Chantier sur la forêt privée: qui veut la peau des agences?
Le 16 octobre dernier le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP) rendait publics trois rapports concernant l’aménagement des forêts québécoises. Trois rapports qui pourraient avoir une influence importante sur leur aménagement, mais qui n’ont absolument pas été mis en valeur malgré leur intérêt (chronique). Pour compenser cette sous-visibilité, je vais dédier une chronique à chacun des rapports; pour aujourd’hui, celui du Chantier sur l’efficacité des mesures en forêt privée.
Le rapport du Chantier sur l’efficacité des mesures en forêt privée est ce que j’appellerais un « drôle » de rapport. Naturellement, pas dans le sens « humoristique » du terme, mais plutôt dans son sens « bizarre »… ce qui n’est pas synonyme d’un mauvais rapport! M. Michel Belley, ancien recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi et président de ce Chantier, a de fait produit un rapport intéressant à plusieurs égards.
Toutefois, premier élément « bizarre », le titre du Chantier est plutôt trompeur. Deuxième élément « bizarre », il apparaît assez clairement, au vu des données fournies, qu’un Chantier en lien avec la forêt privée aurait dû traiter d’un autre enjeu que celui qui a été abordé. Finalement, un aspect méthodologique de ce rapport le disqualifie presque pour que ses recommandations soient appliquées. Donc, pour aujourd’hui, un compte-rendu d’un rapport à la fois intéressant et bizarre!
Ce rapport aurait dû s’intituler Chantier sur l’efficacité des agences régionales de mise en valeur des forêts privées. Le mandat, de fait, n’était pas sur les « mesures en forêt privée » mais visait plus spécifiquement ces petites organisations (présentées ci-dessous) qui les mettent en place. M. Belley a d’ailleurs basé son analyse sur les quatre questions suivantes:
- Les agences coûtent-elles trop cher?
- Les agences sont-elles bien centrées sur leur mandat?
- Les agences sont-elles gouvernées adéquatement?
- Les agences pourraient-elles gagner en efficacité?
Les agences régionales de mise en valeur des forêts privées sont nées suite au Sommet de la forêt privée de 1995. Pour la petite parenthèse, c’est là une des qualités de ce rapport: si vous cherchez de l’information sur l’histoire de ces agences régionales, ce rapport est très exhaustif sur le sujet! Le mandat général de ces organisations est de gérer les enveloppes budgétaires gouvernementales d’aide à la forêt privée et de servir de lieu de concertation pour les principaux « joueurs » du monde de la forêt privée, soit: les producteurs forestiers (via leurs regroupements), l’industrie forestière, le monde municipal et le MFFP. Elles sont aussi responsables de la production, le suivi et la mise à jour du PPMV (Plan de protection et de mise en valeur), soit un plan stratégique adapté à chaque région couverte par les agences.
Les agences sont clairement des rouages importants du monde de la forêt privée… mais ce sont de petits rouages! En date de mai 2014, les 17 agences qui couvrent les forêts privées du Québec comptaient un total de 54 employés « équivalents temps complet ». Ce nombre est quelque peu supérieur à ce qui avait été prévu lors de leur création, alors qu’il était envisagé que chaque agence ne compterait que trois employés, soit un coordonnateur, une secrétaire et un technicien forestier. Seuls les deux premiers employés étant en théorie à temps plein.
Une des autres qualités de ce rapport est de nous fournir un grand nombre de statistiques sur les « performances » (surtout financières) des agences. Cela donne un bon bilan de la situation. Ces statistiques nous permettent toutefois aussi de constater un fait: le monde de la forêt privée québécoise n’est pas un monde de riches! Malgré cela, un Chantier semblait nécessaire pour scruter la performance de ces 17 petites organisations alors qu’une analyse par les fonctionnaires du MFFP aurait certainement pu très bien faire le travail. Par contre, il y a un Tableau, sur les ratios entre les volumes récoltés et la possibilité forestière par agence (p. 41), dont les résultats auraient justifié un Chantier en eux-mêmes.
Ce Tableau nous apprend qu’en 2012 il s’était récolté 3,4 millions de m3 dans les forêts privées du Québec. Or, la possibilité forestière en date de 2014 (à deux exceptions près alors que seules les données de 2001 étaient disponibles pour deux agences) était égale à 15,9 millions de m3. C’est là une différence énorme… et tragique! Tragique, car la forêt privée représente globalement notre meilleur potentiel d’aménagement forestier au Québec. Située principalement au Sud, elle est très productive en plus d’être proche des usines et des marchés. La forêt privée devrait, en théorie, être notre Poule aux œufs d’or dans le monde forestier québécois. C’est cependant très loin d’être le cas. Fait anecdotique, mais fortement symbolique, un rapport sur la Limite nordique des forêts attribuables fut publié en même temps que le présent rapport. Comme si collectivement on se demandait jusqu’où aller dans le Nord quand on sous-utilise très largement nos ressources forestières dans le Sud, où il serait plus rentable d’investir. Cela aurait été un bon thème de Chantier me semble-t-il. Plus « porteur » certainement que de scruter à la loupe 54 employés.
