est pas si important que cela pour une organisation internationale comme le FSC, quelques chiffres tirés du dernier rapport annuel de FSC Canada donnent à penser le contraire.
Avec 30 % des superficies certifiées FSC dans le monde, le Canada est (de loin) le pays n° 1 en certification FSC, et ce grâce… au Québec où l’on retrouve près de 50 % de la superficie certifiée FSC au Canada, dont 35 des 68 certificats émis. Perdre le Québec, c’est donc perdre la moitié de l’apport canadien à cette norme de certification. C’est aussi risquer de perdre le reste du Canada, car cela ne pourra manquer d’avoir un effet domino dont on peut difficilement percevoir la finalité. Et même si c’est là un scénario extrême, perdre le Canada rabaisserait automatiquement le FSC au statut de « certification-tiers » à l’échelle internationale.
LEED ou l’exclusivité mise à mal
Une des forces du FSC tient à sa reconnaissance comme certification exclusive de produits du bois « verts ». C’est-à-dire que, en bonne partie grâce à des campagnes musclées menées par des organisations comme Greenpeace, des compagnies (ex: Best Buy) ont décidé que les produits du bois qu’ils utiliseraient auraient exclusivement le logo FSC.
La certification LEED, la référence en bâtiments « verts », n’acceptait jusqu’à tout récemment que le bois certifié FSC comme matériau de construction (note : le bois n’est pas une obligation). Le 5 avril dernier, l’USGBC (United States Green Building Council), l’organisme qui chapeaute LEED, a publié un communiqué pour annoncer sa décision d’ouvrir la porte à d’autres programmes de certification.
Cette ouverture est dans les faits un projet-pilote visant l’ajout d’un « crédit » dans le système de distribution de points de LEED qui vise à assurer que le bois utilisé provienne d’une source légale. Hors cette expérimentation, le FSC reste toujours le seul organisme de certification à permettre de gagner des points pour construire avec du bois. Une brèche a cependant été ouverte et, même s’il ne s’agit que d’un projet-pilote et que le FSC-États-Unis a déjà pris position contre son maintien, je serais étonné que l’USGBC puisse la refermer.
Un des grands gagnants de cette ouverture sera probablement le SFI (Sustainable Forestry Initiative), l’ennemi juré du FSC en Amérique du Nord, qui est dominant aux États-Unis et a engrangé près de 90 millions d’hectares certifiés au Canada. Les astres sont particulièrement bien alignés en sa faveur au Québec alors le Conseil de l’Industrie Forestière du Québec a non seulement applaudi la décision de l’USGBC, mais a aussi dernièrement montré « quelques » insatisfactions envers le FSC et que tout le Lac St-Jean est certifié SFI…
Un super-partisan sur la défensive
Lorsqu’il est question du FSC, Greenpeace n’est souvent pas très loin. Membre fondateur de cette certification, cette organisation environnementale en est aussi une des plus « ferventes » partisanes. Elle est en particulier aux avant-postes pour promouvoir l’exclusivité du FSC comme norme de certification forestière. Elle jouit de plus d’une « aura » très enviable dans les médias québécois depuis de nombreuses années alors que ses actions ont généralement reçu un accueil positif… jusqu’à l’émission Enquête (Radio-Canada) du 24 mars dernier (vidéo ci-bas – 39 minutes).
Attention : on ne parle pas ici d’un réquisitoire anti-Greenpeace, loin de là ! Ce long reportage est en fait une synthèse des enjeux en forêt boréale qui donne une large parole à deux de ses principaux protagonistes : Produits Forestiers Résolu et Greenpeace. La principale différence avec les années passées cependant, c’est que le journaliste responsable s’est investi pour creuser la question : « qui dit vrai ? »
Le résultat ? Quelques moments bien embarrassants pour Greenpeace au point où son représentant au Québec a senti le besoin de publier un communiqué à suite à la diffusion du reportage. Ce n’était certes pas la première fois que des affirmations de Greenpeace étaient contestées, mais de mémoire, jamais dans une émission phare comme Enquête et un grand média comme Radio-Canada.
Difficile d’appréhender les effets de ce reportage sur Greenpeace et particulièrement sa campagne « boréale ». Toutefois, il est sûr que cela tombe bien mal pour le FSC qui voit son partisan le plus zélé au Québec être, au moins pour un temps, sur la défensive.
Conclusion
J’ai déjà écrit des textes critiques sur le FSC et je ne vous surprendrai pas en mentionnant que la perspective qu’il puisse disparaître du Québec et, qui sait, du Canada n’est pas pour moi source de chagrin. Je ne me réjouis cependant pas à l’idée que ce soit le SFI qui le remplace. Dans les deux cas, je vois la nécessité de certifier des forêts publiques par des ONG (Organisations Non-Gouvernentales) comme un constat d’échec des pouvoirs publics, d’autant plus quand l’aménagiste est le gouvernement comme au Québec.
Il est aussi frappant de constater que dans tous les projets d’acceptabilité sociale d’envergure en forêt publique, qu’ils prennent la forme d’une certification ou du projet d’Entente sur la forêt boréale, les gouvernements sont aux abonnés absents. Cette anomalie ne se dissipera pas avec la possible rétrogradation du FSC comme certification-référence.
Le FSC connaîtra peut-être en 2016 une annus horribilis qui le fera reculer au Québec. Cela devrait être une opportunité pour le gouvernement de s’attaquer à la source du problème qui rend les programmes de certification si populaires : le clair manque de confiance de la population envers le gouvernement dans l’aménagement des forêts. Et pour cela, il faudra trouver mieux que publier sa Stratégie d’Aménagement Durable des Forêts juste avant Noël.
Il est normal que les gouvernements soient aux abonnés absents lorsqu’il est question de certification, puisque les normes de qualité sont réclamées par le marché, donc les clients. Peu importe la nature leurs motivations, ce qui inclut le « greenwashing », les marchands, les chaines et autres détaillants demandent à leurs fournisseurs de montrer patte blanche. Dans certains cas, leurs propres clients demandent ces sceaux et ces certificats, mais pas toujours. Les groupes environnementalistes utilisent ce flou dans la « demande sociale » pour imposer des normes qui contredisent parfois les évidences scientifiques (ex: les forêts intactes, concept nébuleux s’il en est un), sans parler des règlements et lois de l’État.
Disons, en résumé, qu’il y a une réflexion de fond à faire pour départager les rôles des gouvernements et de la certification dans l’aménagement des forêts publiques.
Quoique critique de notre stratégie d’aménagement, je n’ai pas de problèmes à acheter du bois « Made in Québec », même s’il n’est pas certifié (ce qui est rare !). Tout est fait avec beaucoup de professionnalisme. Après, c’est une question de valeurs et de savoir où l’on trace la ligne.
Merci du commentaire 🙂