Les forêts urbaines: ne les oublions pas!
Depuis le début de ce blogue, il a beaucoup été question d’aménagement de forêts publiques en milieu forestier. Pour aujourd’hui, petite incursion dans le domaine des forêts urbaines. Ce ne sont naturellement pas les mêmes enjeux d’aménagement que, par exemple, dans les Forêts nationales américaines. Mais les enjeux associés aux forêts urbaines sont directement reliés aux services que les forêts rendent aux sociétés humaines, des sociétés justement de plus en plus urbanisées. Une raison plus que suffisante pour y consacrer une chronique!
C’est un article récent de deux chercheurs (Nowak et Greenfield 2012) du USDA Forest Service, démontrant une baisse de la couverture arborée en milieu urbain aux États-Unis depuis le début des années 2000, qui a attiré mon attention. L’article fait état que sur 20 villes analysées, 17 montraient une diminution significative de la couverture arborée. En parallèle, 16 villes montraient une augmentation significative du couvert « imperméable » (routes, immeubles, stationnements…). À noter que si vous cherchez une ville avec des arbres, c’est vers Atlanta qu’il faut se tourner alors que la couverture arborée recouvrait 52,1 % du territoire urbain en 2009. Par contre, vous risquez d’être déçus si vous allez à Denver, la Ville ne comptait en 2009 que 9,6 % de couverture arborée.
Globalement, la diminution annualisée de la couverture arborée urbaine des États-Unis pour la période analysée s’est chiffrée à 0,2 %, une valeur qui n’apparaît pas énorme a priori. C’est lorsque l’on transpose ce chiffre en valeur brute que l’on prend mieux la mesure de la diminution. Le 0,2 % se transpose alors en une perte de 7 900 ha/an ou de 4 millions d’arbres/an (note : il s’agit d’approximations). Les conséquences? Si la tendance se poursuit, c’est vers une perte des services que rendent les forêts et les arbres en milieu urbain à laquelle doivent s’attendre les Américains.
Ces services se déclinent sous diverses formes : amélioration de la qualité de l’eau et de l’air, diminution des bruits, augmentation de la valeur des immeubles, accroissement du lien affectif avec le milieu de vie, captation du CO2… Un des services les plus connus, surtout très facilement ressenti, est celui de la diminution des îlots de chaleur urbains. Environnement Canada a établi que ces îlots de chaleur pouvaient amener des différences de température variant entre 5 °C et 10 °C selon que l’on se trouve dans un milieu urbain boisé ou non. Une différence assez importante pour qu’elle ait un impact direct sur la santé des gens. Les journées de canicule, un accroissement de la mortalité a même été associé à ces îlots de chaleur.
Dans un monde économique capitaliste, la meilleure façon de protéger une ressource, c’est bien souvent en lui donnant un « prix ». Si plusieurs études ont été faites sur le sujet des forêts urbaines, je souhaite attirer votre attention sur une en particulier qui touche l’État du Tennessee. Dans un Rapport publié en 2009, une étude dirigée par M. Nowack a établi que les services rendus par les 284 millions d’arbres urbains du Tennessee se traduisaient en une valeur annuelle minimale de 288 millions $, dont 66 millions $ provenaient de la diminution des coûts d’énergie (moins de climatisation l’été), 204 millions $ du retrait de polluants (ozone…) et 18 millions $ de la séquestration de CO2. Dans ce dernier cas, notons que la valeur du CO2 déjà emmagasinée a été établie à 350 millions $. Et si je parle de « valeur annuelle minimale », c’est que l’étude reconnait qu’elle n’a pas pu donner une valeur financière à tous les services rendus par les arbres et forêts (ex. : amélioration de la qualité de vie).
