L’Erreur boréale… 10 ans plus tôt!
Comme annoncé dans ma précédente chronique, j’ai réorienté une partie de mes efforts de recherche vers l’histoire forestière du Québec. Pour aujourd’hui, je vais vous faire (re)découvrir un document qui m’a étonné par ses similitudes avec L’Erreur boréale… mais diffusé 10 ans plus tôt! Il s’agit d’un sondage à l’échelle pancanadienne effectué pour le compte de Forêts Canada (l’appellation a depuis changé) en 1989.
L’objectif de ce sondage téléphonique était de contribuer à « élaborer des plans stratégiques et des plans de communication pour appuyer les politiques et programmes fédéraux en matière de foresterie ». Malgré cette perspective pancanadienne, l’échantillonnage de 2 529 citoyens a été distribué pour « permettre une analyse significative et fiable statistiquement des résultats dans chacune des dix provinces ». Pour le Canada, la marge d’erreur était de 1,9% (95% du temps) et variait, pour les provinces, de 4,2% (Ontario) à 7,5% (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse). Pour le Québec, elle s’établissait à 4,7%.
Si l’on inclut les questions sur les caractéristiques personnelles des répondants, le sondage s’étirait sur 59 questions. Naturellement, l’objectif de cette chronique n’est pas de toutes les passer en revue, d’autant plus que certains enjeux sont hors propos par rapport tant à ce blogue qu’aux enjeux forestiers d’aujourd’hui. Je vais surtout m’attarder aux portions du sondage qui expriment en mots ce que L’Erreur boréale devait illustrer en images 10 ans plus tard. Aussi, je vais présenter quelques-unes des questions qui dénotaient une « société distincte » québécoise sur les enjeux forestiers. Une distinction qui m’amène à penser que L’Erreur boréale n’aurait probablement pas eu autant de succès dans une autre province.
L’industrie forestière: socialement inacceptable
Un clou sur lequel L’Erreur boréale a frappé concernait les impacts négatifs de l’utilisation de la forêt par l’industrie forestière. Les résultats aux trois questions suivantes démontrent que c’était là un sujet « gagnant »!
La première question que je vous présente (nº34 du sondage) était ainsi intitulée: « Les terres forestières sont utilisées à des fins différentes. À votre avis, quelle devrait être la plus importante fonction des forêts canadiennes? Diriez-vous que cela devrait être… » (note: les résultats sont présentés seulement à l’échelle canadienne, mais ceux à l’échelle du Québec n’étaient pas loin d’un « copier-coller »)
Les résultats montrent bien qu’en 1989 les utilisations à caractère non industriel de la forêt étaient alors largement favorisées.
La question nº36 reprenait la même idée avec une formulation différente, mais un même résultat, soit: « Lorsque l’on considère à quelles fins utiliser une certaine région forestière, auquel des facteurs suivants, selon vous, devrait-on donner priorité? »
Finalement, la question nº37 permettait de conclure que, de ne pas intervenir dans une forêt était une valeur plus importante que les emplois qu’elle pouvait créer par le biais de la récolte. Point intéressant supplémentaire ici, on voit l’apparition de l’enjeu des vieilles forêts.
Question nº37: « Certaines personnes pensent que certaines parties de forêts qui sont très vieilles ou uniques devraient être conservées et épargnées de la coupe ou autre développement. Toutefois, la création de telles forêts réduirait la quantité de bois disponible pour les produits forestiers, ce qui pourrait entraîner une perte d’emplois dans l’industrie forestière.
À votre avis, est-il plus important d’épargner certaines régions forestières de la coupe, ou diriez-vous qu’il est plus important de permettre la coupe de bois dans ces régions afin de protéger les emplois dans l’industrie forestière? »
En clair, en 1989, il y avait un consensus canadien voulant que l’utilisation industrielle de la forêt était socialement inacceptable. À cet égard, pour utiliser une expression sportive, L’Erreur boréale a marqué dans un filet désert en critiquant ce type d’utilisation des forêts.
Le Québec, société distincte
Toutefois, le sondage a aussi fait ressortir que sur plusieurs points la société québécoise s’avérait, « forestièrement » parlant, distincte du reste du Canada, ce qui a assurément contribué au succès de L’Erreur boréale.
La question nº6 s’attardait à la perception de l’industrie forestière par les citoyens et était ainsi libellée: « Pensez-vous que l’industrie forestière canadienne est moderne et innovatrice ou pensez-vous qu’elle est conservatrice? »
Comme on peut le noter, si la moyenne canadienne laisse à penser qu’il y avait en 1989 une vision positive de l’industrie, le Québec faisait cependant baisser cette moyenne alors que la perception y était beaucoup plus partagée.
Les Québécois étaient aussi un peu plus sévères que les autres Canadiens concernant les impacts de l’industrie sur l’environnement forestier alors que 46% d’entre eux considéraient qu’elle lui causait de « sérieux dommages » (39% pour l’ensemble du Canada — question nº9).
Les résultats à la question nº12 sont parmi ceux qui m’ont le plus fait sursauter. La question: « Croyez-vous que l’industrie forestière travaille très fort, assez fort, pas très fort ou pas du tout pour assurer la protection de l’environnement forestier? »
La distinction est saisissante. Non seulement les Québécois, comme les citoyens du reste du Canada, désapprouvaient en 1989 l’utilisation commerciale de la forêt, mais ils avaient une moins bonne image de l’industrie, étaient plus sévères sur les impacts négatifs de cette dernière sur la forêt et ne croyaient tout simplement pas que l’industrie s’en souciait.
