Les Planning rules : 30 ans plus tard
C’est dans l’espoir qu’elle représente le dernier chapitre d’une longue saga, que le USDA Forest Service a publié le 23 mars dernier la version finale de la Planning rule qui encadrera la production et la révision des plans des différentes Forêts nationales des États-Unis. Comme le mentionne le USDA Forest Service, cette nouvelle version des Planning rules est le fruit de 30 ans d’expérience dans la planification de l’aménagement des Forêts nationales. Je ne reviendrai pas ici sur les détails de cette saga que j’ai déjà eu l’occasion de traiter dans de précédentes chroniques. Je vais plutôt m’attarder sur les points centraux de la Planning rule 2012 ainsi que sur les points qui sont le plus susceptibles d’amener une réflexion sur l’aménagement des forêts publiques québécoises.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il m’apparaît bon d’expliquer « Qu’est-ce qu’une Planning rule? » Dans le cas de la version 2012, c’est un document de 242 pages qui ressemble beaucoup à une très grosse Foire Aux Questions (FAQ)! Chaque point constituant la Planning rule 2012 est justifié sur la base de questions et commentaires du public (note: plus de 300 000 commentaires ont été émis suite à une version préliminaire de la Planning rule publiée en 2011). La Planning rule « comme telle » ne prend que 28 pages et se trouve vers la fin du document (pages 206-234). Vous allez aussi retrouver dans ce document les différentes alternatives explorées avant d’en venir au choix final. Une Planning rule c’est donc un document justificatif des orientations d’aménagement et qui permet d’en comprendre la logique. À noter que beaucoup de « détails » importants se trouvent dans les explications!
Pour avoir suivi le dossier depuis quelque mois, j’ai retenu deux mots-clés pour décrire les points centraux de cette Planning rule : restauration et collaboration. Deux mots que l’on retrouve dans le titre du communiqué officiel (« USDA publishes final rule to restore the nation’s forests through science and collaboration »).
La restauration est dans les faits un enjeu de tous les jours dans l’aménagement des Forêts nationales. Dans plusieurs de ces Forêts, il a été établi que la suppression des feux et l’interdiction des coupes ont créé des conditions non naturelles; des conditions qui rendent les écosystèmes forestiers très sensibles aux feux et aux épidémies d’insectes. Conséquence : la destruction d’écosystèmes qui étaient désignés protégés et la vie de citoyens mise en danger parce que des feux deviennent plus sévères qu’ils n’auraient dû l’être (la chronique sur l’aménagement forestier des Apaches donne un exemple pratique de l’enjeu de la restauration). La restauration vise donc à faire en sorte que les écosystèmes forestiers retrouvent une structure naturelle afin, en particulier, d’être le plus possible en mesure de faire face aux pressions qui risquent d’être induites par les changements climatiques (ex : le dendroctone du pin ponderosa a profité d’hivers plus doux que la normale pour atteindre des seuils épidémiques).
La « collaboration », liée à l’acceptabilité sociale, est probablement l’obsession de cette Planning rule depuis le jour 1 où le USDA Forest Service a commencé à l’élaborer. Il est bon ici de rappeler que c’est dans une Forêt nationale où il n’y avait pas eu de contestations judiciaires depuis 5 ans que le Secrétaire à l’Agriculture avait alors annoncé la démarche qui a abouti au document publié la semaine dernière. Les contestations judiciaires ont fait perdre un temps énorme dans les tribunaux au USDA Forest Service pendant que les problèmes s’accumulaient dans les forêts. Alors n’en doutez pas, c’est un maître mot qui va guider l’action du USDA Forest Service dans les prochaines années.
Au-delà de ces deux points forts, dans quelle mesure la Planning rule 2012 peut susciter la réflexion dans l’aménagement des forêts publiques québécoises?
