Chantier sur la production de bois: « Et pourtant, elle tourne… »
Cette chronique va avoir l’honneur bien particulier de compléter une double trilogie. Tout d’abord, elle va être la troisième chronique consécutive mettant le « bois » en vedette. Ce n’était là rien d’anticipé au départ! Aussi, elle va prendre la forme d’un compte-rendu du troisième (et dernier) rapport de Chantier faisant suite au Rendez-vous national de la forêt de l’automne 2013, soit le Chantier sur la production de bois piloté par M. Robert Beauregard, doyen de la Faculté de Foresterie de l’Université Laval. Un rapport rendu public avec un peu plus de visibilité que ses deux prédécesseurs pour une bonne raison: il va constituer le volet économique de la future Stratégie d’Aménagement Durable des Forêts du gouvernement.
Lors d’un compte-rendu, je m’efforce toujours d’aller à l’essentiel. Dans le cas présent, j’ai considéré vous proposer de simplement lire ou relire mon compte-rendu du Rendez-vous national de la forêt; ce qui semblait quelque peu brutal considérant qu’il y a tout de même plusieurs points très intéressants dans ce rapport de 65 pages (avec annexes). Un rapport, soit dit en passant, qui se lit très bien et, point bonus, a été écrit par un amoureux du monde forestier. Toutefois, un fait demeure: pour l’essentiel, j’ai peu à ajouter à ce que j’ai déjà pu écrire. Pour aujourd’hui je me suis donc efforcé d’être le plus bref possible pour réexprimer ce qui pour moi est le message essentiel de ce rapport et laisser de la place à quelques perles « cachées ».
De l’essentiel
Considérant que nous sommes dans le domaine de la « redite », il m’apparaît justifié d’utiliser des extraits de texte pour vous présenter le grand message de ce rapport:
1— Extraits du Chantier sur la production de bois:
Orientation 1 : Orienter l’aménagement forestier, incluant la sylviculture, vers des résultats basés sur la valeur plutôt qu’uniquement sur le volume.
(…)
Par ailleurs, un projet a vu le jour sur la Côte‐Nord intitulé « Bon bois, Bonne usine, Bon usage » (BBBUBU) qui vise, par l’utilisation du concept de Centre de valorisation forestière incorporant des technologies appropriées, à n’approvisionner les usines qu’en bois dont les attributs permettent une opération rentable. (section « Des initiatives à poursuivre »)
2— Extraits de ma chronique faisant suite au Rendez-vous national de la forêt québécoise:
Comme base à ma réflexion, je vais vous ramener pour quelques instants en Caroline du Sud, et plus spécifiquement à la visite d’une forêt d’une compagnie privée. Pour nous expliquer leur philosophie d’aménagement, le contremaître est revenu sur l’histoire de la compagnie en nous racontant qu’un jour les dirigeants avaient décidé de changer leur vision de l’aménagement de leurs forêts. Plutôt que de conserver une logique de production de volume pour leurs usines de pâte, ils ont décidé d’investir dans la production de valeur et alimenter plusieurs marchés du bois. Aujourd’hui, leur slogan (à l’interne) est de mettre le bon billot sur le bon camion, soit de s’assurer de maximiser la valeur de chaque arbre qui est coupé, ce qu’ils font 52 semaines par an. […] Et tout ça, ils y ont réfléchi tout seuls.
C’est d’ailleurs la note que j’ai prise le plus fréquemment en lisant ce rapport: « Pourquoi a-t-on besoin d’un rapport (aussi bon soit-il) pour penser à cela? »
De fait, ce document s’avère très symptomatique du monde forestier québécois d’aujourd’hui: de l’aménagement à la transformation du bois, nous ne pouvons bouger que dans le cadre d’une grande stratégie qui vient « d’en haut ». Une stratégie bien souvent « mammouth » qui rend le succès de son application plus que hasardeuse. Alors, quand de plus l’auteur précise:
C’est pourquoi la mise en œuvre de cette stratégie nécessitera un suivi rigoureux et un engagement ferme des autorités du ministère et une adhésion de la part des partenaires du secteur forestier.