Mais si l’on oublie l’aspect « bizarre » du mandat de ce Chantier et que l’on s’attarde exclusivement à ses résultats, que doit-on en retenir? Tout d’abord, il est bon de noter que la trentaine de groupes (plus quelques individus) qui ont participé aux consultations ont été unanimes sur la nécessité des agences. Les critiques se sont clairement plus portées sur le « comment ». Le « hic » toutefois est que les consultations se sont faites sous le sceau de la confidentialité.
C’est un élément qui m’a frappé dès ma première lecture. Il y avait probablement de bonnes raisons d’agir ainsi, mais le problème est qu’il est difficile pour le simple citoyen que je suis « d’acheter » des recommandations concernant des organismes publics basées sur des commentaires anonymes. D’autant plus que les recommandations de M. Belley, si elles devaient être intégralement appliquées, transformeraient notablement la vie de ces petites organisations que sont les agences régionales de mise en valeur des forêts privées.
Deux grandes orientations peuvent, je pense, résumer le sens des recommandations de ce Chantier, soit: uniformisation et optimisation. La première recommandation du rapport donne d’ailleurs le ton alors qu’il est proposé d’établir une grille provinciale unique des taux ($/ha) et des traitements sylvicoles. On va aussi retrouver l’idée d’uniformiser les données exigées par les agences en matière de prescriptions sylvicoles et de rapports d’exécution, d’uniformiser (et mettre à jour) les systèmes informatiques… et de fusionner des agences afin que chacune ait un budget minimal de 2 millions de $.
Malgré le côté « opaque » des consultations qui ont nourri ce Chantier, certains points se défendent malgré tout assez bien. Par exemple, considérant que nous en sommes aujourd’hui à 2 286 codes différents pour les traitements sylvicoles à l’échelle provinciale (70 à 361 par agence), il y a certainement de la place pour simplifier les choses! Toutefois, en proposant de tout uniformiser, il y a un sérieux risque d’enlever aux agences régionales leur raison d’exister.
L’uniformisation du fonctionnement des agences apparaît clairement comme un outil pour « optimiser » leur travail (un des objectifs liés au mandat de ce Chantier). Je ne peux cependant pas m’empêcher d’en revenir aux 54 employés qui, à l’évidence, doivent se débattre pour remplir leur mission dans un contexte budgétaire serré. Il est toujours louable de s’assurer que les ressources sont utilisées au mieux, mais avec 54 employés pour coordonner les programmes de mise en valeur des forêts privées à l’échelle du Québec, il y a une limite à l’optimisation (à noter qu’aucun « scandale » n’est ressorti de ce rapport).
En conclusion, je vous encourage à consulter ce rapport qui se veut une mine de renseignements sur les agences régionales de mise en valeur des forêts privées. Toutefois, ne soyez pas surpris si, à un moment donné, comme moi, vous vous posiez la question: mais qui donc en veut autant aux agences?
Deux réactions à ce rapport:
– une très positive de la part du Conseil de l’industrie Forestière du Québec
– une très négative de la part du président de RESAM (regroupement des Groupements forestiers du Québec)
[mise à jour le 25 novembre, deux nouvelles réactions (merci à M. Pascal Audet, de l’Association des Entrepreneurs en Travaux Sylvicoles du Québec – AETSQ)]:
– celle de l’AETSQ (très positive)
– celle de la Fédération des Producteurs Forestiers du Québec (globalement positive avec quelques bémols et suggestions)
[mise à jour le 15 décembre, une nouvelle réaction (merci encore à M. Pascal Audet, de l’Association des Entrepreneurs en Travaux Sylvicoles du Québec – AETSQ)]:
– celle de l’Association des propriétaires forestiers de la Beauce très heureuse de la prise de position de M. Belley concernant la place et surtout les budgets dévolus aux Groupements forestiers.
Je vous invite à ajouter à votre liste la réaction l’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec et la réaction de la Fédération des propriétaires forestiers du Québec afin d’avoir un portrait plus large des réactions des parties impliqués dans la forêt privée au Québec.
Je n’ai malheureusement rien trouvé sur leurs sites respectifs. Si vous avez des liens à me fournir, ils seront les bienvenus!
Il est beaucoup question de la faible productivité en matière ligneuse du territoire public, qui peine à dépasser un mètre cube par hectare par année. Or, quiconque a visité des travaux en forêt privée sait qu’avec un minimum d’efforts, n’importe quel producteur qui fait un peu attention à son patrimoine peut produire de 5 à 10 m3/ha/ha. Bien sûr, la rentabilité des opérations varie grandement d’une région à l’autre en fonction de l’exécutant des travaux, le propriétaire lui-même ou un entrepreneur sylvicole.
Quant à la question de savoir qui en veut aux agences régionales, il est évident que certains partenaires dans quelques régions trouvent que les représentants des propriétaires prennent trop de place. On l’a vu à certains endroits, il a suffi de changer le titulaire de la présidence pour que les relations entre les parties changent complètement. Enfin, sur la question de la participation des propriétaires, je considère que rembourser seulement 80 % du coût des travaux, ce qui est la pratique il me semble, revient exactement à faire supporter la différence par les propriétaires.