Se préparer au pire : la leçon du dendroctone du pin ponderosa
Dans la dernière année, je vous ai fait part de différents enjeux forestiers en Colombie-Britannique. En particulier, je vous ai présenté comment le dendroctone du pin ponderosa avait créé un casse-tête tant pour les forestiers que les politiciens de cette province. Non seulement une quantité de bois énorme a été tuée (l’équivalent de 40 ans de récolte au Québec), mais des scieries ont explosé à cause de la poussière des arbres tués par le dendroctone. Une de ces scieries était à Burns Lake, une petite communauté qui a ainsi vu disparaître son principal employeur. Pour faire face à ces enjeux, le gouvernement britanno-colombien a mandaté au mois de mai dernier un comité parlementaire avec pour mandat de trouver du bois dans les régions touchées par le dendroctone et, particulièrement, de permettre la reconstruction de la scierie à Burns Lake. Pour aujourd’hui donc, petit survol de la stratégie du gouvernement de la Colombie-Britannique pour faire face à cette crise et des réactions qu’elle suscite.
Pour répondre aux objectifs du gouvernement, les membres du comité sont allés à la rencontre de différents interlocuteurs touchés par ce que l’on peut appeler la « crise du dendroctone ». En tout, ils ont reçu 650 interventions orales ou écrites. Le comité a déposé ses recommandations le 15 août dernier dans le cadre d’un rapport intitulé Growing fibre, growing value. Ce dernier comprenait vingt recommandations. La semaine dernière, le ministre responsable des forêts a donné sa réponse, généralement très positive, à chacune de ces recommandations dans un rapport intitulé Beyond the beetle : a mid-term timber supply action plan. Mais au-delà des personnes directement concernées (communautés touchées) et de l’industrie forestière qui a été soulagée de voir que le gouvernement n’avait pas enlevé du bois à une compagnie pour en donner à une autre, les critiques sur la vision à court terme de cette stratégie n’ont pas manqué.
Qu’y a-t-il donc de si terrible dans cette stratégie pour qu’un député indépendant la considère comme une « recette pour un désastre »? Tout d’abord, un gros morceau vient du fait que l’on vise à reconsidérer des peuplements forestiers aujourd’hui classés comme non commercialement rentables (< 140 m3/hectare) dans le calcul de la possibilité forestière. Un représentant de l’industrie est venu en aide au gouvernement en spécifiant que dans certains cas l’industrie coupait déjà à des niveaux inférieurs à 100 m3/hectare (le nouveau standard recherché), mais plusieurs doutent cependant qu’il y ait là un grand avenir.
Autre gros sujet de contrariété, la révision de la pertinence de préserver le caractère protégé de certaines forêts. Même si le gouvernement met des gants blancs en spécifiant que tout sera basé scientifiquement et que les communautés seront consultées, le mal semble déjà fait. Une responsable de Forest Ethics a rappelé à quel point chaque aire protégée avait été le résultat d’efforts de multiples intervenants et que cela pourrait ramener à l’ordre du jour les « durs » combats du passé. Un de ses confrères du Sierra Club mettait quant à lui en garde l’industrie, qui supporte le gouvernement, de perdre sa réputation à l’étranger.
Mais le problème de base, reconnu par le comité parlementaire, est qu’il faudrait mettre à jour les données d’inventaires pour savoir où s’en aller. Le critique officiel sur les forêts a fait remarquer que les données d’inventaire sur 72 % du territoire visé par les recommandations du comité dataient de 30 ans. Or, finances obligent, les budgets d’inventaires vont être coupés dès l’an prochain. Sans des données à jour, comment prendre de bonnes décisions? C’est la question que plusieurs se posent. En attendant, un retraité du service forestier de la Colombie-Britannique a fait remarquer que le comité parlementaire estimait la possibilité forestière aux alentours de Burns Lake à 1 000 000 m3/an (niveau souhaité par les propriétaires de la scierie pour la reconstruire) alors que l’an dernier encore les professionnels du gouvernement estimaient cette possibilité à 500 000 m3/an.
Certains peuvent se demander ici « quel rôle joue le Forestier en chef de la province dans tout ce débat? » Bonne question! Il semble que dans cette situation de crise, le politique ait pris le haut du pavé et que le Forestier en chef attend de recevoir les « commandes » de refaire des calculs de possibilité forestière sur de nouveaux paramètres établis par le politique.
Un point de la stratégie annoncée qui n’a pas semblé faire de vagues, mais qui en ferait au Québec, est la décision de revenir graduellement à des modes de tenure par territoire (area-based tenures). Ce mode de tenure où une compagnie « possède » un territoire, une forme de concession forestière, semblait être la norme il y a encore dix ans en Colombie-Britannique. Cette approche avait été remplacée par celle que nous connaissons au Québec, à savoir que sur un territoire donné, plusieurs industriels vont se partager un volume de bois (volume-based tenures). Les raisons en arrière de ce retour dans le passé? Laisser un plus grand contrôle sur l’aménagement forestier à l’industrie en échange d’investissements privés.
Au-delà des critiques sur les mesures proposées, c’est le manque de vision à long terme que plusieurs déplorent. Un responsable du Forest Practices Board, un organisme indépendant qui agit comme chien de garde pour l’aménagement des forêts publiques de la province, a fait remarquer que durant le temps que prend une forêt pour atteindre sa maturité, elle va « avoir vécu » vingt gouvernements. Chacun apportant son élément de politique en réaction à la problématique du jour. En fin de compte, cela ne donne qu’une série de mesures sur le court terme déplore-t-il. De son côté, l’organisme non partisan Healthy Forests – Healthy communities initiative, qui regroupe experts et communautés, a émis un communiqué sur le plan d’action gouvernemental à l’effet qu’il « est au mieux décevant et envoie un message de réaction défensive ».
Ce blogue est né d’une volonté de faire partager les expériences d’aménagistes forestiers à l’extérieur du Québec pour nous aider dans notre aménagement des forêts au Québec. Le cas du dendroctone est un peu particulier de par sa démesure. Le seul comparable qui me vient à l’esprit est de considérer qu’en l’espace d’une vingtaine d’années un insecte tuerait la grande majorité des épinettes noires. Que ferions-nous? Vous pouvez argumenter que nous n’avons pas de tel insecte ici. Certes. Mais rappelons-nous que jusqu’à tout récemment nous n’avions pas d’agrile du frêne (un des plus récents insectes exotiques qui tue des millions de frênes)! Ce qui se passe en Colombie-Britannique devrait nous inciter à réfléchir au pire pour nos forêts, surtout dans un contexte de changements climatiques qui induit beaucoup d’inconnues. Si la Colombie-Britannique peut se justifier en disant qu’elle ne « l’a pas vu venir », nous n’aurons pas cette excuse.
[Mise à jour! Communiqué du ministre responsable des forêts en réponse aux critiques]
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