Chouette tachetée : un Plan pour rien?
Plus tôt cette année, je vous avais présenté la problématique de la sauvegarde de la chouette tachetée (Strix occidentalis caurina). Malgré son statut d’espèce menacée depuis 1990 et une diminution drastique de la récolte dans les forêts nationales, sa situation ne s’était pas améliorée. Globalement, on parlait même d’une diminution annuelle de près de 4 % de la population.
Quatre principales causes de ce déclin ont été recensées. Tout d’abord, la perte historique de son habitat (60 % — 88 % entre 1800 et 1990), la présence (même si réduite) de récolte, les feux et, peut-être la variable la plus critique, la compétition avec une autre chouette : la chouette rayée (barred owl, Strix varia). Un Plan final pour la sauvegarde de la chouette tachetée a été déposé le 30 juin dernier. Un Plan dont plusieurs doutent de l’efficacité, mais surtout, après 20 ans de quasi moratoire dans la récolte forestière dans les forêts nationales, pose plusieurs questions sur les efforts qui devraient être consentis pour sauver cette chouette.
Le Plan propose une stratégie en cinq points étalée sur 30 ans au coût de 127 millions $. Son grand objectif est de faire en sorte que la chouette tachetée puisse être retirée de son statut d’espèce menacée. À souligner que dans les quatre critères établis pour juger de l’atteinte de l’objectif du Plan, il est nécessaire de retrouver des populations viables dans douze provinces écologiques; une perspective d’ensemble ne sera pas suffisante. Parmi les cinq points de la stratégie, on retrouve les expériences d’abattages ciblés de chouette rayée et aussi l’intention d’étendre les efforts pour améliorer l’habitat de la chouette tachetée en dehors des forêts nationales. Une décision qui s’explique par le fait qu’entre 1994 et 2007, le taux de perte d’habitat de nidification et de repos (roosting) dans les zones protégées a été de 0,3 %, comparativement à 15 % dans les forêts n’étant pas sous juridiction fédérale. Mais le Plan se veut aussi proactif en aménagement forestier en proposant une stratégie d’aménagement adaptatif ainsi que de restauration des écosystèmes forestiers pour les rendre plus résilients aux stress externes (feux, maladies…) qui pourraient être causés par les changements climatiques. Une foresterie qui se veut écologique.
Réactions au Plan
Les représentants de l’industrie forestière ont accueilli plutôt froidement ce Plan. Le principal point litigieux est l’intention gouvernementale de « stimuler » le maintien et l’amélioration de l’habitat de la chouette en dehors des forêts nationales. Après 20 ans de restrictions pour des résultats non encourageants quant au statut de la chouette tachetée, c’est une pilule qui passe mal. Aussi, malgré le fait que le Plan prévoit des interventions forestières sous la forme d’éclaircies, cela est perçu comme une bien maigre pitance.
Le Plan n’est pas rejeté en bloc par les groupes environnementalistes. La Seattle Audubon Society, qui a combattu avec succès une précédente version du Plan sous l’administration Bush, y voit des éléments positifs. Le gros problème est le fait que le Plan prévoit des interventions forestières, même si c’est dans une optique d’améliorer l’habitat. Et ce ne sont pas seulement les coupes qui inquiètent, mais aussi les routes qu’il faudra construire et qui, en plus d’augmenter la fragmentation, pourraient accroître les risques de feux dans des zones recherchées par les chouettes tachetées. Finalement, le fait que le Plan ne propose pas de nouvelles zones de protection d’ici un an est une source de frustration pour les écologistes considérant l’urgence de la situation.
Deux critiques méritent d’être soulignées. La première est celle de M. James H. Huffman, un Doyen émérite de la Faculté de droit Lewis & Clark située à Portland (Oregon). Intitulée « Environmentalist wisdom : shoot one owl to save the other », elle s’en prend principalement à la logique de tuer une chouette pour en sauver une autre… et cela probablement pour rien. Très critique et bien écrite, elle a a été reprise par de nombreux blogueurs conservateurs ou pro-industrie.
La seconde est celle de l’éditeur du Forestry Source, M. Steve Wilent. Dans son éditorial d’octobre 2011 intitulé « Recovering endangered species : at any cost? », il fait état de son scepticisme quant aux chances de réussite du Plan. Il est d’ailleurs convaincu qu’en privé les responsables du U.S. Fish and Wildlife Service ne croient pas plus que lui aux chances de réussite du Plan. M. Wilent est convaincu que la chouette rayée, quels que soient les efforts qui pourraient être mis pour la contrôler, est bien enracinée. Il fait une analogie avec le coyote, une espèce presque absente de l’Oregon et de l’État de Washington il y a deux cents ans. Grâce à l’agriculture et la foresterie, la population de coyotes s’est grandement accrue malgré des efforts pour la diminuer. Et s’il ne pense pas que la chouette tachetée va disparaître, il est convaincu qu’à terme elle n’occupera plus qu’une petite partie de son ancienne aire de répartition. Il conclut en mentionnant que, si on peut influencer la Nature, il est futile d’essayer de la contrôler. Il se pose alors la question sur la justesse d’investir d’énormes sommes d’argent dans ce but, d’autant plus quant cela implique des questions morales comme tuer une autre espèce animale.
Quid des vieilles forêts?
Au travers les critiques et le scepticisme ambiant qui semblent régner sur le succès potentiel du Plan, un problème plus large que la seule sauvegarde de la chouette tachetée commence à faire surface : la sauvegarde même des vieilles forêts. Au cours des 20 dernières années, la justification pour protéger ces forêts était la chouette tachetée. S’il n’y a plus de chouette, qu’est-ce qu’on fait? Les industriels forestiers ont leur réponse. Les responsables gouvernementaux et environnementaux ont aussi la leur. Mais le problème n’est pas scientifique, il est politique. À partir du moment où la fermeture d’entreprises forestières a été associée à la préservation d’une espèce animale, si cette espèce n’existe plus, pourquoi continuer à se priver? La situation n’en est pas encore là. La chouette tachetée est toujours présente. On peut cependant percevoir que l’industrie et plusieurs politiciens n’attendent que l’annonce qui semble inévitable pour plusieurs : « Il n’y a plus de chouette tachetée ici! »
>Principales Sources :
Portail gouvernment spécifique à la sauvegarde de la chouette (Plan disponible à ce lien)
Article du New York Times
Article The Seattle Times (2008, mais avec plusieurs informations toujours pertinentes et un historique du dossier)
Lettre M. Huffman (note : en faisant une recherche avec le titre, vous pourrez peut-être tomber sur une version gratuite offerte par le WSJ)
Forestry Source – octobre 2011
>Chronique « De la difficulté de sauver des espèces menacées: la chouette tachetée – prise 2 »
Photos :
Chouette tachetée (diiffusée sous licence Creative Commons Attribution 2.0 Generic)
(À venir – bogue serveur) Provinces écologiques (Physiographic provinces; diffusion sans restriction apparente)
Steins Pillar – Forêt nationale Ochoco (diffusée sous domaine public)
Vieille forêt (diffusée sous domaine public)