Les Sociétés de « Gestion » Forestière de l’Ontario
Avant les Fêtes, je me posais la question « L’Ontario : ancienne et future référence dans l’aménagement de nos forêts publiques? ». J’avais alors analysé le document de travail produit par le Ministère du Développement du Nord, des Mines et des Forêts (MDNMF) de l’Ontario en vue d’établir des Sociétés locales de gestion forestière (SLGF); des organismes autonomes qui s’occuperaient de mettre en marché le bois en remplacement de l’équivalent de leurs CAAFs (Contrat d’Approvisionnement et d’Aménagement Forestier). Suite à cette chronique, je m’étais alors concentré sur différents dossiers touchant les États-Unis et, entre temps, ce qui était un projet est devenu une Loi en voie d’adoption rapide malgré une opposition croissante. Donc, au menu aujourd’hui : petite mise-à-jour de ce dossier et discussion sur les leçons à tirer pour le Québec dans un contexte où l’idée de la création de Sociétés d’aménagement, proposées en 2008 mais rapidement enterrées, pourrait renaître.
Le projet de Loi 151, intitulé « Loi de 2011 sur la modernisation du régime de tenure forestière en Ontario » (Ontario Forest Tenure Modernization Act, 2011) a été déposé le 23 février 2011. Il a été adopté en deuxième lecture le 18 avril et sera examiné article par article à partir du 11 mai en vue d’une probable adoption rapide en troisième lecture (l’expression « fast track » revient souvent chez les commentateurs… et critiques!). Ce projet de Loi n’est pas une nouvelle politique forestière comme la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier qui sera en vigueur au Québec le 1er avril 2013. La Loi 151 est en fait un document très technique qui détaille la création des dites SLGF dans ses divers détails. Cette dernière s’appuie sur la « Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne » de l’Ontario qui reste en vigueur dans ses grandes lignes mais vient en changer un aspect fondamental: dorénavant, ce seront les SLGF qui mettront le bois en marché et s’occuperont de l’aménagement, les industriels forestiers devant se concentrer sur l’innovation dans la transformation. Si le chemin emprunté par l’Ontario est différent du Québec, on en revient cependant à la même logique, soit de séparer aménagement et transformation.
En rappel de ma précédente chronique, il est prévu que les SLGF seront en compétition pour mettre en marché du bois, en partie via des enchères. La Loi 151 étant muette sur ce dernier sujet, la seule référence qui détaille la mise aux enchères est le document de travail. Il semble donc que les SLGF seront tenues de mettre en marché un minimum de 25% du bois via des enchères (même pourcentage qu’au Québec). Aussi, il serait toujours question d’avoir de 10 à 15 SLGF pour remplacer les 46 Unités de gestion existantes.
Lors de ma première chronique sur le sujet, les commentaires associés au projet semblaient plutôt positifs malgré les réserves liées à l’attente de voir le projet final. Or, cette perception initiale a, à l’évidence, disparu. Un front (désuni il faut dire) d’industriels, de municipalités et de nations autochtones sont aujourd’hui très critiques du projet en voie d’être adopté. Les principales critiques s’articulent autour de l’idée que ce projet de Loi semble avoir été décidé par le « Sud » pour le « Nord » (ce sont des qualificatifs qui apparaissent souvent dans ce débat). Plus spécifiquement, la Loi 151 est perçue comme une mainmise arbitraire du MDNMF sur les ressources forestières via des conseils d’administration nommés par la Couronne et qui ne seront pas imputables. Aussi, les différents groupes reprochent au gouvernement d’aller trop vite dans un projet qui pourrait avoir un impact majeur sur eux et ce sans grande consultation. La Commission parlementaire du mois d’avril a été jugée expéditive et, comme elle s’est déroulée à Toronto, les gens du Nord qui ont voulu participé n’ont pu le faire que par vidéoconférence. Si le gouvernement estime qu’il a fait toutes les représentations nécessaires dans le Nord au moment où il élaborait le projet, les critiques estiment que les ébauches initiales ont trop changé pour pouvoir se retrancher derrière cette défense (note : si cette dernière critique revient souvent, aucun groupe n’explicite cet aspect). N’étant pas en reste, les représentants des deux groupes d’opposition (NPD et Conservateurs) s’opposent eux aussi au projet qu’ils jugent inutilement risqué pour les communautés qui vivent de la forêt en plus d’amener de l’incertitude dans l’approvisionnement en bois et de créer une nouvelle couche administrative dans l’aménagement des forêts publiques. Une considération importante si on met en perspective qu’il y aura des élections en octobre en Ontario!
