Les Forêts nationales américaines : une espèce en voie de disparition ?
Les Forêts nationales américaines seront-elles privatisées ? Quoique le scénario d’une privatisation massive soit certainement excessif, à la suite des dernières élections américaines leurs superficies pourraient cependant substantiellement diminuer au profit d’intérêts privés.
De fait, en ayant mis la main à la fois sur le Congrès et la présidence, les républicains sont très bien placés, et ont commencé à agir en ce sens, pour réaliser la promesse électorale suivante :
Congress shall immediately pass universal legislation providing for a timely and orderly mechanism requiring the federal government to convey certain federally controlled public lands to states.
De là, les États pourraient faire ce qu’ils souhaitent, comme par exemple les vendre aux plus offrants.
Je parle de forêts, car c’est l’intérêt premier de ce blogue, mais la promesse électorale couvre un éventail beaucoup plus large, soit les 250 millions d’hectares dont l’aménagement est réparti dans les quatre Agences suivantes, soit : le Bureau of Land Management, le Forest Service, le Fish and Wildlife Service et le National Park Service (oui, des parcs pourraient potentiellement disparaître). Un des premiers territoires qui serait visé pour l’exploitation minière est de fait à proximité du Grand Canyon.
Pour aujourd’hui donc, une chronique avec un accent un peu « rétro » (cela fait longtemps que je n’ai pas écrit sur les États-Unis) et qui se veut une introduction à un enjeu sur lequel je m’attends à revenir dans les prochains mois.
À la source du problème
Je soupçonne que plusieurs peuvent juger négativement cette volonté politique de céder des territoires fédéraux aux États. Au-delà des considérations idéologiques en arrière de cette volonté, il y a toutefois une réalité géographique qu’il faut mettre en perspective.
« Une image valant mille mots », la Figure ci-dessous permet de bien visualiser la source du problème : dans l’Ouest américain, d’où provient le mouvement de cessions des terrains, les territoires sont en moyenne à un peu plus de 50 % sous compétence fédérale ! Le record étant l’État du Nevada où près de 85 % de la superficie de l’État est en fait sous l’autorité politique de Washington (D.C.).
Pour l’analogie, imaginez qu’au Québec 50 % des forêts soient sous juridiction fédérale et que la capitale soit… Vancouver. Car c’est là aussi un élément de l’équation : le pouvoir est très loin et cela ressort très souvent dans les argumentaires. On peut alors facilement imaginer que dans les circonstances il y aurait au Québec de « raisonnables » critiques de la situation qui auraient certainement trouvé des oreilles politiciennes attentives !

Proportion des terrains sous compétence fédérale américaine par État (Source: « Just how much land does the federal government own — and why? »)
Astuce budgétaire et première tentative (avortée) de vente
Une obligation budgétaire fédérale veut que le gouvernement ne puisse vendre ou céder des terrains si cela a une implication budgétaire négative (ex. : augmenter la dette). Vous pouvez imaginer que cette obligation posait un sérieux frein au projet des républicains. C’est pourquoi ils ont fait adopter la phrase suivante dans les règles qui entourent le fonctionnement du 115e Congrès (voir p. 35) :
In the One Hundred Fifteenth Congress (…) a provision in a bill or joint resolution (…) requiring or authorizing a conveyance of Federal land to a State, local government, or tribal entity shall not be considered as providing new budget authority, decreasing revenues, increasing mandatory spending, or increasing outlays.
En pratique, cela revient à considérer, en une seule petite phrase, que les 250 millions d’hectares en jeu ne valent rien et que leur éventuelle cession n’aura donc aucun impact sur le budget (article). On dit « bravo » pour l’astuce.
À la suite de l’adoption des règles de fonctionnement du Congrès, un représentant de l’Utah s’est dépêché de déposer un projet de loi pour que le Secrétaire de l’Intérieur, responsable politique du Bureau of Land Management (BLM), vende pour plus d’un million d’hectares actuellement en partie protégés par le statut de « Monument national » (note : le BLM est l’Agence qui aménage le plus de superficies, voir Figure ci-dessous). La justification pour la vente étant que ces terrains « n’apportaient rien au contribuable ». Le changement de vocation semblait s’orienter vers du forage.
