SAF 2012 — Carnet de voyage nº 4 : Statistiques et crise forestière
Depuis l’effondrement du marché immobilier aux États-Unis, l’actualité nous rappelle régulièrement à quel point le monde forestier québécois est en difficulté. Mais il ne faudrait pas s’imaginer que la situation au Québec est unique. C’est tout le monde forestier nord-américain qui peine à se remettre de cet effondrement. Des équipes de chercheurs du USDA Forest Service, en collaboration avec des chercheurs universitaires, ont récemment produit une série de quatre rapports pour quantifier l’impact de la crise aux États-Unis. Un des rapports s’est attardé à donner une vision à l’échelle du pays alors que les trois autres couvraient des régions forestières spécifiques (le Nord, l’Ouest et le Sud). Les chercheurs sont venus nous présenter ces rapports dans le cadre d’une série de quatre conférences très courues. Je vous invite donc à découvrir comment nos voisins du sud vivent une crise qui perdure depuis plusieurs années.
1,1 million. C’est le nombre d’emplois qui ont été perdus dans les six principaux secteurs de l’industrie forestière des États-Unis entre 2005 et 2009. Comme le précisent les chercheurs, c’est un chiffre qui donne une mesure de la saignée, mais qui est sous-estimé, car il ne couvre pas toute l’industrie forestière. En guise de comparaison, il s’est perdu 440 000 emplois pour la même période dans l’industrie automobile. Et si les chiffres ne suffisent pas pour vous impressionner, la crise économique qui s’est officiellement étendue entre décembre 2007 et juin 2009 a reçu l’appellation de Great Recession, en écho à la Great Depression de 1929…
Les Figures et Tableaux statistiques ont occupé l’essentiel de la série des quatre présentations. Cela aurait pu être indigeste. Toutefois, comme les auteurs des études se sont attardés à donner une perspective historique à tous les chiffres, à ne pas seulement regarder les périodes immédiatement avant et après la crise, cela a apporté des enseignements très intéressants.
Premier élément de perspective qui va faire office de simple rappel pour plusieurs : ce n’est pas toute l’industrie forestière qui s’est effondrée d’un coup durant la crise. Le secteur des pâtes et papiers était déjà en baisse depuis la fin des années 1990. C’est l’industrie liée à la construction domiciliaire unifamiliale qui s’est écroulée alors que l’on est passé de 1,8 million de mises en chantier annualisées en janvier 2006 à 353 000 en mars 2009. Or comme c’est l’industrie de la construction qui est la principale responsable de la demande en bois aux États-Unis, quand elle s’écroule, l’ensemble du monde forestier s’en ressent.
L’élément qui m’a cependant le plus marqué dans ces mises en perspectives historiques est qu’il faut oublier le chiffre de 1,8 million de mises en chantier annuelles d’unifamiliales. Lorsque l’on parle de la débâcle de ce secteur industriel, on fait toujours référence à la donnée record de 2006 en parallèle avec celle de 2009 et le réflexe est de se dire : « il y a une longue côte à remonter avant de retrouver le 1,8 million ». La réalité est que la valeur de 1,8 million était historiquement excessive. Les Figures 1 et 2 permettent de visualiser cet aspect. La Figure 1, qui fut une des vedettes de ce congrès (elle se retrouvait dans plusieurs présentations) donne les chiffres bruts depuis 1959. La Figure 2 présente quant à elle les résultats de l’analyse des chercheurs qui ont établi, sur ces dernières données, que la valeur annuelle moyenne dans la construction d’unifamiliales à laquelle on devrait s’attendre est de l’ordre de 1,1 million. C’est le chiffre à garder en tête, pas 1,8 million!
Les personnes un peu au fait du dossier doivent ici se dire : « ne s’agit-il donc pas de mises en chantier qui ont dépassé le 2 000 000? » C’est exact… si on inclut tous les types de constructions résidentielles, dont les blocs de 5 unités et plus. Et cela fait toute la différence dans l’analyse. Lorsque l’on considère toutes les constructions résidentielles, on peut s’apercevoir à la Figure 3 que les données du milieu des années 2000 ne sont pas si exceptionnelles que ça. C’est en fait l’année 1972 qui détient le record! Mais dans cette année record, il y avait un peu plus de 900 000 constructions résidentielles de 5 unités ou plus. L’analyse des chercheurs s’est attardée aux seules unifamiliales, car c’est de là qu’est venu le problème alors que les conditions de crédit avaient été facilitées pour favoriser l’accès à la propriété à un maximum de personnes. La chute a été à la mesure de l’excès! (Désolé pour cet aparté statistique, mais il m’apparaissait nécessaire pour que tout soit clair)
Malgré l’aspect apocalyptique des données, le ton des présentations était quant à lui résolument optimiste. Et il y avait plusieurs raisons à cela. Je ne vais vous en présenter que deux ici, mais vous allez retrouver tous les éléments dans les rapports.
La première raison que j’ai retenue est d’ordre qualitatif. Le présentateur de la région du Nord l’a qualifiée de Saudi Arabia of quality hardwood. Ce n’est pas rien! Je ne suis pas un spécialiste de l’industrie des bois feuillus, toutefois je n’ai jamais entendu de tels qualificatifs pour notre zone feuillue au Québec. Les épithètes sont généralement plus « grinçantes ». En temps de crise comme aujourd’hui, si nous pouvions en dire autant cela accroîtrait assurément notre optimisme pour l’avenir. Si l’on ne refait pas l’Histoire, une étude historique comparative de l’aménagement des feuillus entre le nord des États-Unis et le sud du Québec nous apporterait certainement quelques enseignements positifs pour l’aménagement futur de cette ressource.
L’autre raison est que le Canada est de moins en moins vu comme une menace. Il faut dire ici que généralement « Canada = Colombie-Britannique » pour les interlocuteurs que j’ai entendus discuter de la question (ce ne fut pas limité à la série de conférences que j’aborde ici). Leur analyse est basée sur les faits que 1 — le dendroctone a créé une hécatombe qui va réduire à terme la capacité de sciage de la Colombie-Britannique et 2 — que la Chine accapare de plus en plus l’attention de cette province, réduisant d’autant son regard vers les États-Unis (de fait, cette analyse était le thème de ma toute première chronique). On peut ajouter à ces raisons la faiblesse de leur dollar dont personne ne semble se plaindre dans le monde forestier aux États-Unis.
Cette chronique avait pour objectif de vous présenter les faits qui m’avaient le plus marqué dans cette série de présentations très denses ainsi qu’attirer votre attention sur l’existence des documents qui en étaient à l’origine. Des documents-clés pour comprendre l’état du monde forestier aux États-Unis en 2012. Mais notre industrie forestière étant très liée à ce pays, il faut garder à l’esprit que comprendre ce qui se passe au sud de la frontière, c’est aussi un peu comprendre ce qui se passe ici.
Les Rapports :
An overview of the forest products sector downturn in the United States
Recession effects on the forests and forest products industries of the South