L’USDA Forest Service ou le conte des mille et une poursuites judiciaires
Il est difficile de parler de l’aménagement des Forêts nationales des États-Unis sans faire référence à des poursuites judiciaires. Cela fait presque partie du « folklore » de l’aménagement de ces Forêts. En fait, les poursuites judiciaires sont tellement présentes dans le monde des Forêts nationales que des chercheurs en ont fait un sujet de recherche! Des recherches qui permettent, entre autres, de comptabiliser le taux de succès de l’USDA Forest Service et de mieux comprendre les motivations en arrière des attaques en justice dont cette Agence gouvernementale est l’objet.
Lors de mon passage au congrès de la Society of American Foresters à Spokane en 2012, j’avais eu l’occasion d’assister à une conférence présentant les résultats d’une de ces recherches. Malgré l’intérêt que j’avais eu pour ce sujet, le sentiment de ne pas en maîtriser toutes les nuances m’avait alors amené à ne pas en parler dans mon compte-rendu. Les résultats de cette recherche ayant toutefois été publiés dans le numéro de janvier 2014 du Journal of Forestry (note: abonnement requis), je profite donc de cette nouvelle occasion pour vous en faire un petit résumé.
Nombre de cas et taux de succès de l’USDA Forest Service
L’étude s’est attardée aux poursuites judiciaires entre 1989 et 2010. Un total de 1 162 poursuites ont été recensées, mais les chercheurs n’ont retenu « que » les 1 125 qui ont été réglées dans cette période.
L’USDA Forest Service a remporté 54% des 1 125 poursuites judiciaires retenues dans l’étude. Un pourcentage qui comprend les victoires où le plaignant a retiré sa plainte avant qu’un juge ne rende une décision. Dans les seuls cas où la cause fut tranchée par un juge, le taux de succès de l’USDA Forest Service a grimpé à 64%. Ce dernier n’a perdu que 23 % des 1 125 causes et les 23% de causes restantes ont été réglés hors cours (une tendance à la hausse ces dernières années). Des résultat qui peuvent surprendre, car on entend surtout parler des défaites de cette Agence américaine!
82 portes d’entrée pour des poursuites judiciaires!
Une des raisons qui fait que l’USDA Forest Service est si souvent attaqué, c’est qu’il peut l’être en vertu de n’importe laquelle des 82 lois qui encadrent l’aménagement des Forêts nationales! Dans les faits, les poursuites retenues dans cette étude ont été basées sur 57 de ces 82 lois et certaines se sont avérées une porte d’entrée beaucoup plus populaire que d’autres comme on peut le voir dans Tableau ci-dessous. À noter que si le total excède 100%, c’est que dans la majorité des cas les poursuites concernaient plus d’une loi (moyenne = 2, maximum = 8).
Loi | % des cas où elle fut invoquée |
National Environmental Policy Act (NEPA) |
62 |
National Forest Management Act (NFMA) |
49 |
Endangered Species Act (ESA) |
18 |
Administrative Procedures Act (APA) |
8 |
Clean Water Act (CWA) |
6 |
La loi qui s’est avérée la plus « payante » pour attaquer l’USDA Forest Service fut The Wilderness Act (4% des causes — juges en accord avec l’Agence dans « seulement » 67% des cas) alors qu’il valait mieux éviter les aspects constitutionnels (3% des causes) pour lesquels les juges se sont rangés du côté de l’USDA Forest Service à 96% du temps.
Parmi les trois lois les plus invoquées, la meilleure combinaison pour attaquer l’USDA Forest Service fut celle regroupant le NFMA et l’ESA alors que l’Agence américaine a perdu 29 des 54 causes impliquant cette combinaison. L’association des deux lois les plus « populaires » (NEPA et NFMA) a quant à elle vu l’USDA Forest Service l’emporter dans 60% des cas.
Les motivations pour entreprendre une poursuite judiciaire
Pour quelles raisons l’USDA Forest Service fut-il attaqué en justice entre 1989 et 2010? Les chercheurs ont analysé cet aspect sous deux angles. Tout d’abord, les poursuites ont été divisées en deux grandes philosophies: est-ce qu’il y avait une demande pour utiliser moins de ressources ou plus de ressources? Se classaient dans le premier cas des situations où, par exemple, des amateurs de récréation demandaient à ce qu’il y ait moins de récolte de bois dans certains secteurs. Dans le deuxième cas, on pouvait retrouver ces mêmes amateurs de récréation qui demandaient à ce qu’une ressource soit plus utilisée (ex.: plus de permis de pêche). Près de 80% des poursuites judiciaires ont concerné des situations du premier cas (moins d’utilisation des ressources).
La deuxième partie de cette analyse a consisté à vérifier quels étaient les types d’activités très spécifiques qui avaient été visés. Ce n’est pas là une surprise, mais ce sont les activités liées à la récolte de bois qui ont été individuellement les plus ciblées alors qu’elles ont accaparé plus de 40% des contestations judiciaires. Point intéressant, c’est pour ce type de poursuites que l’USDA Forest Service a eu le plus tendance à régler hors cours.
De la « popularité » de certaines régions et cours de justice
Les bureaux de l’USDA Forest Service sont subdivisés en 9 régions (Figure ci-dessous). La région la plus sujette aux poursuites judiciaires entre 1989 et 2010 fut la n°6 (Pacific Northwest) qui correspond aux États de Washington et de l’Oregon. Malgré le fait que ces deux États ne regroupent que 13% de la superficie des Forêts nationales, entre 1989 et 2010 cette région a été la cible de 22% des poursuites judiciaires. Ce n’est cependant pas très surprenant alors que l’enjeu de la chouette tachetée est très présent dans cette région. C’est dans la région 10 (Alaska) qu’il y a eu le moins de poursuites.
Il y a plusieurs réseaux de cours d’appels aux États-Unis et le Ninth Circuit Court of Appeals fut le réseau le plus recherché par les plaignants alors que 66% des causes y ont été entendues. Ce réseau a une réputation d’être plus favorable aux plaignants contre l’USDA Forest Service et, de fait, ce dernier n’a gagné que 48% de ses causes dans ce réseau de cours d’appels, soit en-dessous de sa performance d’ensemble (54% de gains). Cependant, la « popularité » du Ninth Circuit Court of Appeals s’explique aussi par sa géographie alors que sa juridiction s’étend sur tout l’ouest des États-Unis (grosso modo, les régions 1 et 3 à 6 de l’USDA Forest Service) et englobe 63% de la superficie du réseau des Forêts nationales.
Conclusion
Que des chercheurs fassent carrière sur ce sujet est en soi un signe que les poursuites judiciaires sont une composante intégrante de la vie d’un professionnel de l’USDA Forest Service. On est très loin de la réalité du Québec et du cas exceptionnel qu’a pu représenter le Mont Kaaikop. Mais si ce cas devait faire boule de neige, se tourner vers l’expérience de l’USDA Forest Service serait un réflexe logique.