Vous ne serez donc pas surpris de savoir qu’en 1989 les Québécois étaient, à 60%, ceux qui considéraient le plus que l’on coupait trop d’arbres (Canada: 51% — question nº24). Aussi, à 42%, les Québécois étaient les plus « fortement d’accord » avec l’énoncé suivant (question nº38-f): « Les compagnies de l’industrie forestière ne se préoccupent pas réellement d’assurer la disponibilité d’arbres à long terme pour le Canada. » Pour mettre ce 42% en perspective, dans les autres provinces la « forte » approbation à cet énoncé variait entre 15% et 21%.
Finalement, en 1989 la coupe à blanc ne plaisait déjà à personne, mais c’est au Québec que l’on rencontrait le plus d’opposition alors que 56% étaient « fortement en désaccord » avec cette méthode de coupe (Canada: 46% — question nº28).
Les vedettes: les groupes environnementaux
Le corollaire de cette vision très négative de l’industrie forestière au Québec et particulièrement de son utilisation de la forêt, est la perception très positive du rôle des écologistes et, plus largement, des groupes environnementaux.
La question nº38-g souhaitait savoir si « Les écologistes vont-ils trop loin pour empêcher les coupes? »
Ces résultats montrent que si de façon générale les écologistes bénéficiaient de l’approbation des citoyens canadiens pour arrêter les coupes forestières, leurs actions étaient particulièrement appréciées au Québec.
Une question vers la fin du sondage (nº48) devait nettement confirmer cette perception positive. Le libellé était le suivant: « Quelle crédibilité accordez-vous à chacune des sources suivantes pour ce qui est de fournir des renseignements sur les questions d’actualité concernant les forêts? Considérez-vous cette source comme très, plutôt, pas très ou pas du tout crédible? » Les sources potentielles étaient au nombre de 11. Par souci de clarté, je vais m’en tenir aux pourcentages totaux de crédibilité (« très » + « plutôt ») des trois sources les plus et les moins crédibles au Canada versus spécifiquement au Québec.
On peut tout d’abord noter un consensus canadien: en 1989, d’un océan à l’autre, les citoyens voyaient les groupes environnementaux comme La référence en tant que source d’information sur les questions forestières et il était inutile d’essayer d’envoyer un politicien ou un représentant de l’industrie ou du gouvernement pour défendre un dossier dans ce domaine.
On pouvait ici aussi noter une spécificité québécoise. À l’échelle canadienne, l’écart de crédibilité entre les groupes environnementaux et les deuxièmes intervenants était de 5%, mais il était de 12% au Québec. C’est-à-dire que si l’on pouvait imaginer un potentiel débat forestier équilibré à l’extérieur du Québec, dans cette province la voix des groupes environnementaux dominait nettement.
« À quelle position étaient les professionnels forestiers au Québec? » pouvez-vous vous demander. Pas très loin, à la 4e place avec 70%. Quand même près de 10% de moins que la moyenne canadienne. Une autre spécificité québécoise.
Conclusion
Ce sondage permet de mieux comprendre au moins deux choses.
Tout d’abord, il était à peu près assuré qu’un documentaire sur la forêt au Québec mettant en vedette une personnalité environnementale qui dénonçait l’industrie forestière et le gouvernement à l’aide d’images de coupes à blanc pouvait difficilement ne pas avoir de succès. Ce fut L’Erreur boréale.
Le deuxième point fait suite à ma précédente chronique sur le « recentrage » (plus que sa « mort », c’était une formule) de mon blogue où je comprenais mal comment la population québécoise pouvait accepter une privatisation de facto de ses forêts publiques par un organisme international (le FSC — Forest Stewardship Council). Depuis L’Erreur boréale je soupçonne que l’approbation des groupes environnementaux sur les questions forestières au Québec a augmenté (dans la mesure où il est possible de progresser avec une base à 85%) tout comme l’écart avec les autres intervenants du monde forestier. On peut alors comprendre que la population puisse se sentir plus en confiance de voir ses forêts entre les mains d’un organisme privé approuvé par les environnementalistes face au « couple » industrie-gouvernement dont la crédibilité est, on peut facilement imaginer, au 3e sous-sol (à supposer que le 3e soit le plus bas…). Une version 2015 de ce sondage serait la bienvenue!
Quant à discuter du « pourquoi » de la spécificité québécoise, j’ai quelques idées qui se retrouveront peut-être dans une autre chronique ou dans mon livre (il faut quand même bien que je lui réserve quelques « exclusivités » ).
Note administrative: si vous souhaitez mettre la main sur le « Sondage national de l’opinion publique sur les questions de foresterie — 1989 », la seule version papier au Québec semble être à l’Université du Québec à Chicoutimi. Aucune version électronique n’apparaît disponible. Personnellement, je l’ai obtenu via le « Prêt entre bibliothèques » de l’Université Laval.
J’ai lu avec intérêt, en suivant le lien suivant : http://www.fao.org/docrep/005/y9882f/y9882f02.htm vous lirez un résultats d’un sondage fait en 2001 en Finlande qui démontre que les Finlandais ont foi en leurs experts forestiers, probablement le résultat de plusieurs décennies d’efforts en éducation.
Très intéressant en effet! L’éducation a certainement un rôle majeur à jouer. Mais il y a aussi, je pense, les faits qu’une forte proportion (60%) de la forêt est privée et qu’environ 1 famille sur 5 possède une forêt. Vivre proche de la forêt est la meilleure éducation pour valoriser son aménagement : )