Malgré le manque de détails dans les critiques qui ont été rapportées, si on se met dans la perspective des « gens du Nord », on peut comprendre leur inquiétude à la lecture du projet de Loi 151. Les SLGF seront gérées par un conseil d’administration nommé par le MDNMF. Et si on peut imaginer que les communautés locales auront une représentation, il n’en est pas fait explicitement mention dans le projet de Loi. Il transparaît aussi assez clairement dans le projet de Loi 151 que l’autonomie de SLGF sera avant tout administrative. Les ordres viendront « d’en haut », le Ministre ayant toute la latitude pour intervenir dans la direction des SLGF. Finalement, on peut aisément comprendre l’inquiétude des industriels et des communautés dans le fait que le MDNMF puisse révoquer par décret des garanties d’approvisionnement d’une entreprise au profit d’une SLGF.
Plus personnellement, je dois avouer que l’image que je m’étais faite des SLGF suite à la lecture du document de travail diffère de celle que j’ai retrouvée dans le projet de Loi. Je visualisais des Sociétés d’aménagement qui développeraient une culture d’aménagement forestier. Ce sera plutôt l’équivalent d’Agences de mise en marché des bois avec des obligations sur l’aménagement elles-mêmes gérées par une loi. Une anecdote révélatrice : en anglais il est question de local forest management corporation alors qu’en français le terme « management » a été traduit par « gestion ». Or, « gérer » une forêt est bien différent « d’aménager » une forêt! Mais à l’évidence, le verbe « gérer » me semble malheureusement beaucoup plus fidèle à l’esprit de la Loi 151 que le verbe « aménager ».
L’idée des Sociétés d’aménagement renaîtra-t-elle au Québec? C’est ce que j’ai déduit des commentaires (publics) d’un haut fonctionnaire du MRNF dans le cadre du récent Colloque annuel de l’Association Forestière de la Vallée du St-Maurice. Rien d’officiel. Une simple annonce que cette idée n’était pas complètement morte. Mais suffisamment pour justifier de faire des liens avec ce qui se passe en Ontario et qui pourrait nous influencer.
S’il y a une erreur à éviter, c’est d’établir une structure qui donne la perception d’être une « patente » administrative montée par le MRNF sans lien avec le milieu. Il faudra que des intervenants locaux soient directement impliqués autrement qu’à titre consultatif. Les détails pour l’Ontario ne sont pas clairs mais la perception est à l’évidence mauvaise, ce qui n’est pas bon augure pour la suite.
La deuxième erreur à éviter est de ne pas rallier les différents partis politiques à ce projet. La forêt, ça s’aménage sur du long terme. Je comprends mal le Parti Libéral ontarien de foncer à six mois d’une élection alors que les deux partis d’opposition apparaissent contre le projet. Il est bien possible que des subtilités de la politique ontarienne m’échappent! Toutefois, à changer de façon drastique les façons de procéder en forêt, il importe de s’assurer d’avoir un minimum de consensus pour éviter d’éventuels désordres en cas de changement de gouvernement.
Dans ma première chronique, je posais la question « L’Ontario : ancienne et future référence dans l’aménagement de nos forêts publiques? ». Aujourd’hui, sur la base de ce que j’ai pu constater, je dois dire que je ne souhaite pas que ça y ressemble. La forêt n’a pas besoin de structure de « gestion » supplémentaire. Elle a besoin d’aménagistes.
Pour en savoir plus :
Le site web officiel du projet
Article résumé sur les critiques
Un regroupement de municipalités préoccupées
Commentaires du critique conservateur
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