Du processus de sélection des futures Planning rules
Les Forêts nationales américaines représentent 25 % de la superficie des forêts aux États-Unis et sont à 87 % situées dans l’ouest du pays (Alaska compris — Figure 1). Malgré cette apparente situation minoritaire et une répartition géographique ciblée, elles sont le théâtre de passions, car elles sont liées à de grands enjeux environnementaux et socio-économiques. Un nouveau chapitre de l’aménagement de ces forêts est sur le point de s’ouvrir avec la publication d’ici la fin février de la version définitive des Planning rules, soit le document stratégique pour produire et mettre à jour les plans d’aménagement de ces forêts. Mais avant sa publication, un document préalable très important a été publié le 26 janvier dernier, soit le Final Programmatic Environmental Impact Statement (PEIC). Un document technique de 373 pages qui justifie les grandes orientations des futures Planning rules qui vont paraître d’ici 30 jours (délai légal après un PEIC).
Aux États-Unis, la production d’un Environmental Impact Statement est potentiellement requis pour tout projet pouvant avoir un impact significatif sur l’environnement. En pratique, cette étape consiste à faire une analyse comparative de différentes stratégies d’intervention. Une analyse qui tient non seulement compte du succès appréhendé de chaque alternative en fonction des différents enjeux en présence, mais aussi de son coût.
Le PEIC dont il est question ici a été produit avec en toile de fond les près de 300 000 commentaires reçus pendant la période de 90 jours qui a suivi la publication d’une proposition de Planning rules le 14 février 2011 (chronique Forêts nationales américaines: le grand virage). Ces commentaires ont servi tant à l’ébauche des alternatives qu’à la sélection des huit enjeux sur la base desquels les alternatives ont été analysées. Les enjeux retenus :
1-Rétablissement (restoration) des écosystèmes,
2-Protection des bassins versants,
3-Diversité des communautés de plantes et des animaux,
4-Changements climatiques,
5-Usages multiples (Multiple uses),
6-Efficacité et productivité dans la production des plans (Efficiency and effectiveness),
7-Transparence et collaboration,
8-Coordination et collaboration au-delà des frontières des Forêts nationales.
Une des alternatives analysées a été celle du « No action ». Dans ce cas, ce sont les Planning rules de 1982, celles toujours officiellement utilisées, qui se seraient appliquées. À noter que l’analyse d’une alternative « No action » est une obligation légale. Une autre était basée sur le fait que plusieurs considèrent que les Planning rules ont largement dépassé le cadre (scope) du National Forest Management Act (la Loi qui gouverne la production des Planning rules) de 1976 et qu’il faudrait s’en tenir au minimum requis par cette dernière Loi. Finalement, les alternatives restantes étaient basées sur le grand principe d’action de la proposition de 2011, soit l’aménagement adaptatif. Les variations s’articulaient autour de la façon et le degré d’obligation pour répondre à différents enjeux. Sans trop de surprise il faut dire, l’alternative préférée dans le PEIC retient beaucoup de la proposition de 2011 (la sélection officielle reste à faire, mais devrait reprendre l’alternative « préférée »).
Le grand objectif en arrière de la proposition d’aménagement adaptatif proposée est de se donner de la flexibilité par rapport à l’obligation légale de réviser les plans systématiquement chaque 15 ans (délai qui est d’ailleurs dépassé dans la majorité des Forêts nationales). Ce qui est proposé est un processus permettant aux aménagistes de procéder à une révision complète ou à de simples amendements à un plan dès qu’ils le jugent nécessaire. Le mot d’ordre : être proactif. La proposition d’aménagement adaptatif fonctionnera comme une boucle en continu (Figure 2), le monitoring pouvant enclencher une nouvelle phase de révision ou d’amendements. Avec cette approche, il est prévu que la production d’un plan prendra 3 à 4 ans ( 5 à 7 ans aujourd’hui) et devrait coûter de 3 à 4 millions $ (5 à 7 millions $ aujourd’hui).
Comme autre idée forte, conservée de la proposition de 2011, il y a la volonté d’éviter les tribunaux! Pour cela, les avis du public et les efforts de concertation seront requis dès que le besoin pour une révision ou un amendement se fera sentir. Et comme la planification devra tenir compte du fait que les Forêts nationales ne peuvent régler tous les problèmes à elles seules, qu’elles font partie d’un plus grand ensemble territorial, tant la planification que les consultations devront se faire en prenant en compte la réalité à l’extérieur des Forêts nationales (la chronique « Chouette tachetée : un Plan pour rien? » donne un exemple pratique de cette vision).
Par rapport à la proposition de 2011 et des points que j’avais abordés, deux ajustements sont à mentionner. Tout d’abord, dans l’application du filtre fin (préservation de certaines espèces en particulier), la proposition remettait le pouvoir de sélectionner des espèces animales à protéger entre les mains de l’aménagiste local (rappel : une espèce légalement protégée comme la chouette tachetée est automatiquement retenue). Finalement, ce sera plutôt l’aménagiste régional. La logique étant d’assurer une cohérence régionale dans le choix des espèces sur lesquelles mettre un effort particulier de préservation. Autre ajustement par rapport à 2011, les aménagistes seront tenus (shall use) de se baser sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles plutôt que de seulement les « prendre en considération » (take into account). Toutefois, tout comme dans la proposition de 2011, une approche équilibrée est ici recherchée. La seule « science » ne doit pas mener les décisions. Les connaissances plus locales, en particulier celles des Autochtones, doivent également être considérées.
Un des attraits de ce document est qu’il permet de voir les grandes visions d’aménagement proposées au travers des différentes alternatives, même celles qui n’ont pas été analysées en détail! Parmi ces dernières, il est bon de souligner une alternative où la récréation aurait été l’usage le plus important. Tous les usages étant officiellement sur un même pied d’égalité, elle ne pouvait être retenue. Toutefois, le « vent » de la récréation a certainement soufflé très fort, car on peut noter que cet usage revient régulièrement dans le PEIC et que des arguments économiques en sa faveur sont apportés. Petite vérification : le mot « recreation » revient 300 fois alors que le mot « timber » est mentionné 168 fois. Reste à attendre la version définitive des Planning rules pour voir si cette tendance se maintient!
Certains pourraient ici noter que je n’ai pas abordé la place réservée aux différents paradigmes (aménagement écosystémique, résilience…) dans ce document. De fait, ce document portait sur l’analyse de différentes alternatives et c’était là son principal intérêt. Et si avant l’arbitrage final des futures Planning rules, on veut parler de tendance dans la contribution relative de chaque paradigme, je serai porté à reprendre ce que j’avais écrit sur ma perception de l’orientation profonde de la proposition de 2011 : « Arrêtons de gosser sur les concepts et aménageons la forêt ». Dans cette logique, l’acceptabilité sociale semble émerger comme LE « paradigme » central au coeur de la vision du USDA Forest service. La version définitive des Planning rules d’ici un mois permettra d’éclairer tout cela. À suivre très bientôt donc!
Autre référence d’intérêt :
La F.A.Q. sur l’alternative préférée : très complet!