… et que l’on pense seulement à notre « succès » dans le suivi de nos plantations (chronique et Avis du BFEC sur les plantations), il y a matière à être raisonnablement sceptique sur l’avenir de toute cette entreprise.
J’avais entamé ainsi la conclusion de ma chronique sur le Rendez-vous:
Si je pense à ce qui se passe en Caroline du Sud comparativement au Québec, j’ai l’impression de voir un monde forestier adulte et mature versus un autre encore aux couches (inutile de préciser qui est qui…).
Ce rapport ne changera rien à cette perception. Il la confirme en fait.
Des perles « cachées »
« Cachées » est ici un peu excessif: les points de ce rapport sur lesquels je souhaite attirer votre attention ne sont pas « cachés »! Toutefois, ce sont des points qui n’apparaissent pas dans le Sommaire exécutif qui est axé sur la présentation des quatre grandes Orientations qui devraient guider notre stratégie de production de bois au Québec. Or, il est probable qu’entre le rapport de 65 pages et le Sommaire exécutif, ce soit ce dernier qui soit le plus lu… « Malheureusement », je me dois d’ajouter. Donc, les deux perles de ce rapport que vous ne voulez pas manquer…
Tout d’abord, il y a toute la section « Mise en situation ». L’auteur, fort d’une grande connaissance du monde forestier et appuyé par une série de consultations publiques et de mémoires, présente un très instructif portrait (à caractère historique) des enjeux entourant la production de bois au Québec. C’est là, de plus, un très bon cours d’introduction à l’économie forestière. L’auteur aborde en particulier l’enjeu des « infrastructures routières », un enjeu fondamental trop souvent oublié, car pour « sortir » du bois, faut-il encore pouvoir s’y rendre et nous avons arrêté le flottage dans les années 1990…
Aussi, je vous invite à lire la section « Nécessaire évolution de l’organisation de la planification et des opérations forestières » qui se situe juste avant la conclusion. C’est la section où l’auteur s’est à l’évidence le plus « laisser aller » alors qu’il présente sa vision concernant la création de « Sociétés d’aménagement forestier ». C’est aussi une section qui peut (ce fut mon cas) vous laisser sur des sentiments contradictoires.
Petit retour en arrière de quelques années…
Lors des consultations sur le projet de Loi qui allait créer notre nouvelle politique forestière, j’ai eu à défendre mon mémoire en Commission parlementaire. Une question qui m’avait alors été posée par la ministre de l’époque (Mme Normandeau) fut à savoir dans quelle mesure M. Beauregard et moi-même nous nous étions consultés pour nos mémoires. Il s’avérait que chacun de nos mémoires proposait une vision très décentralisée de l’aménagement forestier; une vision à contre-courant de la grande majorité des autres mémoires. J’avais eu l’occasion de discuter avec M. Beauregard de nos visions respectives, mais nous étions arrivés à nos conclusions par nos propres chemins. C’est de cette vision dont il est question dans cette section, mais… et c’est là un gros « mais », M. Beauregard précise (à mon grand regret):
Il ne s’agit pas ici de remettre en question le régime forestier, mais plutôt d’explorer de nouvelles façons de faire, aménageables à l’intérieur du régime actuel, qui permettraient de trouver de nouvelles synergies.
(…)
Je réitère qu’il ne s’agit pas ici de remplacer les droits d’aménagement et d’approvisionnements actuels par cette forme d’organisation, mais plutôt d’en faire l’expérimentation à une échelle conséquente.
Ici, je n’ai pu m’empêcher de penser à Galilée qui, sous la pression de l’Église, avait dû abjurer sa thèse concernant le fait que c’est la Terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse. Peut-être un peu fort, mais le fait est que l’essentiel du monde forestier québécois d’aujourd’hui tourne autour du gouvernement et qu’il est presque impie de penser autrement. Pour conclure, et dans l’esprit de l’histoire de Galilée, je dirais simplement: Et pourtant, elle tourne…