Était-ce un ballon d’essai pour « tâter » l’eau ? Quoi qu’il en soit la réaction fut très émotive de la part de nombreux groupes d’intérêt, dont les chasseurs et pêcheurs, au point où le représentant a rapidement retiré son projet (il est aussi chasseur…). En guise de bonne foi, il a même fait son annonce sur Instagram en utilisant le mot-clic utilisé par les opposants à la vente, soit : #keepitpublic.
Ce premier projet de vente est donc mort, mais dans les faits personne n’est rassuré sur la suite des choses… qui dépendra beaucoup du président.

Répartition géographique des territoires sous aménagement par les différentes Agences fédérales américaines (Source: Wikimédia)
Un sauvetage présidentiel ?
Ici, vous vous dites peut-être : « C’est évident que le président est d’accord, c’est Donald Trump ! » Eh bien non. Pour l’instant à tout le moins, il est contre (surprise !).
Interrogé sur la question, il a répondu :
I don’t like the idea because I want to keep the lands great, and you don’t know what the state is going to do. I mean, are they going to sell if they get into a little bit of trouble?
De fait, une variable importante ici est le coût d’aménagement des terrains fédéraux pour les États. Pour plusieurs, les coûts seraient tout simplement trop importants. Dans le cas des forêts, les seuls coûts de la protection contre les feux, qui ont explosé ces dernières années, rendent la prise en charge presque impossible. La résultante logique pour les États serait alors de revendre ces terrains ou minimalement de les céder sous la forme d’un bail à long terme à certains intérêts privés. Dans tous les cas, il y aurait nécessairement une limitation de l’accès pour les citoyens.
Lorsque l’on ajoute à la déclaration de M. Trump le fait que son Secrétaire de l’Intérieur (M. Zinke) s’est aussi déclaré contre l’idée de cessions de terrains aux États, on pourrait se dire qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Mais voilà…
Tout d’abord, en tant que représentant du Montana, M. Zinke a voté pour les règles de fonctionnement du Congrès facilitant la cession de terrains fédéraux. Aussi, en campagne électorale M. Trump s’en est pris au Bureau of Land Management qui ne semblait pas très coopératif pour faciliter l’agrandissement de Las Vegas (rappel : près de 85 % de cet État est sous compétence fédérale). Finalement, plusieurs s’inquiètent du marchandage politique à prévoir pour pouvoir construire le fameux mur avec le Mexique. Ce dernier va entre autres nécessiter quelques « facilitations » environnementales que seul le Congrès pourra fournir. La cession de terrains pourrait alors servir de monnaie d’échange.
Les deux jokers dans cette joute politique sont les deux fils adultes de M. Trump. Les deux sont « d’enthousiastes » chasseurs et un des deux a justement fait campagne pour son père auprès de ce groupe d’utilisateurs qui a eu une grande influence pour faire avorter le premier projet de vente. M. Trump étant très proche de ses enfants, les deux fils pourraient donc avoir un rôle-clé à jouer sur la cession (ou non) de grandes portions de territoires fédéraux, dont les Forêts nationales.
Conclusion
Je n’ai seulement abordé dans cette chronique que le projet de cessions de terrains fédéraux. Le président n’est peut-être pas très chaud à cette idée, mais il est cependant très motivé avec celle de déréglementer au maximum les « embûches » environnementales dans l’aménagement de ces terrains, le cas de la chouette tachetée venant naturellement en tête.
Ces derniers mois j’avais délaissé les États-Unis pour 1 — me concentrer sur le Québec et 2 — parce que les enjeux forestiers au sud de la frontière avaient peu bougé. Ce dernier point étant désormais caduc, attendez-vous à voir l’administration Trump faire quelques incursions dans mes chroniques 🙂
Pour en savoir un peu plus sur les territoires de compétence fédérale et les Agences qui les aménagent :
Federal Land Ownership : Overview and Data (Congressional Research Service, 2014)