Le Québec, un pays forestier?
Qui se soucie de l’aménagement de nos forêts au Québec? Pas grand monde semble-t-il, en particulier dans les médias. C’est dans l’indifférence médiatique la plus complète que le Ministère des Ressources naturelles (MRN) a publié le 3 avril dernier un communiqué qui, sous un vocable jovialiste, consacrait en fait l’échec d’une politique adoptée en avril 2010 et entrée officiellement en vigueur… le 1er avril 2013! Cette politique forestière faisait du MRN le grand responsable de tout ce qui se passait en forêt, dont la certification forestière. L’industrie était essentiellement reléguée au rôle d’acheteur de bois. Cela fut vrai jusqu’au 3 avril… Si nous étions « un pays forestier », comme on se plait souvent à le dire, nous aurions dû entendre parler un petit peu de ce communiqué et de ses conséquences, mais non… Alors, pour la postérité, disons un mot sur ce changement fondamental, et ignoré, dans la politique forestière québécoise.
Tout d’abord, un extrait du communiqué qui donne toute la portée de la réforme qui vient de se produire :
La Loi [7, adoptée à l’unanimité le 28 mars dernier] prévoit également la mise en place d’une table des bénéficiaires [compagnies forestières] pour chaque territoire visé par une entente de récolte. (…) Cela permettra à l’industrie forestière d’optimiser ses opérations de récolte et de demeurer le requérant des certificats pour assurer le maintien de la certification forestière.
La première conséquence prévisible de cette réforme de la Loi de 2010 va être de tuer la dynamique des Tables de gestion intégrée qui avaient été implantées à cette occasion. Ces Tables avaient été mises en place avec pour mission fondamentale de contribuer à l’acceptabilité sociale de l’aménagement dans nos forêts publiques. Une des caractéristiques de ces Tables était l’égalité dans le « pouvoir » de chacun des membres, qu’il s’agisse des pourvoiries, des ZECs… ou de l’industrie. Maintenant que cette dernière est de nouveau responsable de la certification, la dynamique va être complètement changée. En fait, il faut s’attendre à un retour à la formule précédente qui voulait que les différents utilisateurs de la forêt s’entendent avec l’industrie, redevenue à nouveau le gros joueur dans la planification forestière.
Certes, le MRN reste responsable de la production des plans stratégiques (PAFI — Plans d’Aménagement Forestier Intégré), mais il ne faut pas s’y tromper, dans le monde forestier d’aujourd’hui, qui contrôle la certification contrôle la planification. De plus, l’industrie forestière ne pourra optimiser ses opérations de récolte, sans qu’il y ait de bonnes et franches discussions avec l’aménagiste « officiel »… soit le MRN.
Dans l’ancienne Loi sur les Forêts de 1986, le MRN avait surtout un rôle de gardien et d’arbitre et cela créait une distance avec l’industrie. Cette distance va complètement disparaître à l’avenir, car l’industrie et le MRN sont condamnés, pour le meilleur et pour le pire, à être pleinement et ouvertement les meilleurs amis du monde! Le MRN a donc déstructuré en 2010 le système en place dans la Loi de 1986 pour mieux y revenir en 2013, mais en perdant au passage son détachement face à l’industrie!
Au final, cette réforme de dernière minute ne fait qu’accroître la faiblesse fondamentale de cette politique forestière : qui est responsable de l’aménagement de nos forêts publiques? Et je ne parle pas de l’aspect politique où la réponse est facile (ministre), mais de l’aspect « forestier ». Si j’ai des questions précises pour une forêt donnée, si je suis insatisfait de l’aménagement dans un territoire particulier, est-ce qu’il y a un numéro de téléphone, un courriel, pour rejoindre Le responsable? … ne cherchez pas, c’est là un concept complètement étranger de notre nouvelle politique forestière. Et, comme en apparence le MRN s’affiche comme le responsable, même si en pratique c’est l’industrie qui a repris les rênes, les choses ne vont pas s’améliorer de ce côté! La situation était beaucoup plus simple avant alors que l’industrie était La responsable. Maintenant, on tombe dans une énorme zone grise et il est difficile dans ces conditions d’imaginer que nos forêts vont être bien aménagées sur le long terme.
Nos forêts publiques sont pour l’essentiel certifiées FSC (Forest Stewardship Council) me direz-vous. Je deviens toutefois de plus en plus dubitatif sur cet aspect de notre aménagement. Petit exemple illustrant mes doutes… La semaine dernière, un porte-parole québécois de Greenpeace dénonçait que le plus gros « destructeur » (Produits Forestiers Résolu — son analyse) des forêts québécoises était commanditaire du nettoyage annuel de la forêt du Mont-Royal. Or, il s’avère que cette compagnie forestière est depuis l’an dernier la plus importante responsable de l’aménagement de forêts certifiées FSC. Greenpeace, qui il n’y a pas si longtemps était un des très grands partisans de cette norme de certification, ne relève jamais ce fait alors que cela devrait représenter une énorme victoire. Donc, si même cette organisation environnementale semble se désintéresser du FSC, il y a de bonnes raisons d’être « dubitatif ».
En bref, après trois ans de travail (plus les années avant la Loi), beaucoup de beaux discours, d’argent public dépensé, on aboutit à une réforme avortée. Une de plus dans les 40 dernières années quand on met en perspective que la révocation des concessions décidée au début des années 1970 fut un échec et a mené à la Loi de 1986… Et il est malheureusement difficile d’imaginer que les choses vont s’améliorer quand les responsables Forêt du MRN peuvent gaffer comme ils viennent de le faire sans que personne, surtout dans les médias, ne lève un sourcil. En fait, tant que la béate unanimité qui règne à l’Assemblée nationale lorsqu’il s’agit d’aménagement forestier va se perpétuer, il faut s’attendre à ce que l’on passe d’une réforme jovialiste à une autre. Jusqu’à ce qu’un-e député-e prenne conscience qu’un bon aménagement « durable » de nos forêts ne pourra passer que par une solution : sortir la forêt du MRN et plus généralement d’une logique ministérielle, fonctionnaire, et confier la responsabilité gouvernementale à une Agence (publique) dédiée à l’aménagement forestier.
Je ne reprendrai pas ici des idées que j’ai déjà développées, mais il m’apparaît aujourd’hui comme un préalable que le MRN, qui a été incapable dans les quatre dernières décennies de développer une vision « durable » de l’aménagement de nos forêts, soit détaché de cette activité pour que l’on soit en mesure de développer une culture d’aménagistes. Peut-être qu’alors, avec le temps, le Québec deviendra réellement un pays forestier et le type de réforme dont nous venons d’être des témoins silencieux ne passera plus comme lettre à la poste.