Pour faire ce type d’études, cela prend des outils adaptés. Très impliqué dans l’aménagement des forêts urbaines, le USDA Forest Service a développé une série d’outils informatiques regroupés sous l’appellation i-Tree. Un développement qui s’est fait en collaboration avec de nombreux organismes. Particularités intéressantes, ces outils sont gratuits et fonctionnent avec les images aériennes de Google. C’est aussi avec cette combinaison d’outils qu’a été produite l’étude citée en début de chronique (Nowak et Greenfield 2012).
Qu’en est-il de la situation au Québec? Je me suis attardé brièvement aux villes de Québec et de Montréal. Constat préliminaire : dans ce domaine, Montréal est sur un élan positif depuis l’adoption récente du Plan métropolitain d’aménagement et de développement et sa « trame verte et bleue » qui vise à connecter des milieux boisés ou humides à l’échelle du Grand Montréal. Cette trame vise aussi la protection de 17% des milieux forestiers et humides de ce territoire, et ce, en phase avec le Protocole de Nagoya.
À Québec, la superficie protégée, selon les critères de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), s’élèverait au mieux à 2,7 % (derniers chiffres disponibles — Plan directeur de 2006). Les efforts des dernières années du Service de l’environnement de la Ville ont été de faire l’inventaire précis des arbres. Le dernier chiffre fait état de plus de 100 000 arbres pour le seul territoire municipalisé (cela exclut les terrains privés et les Plaines d’Abraham — juridiction fédérale).
Avec une population québécoise majoritairement concentrée en milieu urbain et les efforts actuels de « densification » urbaine, les arbres et forêts de nos villes sont régulièrement vus comme des empêcheurs de « développer en rond ». Il arrive alors trop souvent qu’une décision d’aménagement du territoire se fasse sur la base de la dichotomie : « des arbres » ou « un condo qui rapporte des taxes ». Et si on pouvait espérer une vision plus large de la réalité par bien des maires, il faut mettre en perspective qu’à l’échelle d’une municipalité le champ fiscal se résume bien souvent à la seule taxe foncière… D’où, je pense, un rôle essentiel des gouvernements supérieurs pour : 1— mettre en place un organisme « national » (ex: USDA Forest Service) qui aurait les moyens financiers et humains de faire la promotion des enjeux de la forêt urbaine, 2— développer une fiscalité qui prenne mieux en compte la dimension « services environnementaux » de ces forêts. Un investissement qui, j’en suis sûr, serait très rentable pour nos collectivités.
L’article
Nowak, D. J., et E. J. Greenfield. 2012. Tree and impervious cover change in U.S. cities. Urban Forestry & Urban Greening 11(1) : 21-30. doi:10.1016/j.ufug.2011.11.005
Autres références
La section forêts urbaines au USDA Forest Service
Autre Rapport (2010) dirigée par M. Nowak intitulé Sustaining America’s Urban Tress and Forests – analyses très intéressantes à l’échelle des États et comtés, présentation des services envrionnementaux des forêts urbaines…
Concernant les îlots de chaleur :
Article de La Presse de l’an dernier
Rapport de 2011 remis à la Ville de Montréal par la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’UQAM
Concernant le Plan Métropolitain d’Aménagement et de Développement du Grand Montréal
Blogue François Cardinal – La Presse
Concernant la Ville de Québec
Rechercher : « Plan directeur des milieux naturels » ainsi que « Plan directeur des forêts urbaines » sur le site de la Ville de Québec. Étonnamment, les liens fonctionnent quand je passe par le site de la Ville, mais pas quand je les copie dans le blogue… mystère!
Mes remerciements à Madame Marie-Josée Coupal pour les précisions!
Très joli blogue ! Très intéressant. Félicitations pour ce beau travail ! Étant moi-même auteur d’un blogue scientifique, je sais ce que cela représente. Bonne continuation.
Merci : )
Merci pour ton article.
D’ici quelques temps, nous te reviendrons avec un travail que nous effectuons sur les îlots de fraicheur au Québec. C’est devenu une préoccupation de l’Institut National de Santé Publique.