Premièrement, cette Planning rule marque officiellement la fin de l’aménagement écosystémique comme Le paradigme « intégrateur ». La Planning rule de 2000 était centrée sur l’aménagement écosystémique. Toutefois, dans la version 2012, les seules références à « Ecosystem management » sont d’ordre administratif, car c’est l’Ecosystem Management Coordination Staff qui est responsable de la production de la Planning rule! L’appellation est de fait un signe de l’importance fondamentale que ce paradigme a déjà eu au USDA Forest Service. Mais ce sont là les seules références directes dans le document de 242 pages de 2012.
Si le paradigme a été laissé de côté, cela ne veut pas dire que ses valeurs ont disparu. Par exemple, l’enjeu de restauration est orienté dans le but de ramener les écosystèmes forestiers à des conditions naturelles. Aussi, le filtre brut (en étroite association avec le filtre fin) est retenu comme outil pour répondre à l’objectif de préserver la diversité des communautés animales et végétales. Mais fondamentalement, le USDA Forest Service a choisi de laisser de côté les « grands concepts » pour orienter ses actions vers un grand enjeu clair pour tout le monde sous un vocable tout aussi clair (restauration).
Pour contribuer à l’acceptabilité sociale de l’aménagement en forêts publiques, le Ministère des Ressoruces naturelles et de la Faune (MRNF) a mis en place les Tables de gestion intégrée. L’expérience aux États-Unis laisse toutefois supposer que cela pourrait ne pas être suffisant. Dans la structure qui va être mise en place pour les Forêts nationales, les responsables vont pratiquement devoir faire « un » avec les différents groupes qui s’intéressent à l’aménagement des Forêts nationales. Ici, ces groupes sont cantonnés dans une « boîte » de l’organigramme. Il ne faudrait donc pas se surprendre qu’ils puissent en venir à souhaiter plus de place!
C’est une formule d’aménagement adaptatif qui va encadrer la production et la révision des plans d’aménagement des Forêts nationales (Figure 1). Cela va impliquer que les plans ne seront pas nécessairement révisés sur la base d’un délai légal (ex. : chaque 5 ans). Le responsable de l’aménagement d’une Forêt nationale pourra initier une révision dès qu’il estime que des conditions changeantes le justifient, et ce, dans un esprit collaboratif! Si au Québec on s’aligne toujours pour des révisions sur une base légale, dans un contexte de changements climatiques qui peut nous amener bien des surprises (ex. : des risques d’incendie en mars!), une formule plus souple serait peut-être à considérer.
Finalement, alors qu’au Québec on souhaite repenser d’ici 2018 l’approche du rendement soutenu dans la récolte de bois, le USDA Forest Service a choisi de le garder. Il y a quelques particularités dans son application toutefois. Exemple pratique : si la possibilité est de 100 000 m3 annuellement (le rendement soutenu s’établit sur une base annuelle), sur une période de 10 ans on pourrait récolter pour une année donnée plus de 100 000 m3 pourvu que l’on ne dépasse pas 1 million de m3 pour le total des 10 ans. Soulignons aussi qu’il est possible d’augmenter la récolte au-delà du rendement soutenu si cela permet d’atteindre des conditions désirées (ex. : un projet de restauration). Dans ce cas, c’est par le biais d’audiences publiques que le projet serait accepté ou refusé.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette Planning rule, comme à quel point la protection des bassins versants est importante, et c’est pourquoi je vous invite à la lire! J’ai choisi de m’en tenir à ce qui pouvait à mon avis susciter le plus la réflexion dans notre aménagement des forêts publiques. Et ce, dans le contexte où le MRNF va bientôt se retrouver dans la même situation que le USDA Forest Service, soit un organisme gouvernemental qui aménage directement une ressource publique. Jusqu’à tout récemment, le MRNF pouvait compter sur un « fusible » qui s’appelle l’industrie forestière. Maintenant que le fusible a sauté, le MRNF va être directement connecté au public. L’aménagement des forêts publiques étant d’une fabuleuse complexité, il y a probablement des leçons à tirer d’un organisme qui a 30 ans d’expérience dans ce registre!
Autres références:
Page d’accueil des Planning rules
FAQ de la Planning rule 2012