Les terres du Séminaire: une Mission qui porte fruit depuis 350 ans
Qui n’a jamais entendu parler des « terres du Séminaire » dans le monde forestier québécois? Un territoire qui s’étend sur une superficie de 1600 km2 du nord-est de la ville de Québec jusqu’au nord-est de Baie St-Paul (carte ci-contre). Pas grand monde, je soupçonne. Mais qui peut expliquer comment se fait l’aménagement de cette forêt? Ici aussi, probablement pas grand monde! C’est pour éclaircir ce petit mystère que je vous présente dans cette chronique un survol de son aménagement.
Parler des terres du Séminaire, c’est parler d’histoire, et pas seulement d’histoire forestière. Ces Terres furent acquises en 1662 par Monseigneur de Laval à même ses avoirs personnels (il provenait d’une famille riche). Elles furent cédées au Séminaire par héritage suite à son décès. Au début, ses acquisitions comprenaient, entre autres terrains, l’île d’Orléans. Cette dernière fut éventuellement échangée contre l’île Jésus (Laval). Les terrains de cette île furent vendus à leur tour pour financer la construction des bâtiments de l’Université Laval (1852) dans le Vieux-Québec. L’Université migrera vers Ste-Foy une centaine d’années plus tard. À souligner que l’Université Laval créera une succursale à Montréal qui deviendra l’Université de Montréal. Finalement, pour l’anecdote historique, une petite Seigneurie acquise par Monseigneur de Laval à Montebello fut vendue plus tard au père de Louis-Joseph Papineau… Les actions de Monseigneur de Laval ont donc eu des implications très profondes dans l’histoire du Québec!
Lorsque Monseigneur de Laval acheta ces terrains, dont il ne reste aujourd’hui que les terres du Séminaire, c’était pour qu’elles répondent à une Mission bien spécifique: fournir à la communauté de prêtres qu’il avait fondée, et qui se nomme maintenant le « Séminaire de Québec », les ressources nécessaires pour ses œuvres, principalement la formation des futurs prêtres. Aujourd’hui, 350 ans plus tard, la Mission des terres du Séminaire reste inchangée.
Pendant très longtemps, les terres du Séminaire ont surtout servi à fournir du bois de chauffage. Plus de 1000 cordes/an pouvaient être nécessaires pour assurer le chauffage des pavillons. Ce n’est qu’avec le développement de l’industrie des pâtes et papiers il y a une centaine d’années que l’aménagement prit progressivement une tournure plus commerciale.
L’aménagement forestier des terres du Séminaire est confié depuis le milieu des années 1980 à la firme de Consultants DGR. Le Régisseur du Service forestier du Séminaire, M. Laliberté, est officiellement un employé de cette firme, mais il m’a cependant précisé qu’il était tenu de consacrer 90% de son temps aux terres du Séminaire (son bureau est aussi au Séminaire). Concernant la structure administrative, le Service forestier rencontre le Conseil d’administration du Séminaire une fois l’an.
Le Séminaire, via son Service forestier composé de huit personnes, est responsable de toutes les étapes de la production du Plan général d’aménagement forestier (PGAF). Ce n’est pas seulement une responsabilité forestière, mais aussi financière alors que le Séminaire assume tous les coûts. La Figure ci-dessous présente la répartition des coûts pour le PGAF qui va entrer en vigueur en 2015 et qui a coûté près de 650 000$ à produire. Les PGAF sont révisés à chaque 10 ans. La semaine dernière, 125 personnes ont assisté aux consultations sur les grandes lignes de ce PGAF (la présentation), un très beau succès pour ce type d’activité!
Lors de la production du PGAF, le Service forestier investit particulièrement dans la photo-interprétation afin que leur niveau de précision pour la délimitation des peuplements forestiers soit de 0,5 ha (note: 4 hectares en forêt publique). Les coûts pour atteindre ce niveau de précision sont, selon l’estimation du Régisseur, approximativement le double de ce qui se fait en forêt publique. Les principaux avantages d’avoir une aussi grande précision au niveau de la photo-interprétation sont la diminution des besoins en inventaire forestier et la forte concordance entre les volumes théoriques et les volumes récoltés. Pour le PGAF qui se termine, la différence devrait tout au plus avoisiner les 2%. Cette précision est aussi un atout lors de la négociation de la vente de bois (une fois par an).
