Entre infopub et guerre de clochers, quel bilan pour l’aménagement durable des forêts publiques du Québec?
Le 28 octobre dernier, le ministère des Forêts de la Faune et des Parcs (MFFP) rendait public le «Bilan quinquennal de l’aménagement durable des forêts 2013-2018». Le MFFP prenait ainsi le relais du Bureau du Forestier en chef (BFEC) qui avait été responsable des deux précédentes éditions, soient celles de 2000-2008 et 2008-2013.
Ce changement de garde est attribuable à l’entrée en vigueur, en 2013, de la «Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier» faisant du MFFP le grand responsable de l’aménagement des forêts publiques du Québec. Le BFEC est cependant resté impliqué alors qu’il a produit une «Analyse des résultats obtenus en matière d’aménagement durable des forêts du domaine de l’État». Cette analyse est intégrée en annexe du bilan produit par le MFFP.
Ayant dans ma bibliothèque les deux précédents bilans produits par le BFEC, je ne peux que constater que le changement de responsabilités n’a pas été pour le mieux tant pour la qualité que pour l’utilité du document. Mais plus encore, il est symptomatique de la complaisance du MFFP dans son aménagement des forêts québécoises tout en amenant au constat « qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de l’Atrium (bâtisse regroupant les fonctionnaires du MFFP et du BFEC) ».
Un document, deux bilans
Un élément qui frappe rapidement lorsque l’on consulte le document est que l’annexe n’en est pas vraiment une. C’est en fait un deuxième bilan.
Au premier abord, on se dit que l’analyse du Forestier en chef se veut une critique constructive du travail de ses confrères gouvernementaux (note administrative : le BFEC est une entité indépendante à l’intérieur du MFFP). Ce qui somme toute serait sain. Et bien non. Il n’y a aucun lien entre le document central et son « annexe ».
L’analyse du BFEC est non seulement structurée comme un bilan en bonne et due forme, mais de plus elle est faite sur des bases différentes que le travail officiel du MFFP! Je n’ai d’ailleurs noté aucune référence au bilan du MFFP dans celui du BFEC. À l’évidence, ces deux documents ont été pensés et produits indépendamment l’un de l’autre.
Pour vous aider à mieux comprendre la situation, vous allez trouver dans le Tableau ci-dessous les grands enjeux abordés dans ces deux bilans. Les différences s’expliquent par le fait que le MFFP a basé son analyse sur les défis de sa Stratégie d’aménagement durable des forêts (SADF) officialisée en 2015 alors que, de son côté, le BFEC a utilisé les critères du Conseil canadien des ministres des Forêts (CCMF). À souligner que la SADF est inspirée des critères du CCMF et que c’est sur ces derniers que le BFEC avait produit le bilan 2008-2013.
Tableau: Ordre de présentation des défis du ministère des Forêts de la Faune et des Parcs (MFFP) et des critères du Bureau du Forestier en chef (BFEC) dans la production du «Bilan quinquennal d’aménagement durable des forêts 2013-2018».
Défis (MFFP) | Critères (BFEC) | |
1 | Une gestion et un aménagement forestier qui intègrent les intérêts, les valeurs et les besoins de la population québécoise, dont les nations autochtones. | Diversité biologique. |
2 | Un aménagement forestier qui assure la durabilité des écosystèmes. | État et productivité des écosystèmes. |
3 | Un milieu forestier productif et créateur de richesses diversifiées. | Sol et eau. |
4 | Des industries des produits du bois et des entreprises forestières diversifiées, compétitives et innovantes. | Contribution aux cycles écologiques planétaires. |
5 | Des forêts et un secteur forestier qui contribuent à la lutte contre les changements climatiques. | Avantages économiques et sociaux. |
6 | Une gestion forestière durable, structurée et transparente. | Responsabilité de la société. |
Ce bilan est censé, entre autres, s’adresser à la population québécoise. Or, comment un simple citoyen qui souhaiterait avoir l’heure juste sur l’état de l’aménagement des forêts publiques du Québec pourrait-il s’y retrouver? « Quel bilan choisir? » pourrait-il se demander. La situation amène plus de confusion qu’autre chose.
Mais pour répondre à la question, je recommande de commencer par le bilan du BFEC. Il est plus intéressant et agréable à consulter que celui du MFFP. Exprimé autrement, il y a plus d’intérêt à lire l’annexe que le document central. Ce qui, en soi, est un problème que je détaille au point suivant.
Bilan-infopub
Un bilan d’aménagement durable des forêts ne devrait pas être un exercice de relations publiques. Malheureusement, si je dois résumer l’essence du bilan 2013-2018 du MFFP, il se lit ainsi : « Blablabla… Le Ministère fait du très bon travail … Blablabla… On est vraiment bons…».
Trop sarcastique? Voici, en guise d’aperçu, le dernier paragraphe de la conclusion du MFFP :
À la lumière des résultats présentés dans ce Bilan, le Ministère est fier d’avoir mis en œuvre un régime forestier avant-gardiste qui garantit la pérennité des forêts. Par son engagement envers l’amélioration continue de ses pratiques, il consent tous les efforts et toutes les ressources nécessaires afin de maintenir les standards de gestion actuels au profit des citoyens et citoyennes. Le Ministère documente actuellement toutes les améliorations d’ordres légal, réglementaire et administratif qui pourraient s’avérer nécessaires afin d’assurer un équilibre entre les trois piliers de l’aménagement durable des forêts et leur correspondance aux valeurs et attentes de l’ensemble de la population.
