SAF 2013 — Carnet de voyage n°1: L’industrie forestière du sud des États-Unis: une apologie à la Triade
Le sud/sud-est des États-Unis est une zone forestière très méconnue. Quand on pense à la foresterie aux États-Unis, ce sont généralement les enjeux des Forêts nationales, qui sont concentrées dans l’Ouest, qui attirent l’attention. Et quand on pense « Sud », en particulier au Québec, on pense avant tout « soleil »! C’est pourquoi, comme premier Carnet de voyage, je vais vous présenter quelques statistiques sur ce monde forestier peu connu.
Petit avis pour commencer: toutes les statistiques et diapositives que j’ai intégrées dans cette chronique sont issues d’une présentation de M. Richard Harper, analyste au USDA Forest Service, Forest Inventory and Analysis program. Je le remercie de m’avoir permis de les utiliser.
Comme la plupart le savent, depuis le début des années 1990 et le débat sur la chouette tachetée, la récolte dans les Forêts nationales américaines a énormément diminué (de l’ordre de 80%-90%). Vous pouvez alors vous demander d’où vient le bois produit par les États-Unis. Et bien, en grande partie il vient du Sud! Un état de fait qui n’est pas nouveau, mais qui s’est accru avec le temps comme on peut le voir dans la Figure ci-dessous. Deux grandes raisons expliquent cette situation, soit l’histoire de la colonisation des États-Unis et la présence d’une sylviculture très intensive.
Dans les premiers temps de la colonisation du territoire, le gouvernement des États-Unis avait pour politique de concéder les forêts au milieu privé. Cette logique de privatisation a connu un frein dans l’Ouest alors que l’implication de personnalités comme M. Gifford Pinchot a contribué à « nationaliser » le territoire. En conséquence, comme on peut le voir à la Figure ci-dessous, le portrait des propriétaires forestiers entre l’Est et l’Ouest est très contrasté. Cette diversité a une influence directe sur la mission d’aménagement des forêts et sur la portée des Lois fédérales sur l’environnement sur lesquelles sont basées les poursuites judiciaires qui font partie intégrante de la dynamique d’aménagement des Forêts nationales (cela ne veut pas dire que les Lois n’ont aucune prise sur les forêts privées, mais cette influence apparaît moindre, surtout en regard des poursuites judiciaires… c’est là un dossier que j’ai à creuser!).
L’intensification de la sylviculture dans le sud des États-Unis est synonyme d’un important effort de plantation de loblolly pines depuis les années 1950 au point où certains peuvent légitimement se demander si le Sud ne serait pas qu’une grande plantation de pins. C’est là une perception qu’il est facile d’avoir. Ce n’est toutefois pas le cas. Comme on peut le voir ci-dessous, les pinèdes de plantation représentent 19% de la superficie des forêts dans le sud des États-Unis.
Ces plantations sont toutefois très très productives. En donnant comme exemple la Caroline du Sud, ces plantations représentaient, en 2012, 47% du volume total récolté pour 24% de la superficie. La photo d’accueil de cette chronique montre en arrière-plan des loblolly pines issu d’une plantation de 1986. Ils ont été récoltés lors de la 3e éclaircie commerciale (« oui », la troisième, ce n’est pas une faute de frappe). La récolte finale est prévue pour 2020. Et cette situation n’a rien d’exceptionnel.
Certes, les conditions climatiques très clémentes sont une composante importante de ces résultats. Mais il faut tout d’abord souligner que les loblolly pines plantés sont génétiquement modifiés et la productivité de ces arbres est telle qu’elle a pour avantage économique supplémentaire de pouvoir diminuer la densité des plantations (approximativement de 1 700 arbres/ha à 1 000 arbres/ha). Aussi, il y a beaucoup de fertilisation (les sols ne sont pas les plus riches) et, comme l’a mentionné le représentant d’une compagnie (MeadWestVaco) qui est propriétaire de 3 000 km2 dans le sud des États-Unis, « ils n’hésitent pas avec les herbicides ». C’est là un autre monde par rapport à la réalité au Québec où les herbicides sont interdits en milieu forestier depuis 2001.
Autre point sylvicole intéressant, le brûlage dirigé est très utilisé, même si pour des raisons sociales (peur des feux, dérangement par la fumée…) son usage a tendance à diminuer. Sa principale fonction est de contrôler la compétition en sous-étage dans les plantations. Le montage photo ci-dessous présente une situation avant et après brûlage dirigé. À noter qu’il s’agit là de travaux chez un family owner possédant 20 000 hectares.
La grande conséquence de cet effort sylvicole depuis plusieurs décennies est un accroissement du volume de bois sur pied dans le Sud même si la superficie forestière est restée stable (figure ci-dessous). Ceci a permis un accroissement de production ligneuse, une dynamique à contrecourant de la situation qui prévaut dans l’Ouest. En fait, le sud des États-Unis s’avère un des grands producteurs mondiaux de bois (dernière Figure). Ce constat fait dire aux forestiers de cette région que le « Sud » permet de compenser pour une récolte moindre dans d’autres forêts des États-Unis (note: la demande mondiale pour les produits du bois a une tendance à la hausse. Si la récolte ne vient pas d’une forêt, elle viendra d’une autre — chronique sur le sujet).
Cette situation est en phase avec la stratégie de la Triade expérimentée au Québec qui veut que l’on compense le fait de peu (ou pas) aménager des forêts pour des raisons sociales ou environnementales par une intensification de la production dans d’autres forêts. Si je n’ai pas entendu une seule fois le mot Triade dans les discours au cours du congrès, sa logique était cependant omniprésente.