Les terres du Séminaire sont certifiées FSC (Forest Stewardship Council) depuis février 2013. Si cela a demandé beaucoup d’efforts, M. Laliberté m’a précisé que dans les faits, 80% du travail prévu (ex.: produire un PGAF) permettait de se qualifier pour être certifiés FSC. De plus, une fois réalisé le travail nécessaire à la certification, le suivi se fait très bien. La certification leur a donné l’occasion de documenter systématiquement leurs décisions. À noter, pour ceux qui se poseraient la question, que le caribou forestier n’est pas un enjeu sur ce territoire. Il y en a déjà eu, mais il a migré vers le Nord.
Les terres du Séminaire font partie de territoires ancestraux revendiqués par les nations huronnes et innues. Toutefois, les familles huronnes et innues qui sont présentes sur le territoire par le biais de Clubs de chasse et pêche ont suivi la même procédure que les « blancs » pour en faire partie et sont soumises aux mêmes règles que ces derniers.
Si le bois fut pendant longtemps la principale ressource (chauffage), aujourd’hui il y a la récréation (chasse, pêche, piégeage) et tout récemment l’énergie éolienne. Avant l’avènement du développement de l’énergie éolienne, la proportion des revenus était approximativement de 30% par la récréation et 70% par le bois. Aujourd’hui, les proportions sont plus de l’ordre de 15% par la récréation, 50% par le bois et 35% par l’énergie éolienne.
On retrouve 201 Clubs de chasse et pêche sur le territoire des terres du Séminaire pour un total de 1400 membres. Les Clubs sont liés au Séminaire par des contrats renouvelables de 3 ans. Le plus vieux club s’est installé il y a 107 ans. L’activité de récréation représente à elle seule 70 000 jours-visite/an.
Depuis au moins une trentaine d’années, l’orignal a une place de choix dans la stratégie d’aménagement qui est adaptée pour favoriser son habitat et, conséquemment, la chasse. C’est pourquoi, même si cela peut coûter un peu plus cher, les opérations sont dispersées sur le territoire afin de créer une mosaïque. Une stratégie qui, à l’évidence, porte fruit (Figure ci-dessous)!
Le Séminaire investit aussi beaucoup dans les ressources halieutiques et en particulier dans la restauration de frayères. Le nombre de truites pêchées a cependant diminué dans les dernières années, passant d’un sommet à près de 140 000 truites en 1992 à 80 000 en 2012. À ce sujet, M. Laliberté m’a indiqué que le potentiel est toujours là. Une des principales raisons expliquant cette diminution provient des membres mêmes des Clubs qui ont pris la décision de diminuer les captures par mesure de précaution. À noter que c’est le Service forestier qui détermine les quotas de chasse et de pêche pour les Clubs.
La possibilité forestière, calculée dans le respect du rendement soutenu, montre une tendance à la hausse dans le temps (Figure ci-dessous — pour le PGAF 2015-2025 les résultats seront disponibles en fin d’année). Le creux au milieu des années 1990 fait suite à une épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE). La récolte fut très variable dans les 25 dernières années et a parfois excédé la possibilité forestière.
Une nouvelle épidémie de la TBE est en développement et la stratégie est de récolter les peuplements les plus vulnérables. La prise en compte des impacts de cette nouvelle épidémie de la TBE dans les calculs de la possibilité forestière sera faite a posteriori. Précisons que si le PGAF est révisé chaque 10 ans, la possibilité est recalculée chaque 5 ans. Pour le PGAF précédent, les calculs avaient été faits avec SYLVA II. Pour le prochain PGAF, c’est le logiciel Woodstock qui sera utilisé.
Si la coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) est l’intervention sylvicole dominante, elle est loin d’être la seule. Il y a une diversité de traitements sylvicoles (plantations, éclaircies précommerciales,…) qui sont financés approximativement à 50% par le Séminaire. Les coûts sont partagés avec les programmes de subvention en forêt privée et de déductions de taxes foncières associés aux travaux sylvicoles.
Les travaux d’aménagement (récolte, construction de chemins…) apportent annuellement de l’emploi à environ 400 travailleurs. L’été dernier, avec les travaux pour le développement de l’énergie éolienne, ce sont plus de 1000 travailleurs qui se sont ajoutés.
Il y a de très nombreux suivis qui se font sur les terres du Séminaire. En particulier, toutes les différences entre les coupes planifiées et effectivement réalisées, aussi petites soient-elles, doivent être expliquées.
Finalement, même si le Séminaire assume beaucoup de coûts, l’aménagement de ce territoire est très rentable et remplit sa Mission plus de trois fois centenaire de pourvoir tant à l’entretien des bâtiments du Séminaire qu’à ses nombreuses œuvres (+ de 100), comme le souhaitait son fondateur.
Un gros merci à M. Jacques Laliberté, Régisseur au Service forestier du Séminaire de Québec, pour le temps qu’il a consacré à répondre à mes questions.
Références