— p. 83
C’est ainsi pendant les quelque 80 pages de ce bilan. Et j’ai choisi un paragraphe relativement court. Dans bien des cas, leur longueur crée une densité de texte très rebutante… très loin d’une reddition de compte s’adressant à la population!
Et si vous trouvez que 80 pages (hors « annexe » de 50 pages), c’est maigre pour un bilan sur l’aménagement durable des forêts, vous avez raison. Celui pour la période 2000-2008 faisait 290 pages et celui pour 2008-2013 avait 362 pages. La grande différence? Elle tient à ce qui était l’essence des deux précédents bilans et qui a été retirée dans le bilan 2013-2018 : les fiches d’analyses de chaque indicateur.
L’essence perdue (ou presque) : les fiches d’analyse
Pour illustrer l’essence des précédents bilans, je vous présente ci-dessous un extrait de la fiche d’analyse du critère « Aires protégées » tiré du bilan de 2000-2008 (note : les critères alors retenus furent inspirés de différentes approches pour aborder l’aménagement durable des forêts, dont celle du CCMF). C’est clair et très visuel.
Le bilan de 2008-2013 avait laissé de côté ces visuels, mais restait très clair en répondant sous forme de fiches d’analyse à des questions précises et avec des constats synthétisés sous forme de points. Le tout restait factuel et pouvait servir de document de référence.
Les fiches d’analyse sont absentes du document officiel du bilan 2013-2018, mais sont individuellement disponibles sur le site-portail du rapport. Comparativement aux fiches des précédents bilans, les constats sont un peu plus difficiles à identifier. Toutefois, prises dans leur ensemble, ces fiches représentent l’essentiel du bilan auquel on aurait dû s’attendre. C’est pourquoi je vous invite à faire comme moi : téléchargez-les toutes et oubliez le document officiel!
Quelque chose de pourri au royaume de l’Atrium
Si la valeur « référence » du document rendu public le 28 octobre dernier est faible, il nous éclaire cependant sur le fonctionnement du MFFP ainsi que ses relations avec sa subdivision autonome du BFEC.
Pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer dans la production de ce bilan, j’ai pris le temps de lire la méthodologie qui a encadré sa production. Il s’avère que le BFEC a été impliqué à plusieurs étapes. Cela amène donc au constat que, si le MFFP et le BFEC se sont régulièrement parlés, assurément « il y avait de la friture sur la ligne »!
Mais le plus inquiétant dans tout cela est que, comme nous le rappelle ce bilan, depuis 2013 c’est le MFFP qui chapeaute tout l’aménagement forestier au Québec… en tandem avec le BFEC. Ce qui, à la lumière de ce bilan 2013-2018, n’est pas très rassurant!
De plus, il est clair que le MFFP manque de contre-pouvoirs. Étant à la fois le législateur et l’aménagiste, il est peu surprenant qu’une analyse par lui-même de ses propres actions sur la base de sa propre stratégie en vienne à la conclusion que, dans l’ensemble, tout va très bien. Un exemple, s’il en faut un, que l’omnipotence crée la complaisance.
Finalement, dans les précédents bilans, de nombreuses personnes externes étaient impliquées dans la conception des fiches d’analyse et du rapport. Pour l’actuel bilan et ses fiches, un total de trois personnes externes ont été consultées. Une par grand thème de l’aménagement durable des forêts (social, économique et environnemental). C’est peu. Et de plus, elles ne furent impliquées que dans les dernières phases de la production du rapport et des fiches.
Mot de la fin et recommandations
En regard de la qualité des deux précédents bilans d’aménagement durable des forêts, il faut ici parler d’un triste gâchis. Et j’insiste sur « triste ». Si j’écris depuis une décennie sur l’aménagement des forêts, c’est par passion. Et c’est sincèrement désespérant d’avoir à écrire une chronique avec une portée aussi négative. D’autant plus que ce fut une mauvaise surprise, car je m’attendais à un document en continuité avec les deux précédents bilans.
Mes souhaits pour le bilan 2018-2023…
Tout d’abord, qu’il n’y ait vraiment qu’un seul organisme responsable de sa production, soit par exemple :
- le BFEC;
- le MFFP (sans le BFEC), mais avec de nombreuses collaborations externes dès le départ et des points de vues externes publiés à même le bilan;
- une organisation complètement externe au MFFP et dédiée à la production et aux suivis de ces bilans.
Mais surtout, point essentiel, que les fiches d’analyse de chaque indicateur redeviennent le cœur du bilan. Que ce dernier ne soit pas un rapport d’activité sur ce que le Ministère a fait (de bien, il va de soi) dans les cinq dernières années. Ce document est censé représenter la reddition de comptes face à la population dans l’avancement en aménagement durable des forêts. C’est une grande responsabilité pour laquelle la complaisance n’a pas sa place.
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